Nestlé Saint-Menet
 
 

300 emplois en jeu, mais Nestlé bloque

Christophe Deroubaix *

(23 novembre 2005) Les syndicats de Nestlé déboutés

Alors que le processus de reprise du site de Saint-Menet n’a pas encore atteint son terme, Nestlé peut désormais poursuivre dans la voie de l’application de son « plan de sauvegarde de l’emploi ». On doit cette situation ubuesque à une décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, rendue hier, confirmant l’ordonnance du tribunal de grande instance de Marseille prise le 22 juin dernier par le juge Dragon (auteur du référé déclarant illégale la grève à la RTM) et qui avait elle-même contredit une autre décision du TGI, laquelle, le 18 mars, demandait aux dirigeants de Nestlé de fournir « les éléments d’information lui permettant d’apprécier si le manque prétendu de compétitivité du site de Saint-Menet résulte non d’une conjoncture subie, mais de la stratégie industrielle et commerciale mise en oeuvre de longue date ». Le 22 juin, alors que les instances élues n’avaient reçu aucun document, le TGI donnait son feu vert à la multinationale Nestlé. C’est donc ce dernier jugement qui fait désormais autorité.

« Comment peut-on valider la décision de 22 juin alors qu’elle est diamétralement opposée à celle du 18 mars, alors qu’après ce dernier jugement, on n’a rien eu de plus. La direction nous a donné des éléments que nous n’avons pas pu vérifier. Le magistrat a jugé que c’était suffisant. Dont acte », réagit Joël Budanic, élu CGT. Concernant le projet de reprise du groupe Net Cacao, le juge estime qu’il « ne peut justifier la demande d’infirmation de l’ordonnance du 22 juin ». Hier, en fin d’après-midi, les acteurs du dossier (État, Nestlé, Net Cacao, collectivités locales et représentants des salariés) se sont justement retrouvés en préfecture pour une réunion initialement prévue vendredi dernier mais, repoussée, à la demande de Nestlé, de quatre jours. Soit juste après le rendu du jugement de la cour d’appel.

(24 novembre 2005). L’État soutient le plan du repreneur potentiel, Net Cacao, mais la multinationale rechigne à apporter l’aide nécessaire à la réussite du projet.

Dans le dossier de reprise de l’activité sur le site de Saint-Menet, Nestlé est désormais isolé. L’État qui, jusque-là, assistait à la partie en spectateur, a dévoilé sa position, mardi, lors d’une nouvelle réunion de travail, par l’intermédiaire du préfet de région, qui a jugé crédible le projet du groupe Net Cacao. Christian Frémont a également souligné qu’il fallait aller au bout de la « feuille de route » dressée, début septembre, par Dominique de Villepin. Pour le premier ministre, il n’est « pas acceptable » que Nestlé exclue une reprise de l’activité par un autre industriel.

Si la multinationale n’oppose plus de veto - au moins concernant l’activité chocolat -, elle ne semble pas non plus y mettre la meilleure volonté. Et le plan ambitieux du repreneur n’a toujours pas trouvé le soutien de Nestlé nécessaire à sa réussite. Les divergences portent notamment sur les volumes de production. Net Cacao envisage de produire, dans un premier temps, 30 000 tonnes de tablettes de chocolat et de produits semi-finis, avant de monter progressivement en charge et d’atteindre les 100 000 tonnes vers 2010. À la clé, 180 emplois immédiatement, 300 dans quelques années. La multinationale s’était engagée à passer un contrat de sous-traitance avec le repreneur, mais rechigne désormais sur les volumes annoncés. Net Cacao a donc proposé de réduire de 5 000 tonnes la production prévue. Silence radio à Vevey, siège du numéro 1 mondial de l’agroalimentaire. « En fait, avec Nestlé, les conditions changent selon les jours et les interlocuteurs », explique un proche du dossier. Exemple : lors de la dernière réunion de travail, le directeur général de Nestlé a évoqué une cession d’activités, tandis que son adjoint parlait d’une cessation. « Le gouvernement devrait intervenir fermement auprès de Nestlé pour obliger le groupe à prendre des engagements fermes », estime Patrick Candela, secrétaire du syndicat CGT de Saint-Menet.

Autre pilier du dossier : la reprise de l’activité café. Le préfet a souligné, mardi, que la porte devait rester ouverte, mais Nestlé ne veut toujours pas en entendre parler, préférant utiliser 20 des 27 hectares du site pour son « plan de revitalisation » et la création d’une zone d’activité. Stratégie qui a reçu le soutien de la mairie de Marseille. Dans un courrier adressé au président de la chambre de commerce et d’industrie, Guy Tessier, député UMP, maire du 5e secteur de la ville et président du comité du bassin d’emploi de la vallée de l’Huveaune, a qualifié cette démarche d’« ambitieuse » (sic). Les autres collectivités locales (conseil général, conseil régional et communauté d’agglomération d’Aubagne) optent, quant à elles, pour une exploration maximale des possibilités de reprise de l’activité café.

La prochaine réunion de travail est prévue pour le 7 décembre. Et, d’ici là, le préfet a appelé Nestlé à respecter les salariés et à garder la bonne image qui est la leur. Pas certain que la multinationale apprécie cette manifestation soudaine de fermeté et d’ironie.

* L'Humanité, 23 et 24 novembre 2005