A Marseille, Nestlé entrouvre la porte à un repreneur
Michel HENRY-Libération
Le groupe a accepté hier qu'un appel d'offres soit lancé pour le site marseillais.
Revirement réel ou tactique ? Nestlé a accepté hier qu'un appel d'offres informel soit lancé, via la chambre de commerce phocéenne, pour trouver un repreneur à son site de Saint-Menet à Marseille, qui produit café soluble et chocolat. Jusqu'ici, le n° 1 mondial de l'alimentaire s'opposait à toute reprise, au motif qu'il n'a pas l'intention de nourrir la concurrence. Mais hier, au sortir d'une table ronde à la préfecture des Bouches-du-Rhône, Jean-Pierre Carli, directeur général industriel de Nestlé France, s'est dit prêt à «céder le bâti et le foncier ainsi que des équipements, sauf les équipements stratégiques, s'il se présente, d'ici un mois, un repreneur crédible».
Prédateur
Les déclarations de Jean-Pierre Carli ont pris les syndicats de court. Le matin même, dans les Echos, il estimait «inéluctable» la fermeture du site qui perdrait, en ne fonctionnant qu'à 30 % de ses capacités, 150 000 euros par semaine. «Le seul projet alternatif, financé et viable, c'est le nôtre», indiquait-il, c'est-à-dire la fermeture avec plan social. En acceptant l'appel d'offres, Nestlé, déjà contraint par la justice de redémarrer la production, se lance-t-il dans une stratégie qu'il pense vouée à l'échec ? Sa vision n'a pas changé : selon «une analyse sans appel d'un marché en crise», aucune reprise n'est possible. «Si les Français ne consomment que 6,5 kilos de chocolat, pas de raison d'en produire 8 !» dit-on à la direction. Mais Nestlé veut prouver qu'il ne fait «aucune obstruction». «On remet le projet de reprise sur la table pour en faire le deuil à terme», estime Nestlé. Charge aux pouvoirs publics et aux salariés de prouver le contraire.
Pour Jean-Pierre Carli, «on a cherché des repreneurs depuis mai 2004, et personne ne s'est présenté, sauf Legal avec son non-projet. Si quelqu'un est meilleur que nous pour trouver, nous regarderons». Mais Nestlé attire l'attention sur «un éventuel prédateur qui profiterait pendant deux ans des installations en cassant les prix puis déposerait le bilan sans un euro pour les salariés». Quant au projet des salariés, Carli l'estime «irréaliste, non viable», car sans marché : «OK, on peut produire 20 000 tonnes avec 300 employés, mais qui le vend ?» Leur volonté d'investir le hard discount ne plaît guère à la multinationale : «Le hard discount, nous y sommes nous aussi.»
Patriotisme
Bref, rien n'est gagné pour les 427 salariés qui avaient interpellé le Premier ministre après sa défense du «patriotisme économique» et provoqué la table ronde d'hier, le préfet n'estimant «pas acceptable que la société exclue une reprise du site».
«On a la victoire modeste, indique Joël Budanic (CGT). De la poudre aux yeux, c'est une option à envisager. Mais on ne pouvait pas refuser cette levée de veto qu'on réclamait ! On reste lucide. Surtout que, si le repreneur lit les déclarations de Carli dans les Echos, il n'y va pas !» Les salariés savent que le plus dur reste à faire : trouver un repreneur.
Cet article est paru dans Libération du mardi 6 septembre 2005
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