Nestlé St-Menet
 
 


Les Nestlé sur leurs gardes

Christelle Chabaud, L'Humanité

La direction tente depuis mercredi de vider l’usine marseillaise de ses stocks de produits finis. Mais, vigilants, les salariés la mettent en échec.

Malgré les inquiétudes, la nuit a été calme. Après une alerte mercredi après-midi, les salariés de Nestlé Saint-Menet avaient tout de même, par sécurité, décidé de renforcer les équipes de surveillance. « Les camions ne sont pas garés très loin de l’usine, nous les avons repérés en faisant un tour de voiture, relate, aux aguets, le syndicaliste Serge Careghi. Plusieurs tonnes de produits finis en chocolat et café sont encore à l’intérieur, alors ils attendent une défaillance de vigilance de notre part et tentent de ruser afin de pouvoir les charger. »

Avant-hier, la direction de Nestlé a essayé de passer en force. Deux camions immatriculés en Espagne se sont présentés en fin de journée devant les grilles de l’usine Saint-Menet, dans le 11e arrondissement de Marseille, afin d’embarquer des palettes de produits Nestlé. « La règle veut que pour tout chargement, il y ait examen et vérification de la feuille de route, explique Robert Caprini, l’un des délégués CGT du site. Or, contrairement à ce qu’annonce la direction, le chargement ne devait pas servir à honorer des contrats avec ses clients. Selon la feuille de route, la destination finale des camions était Dijon, plus précisément un des plus gros entrepôts de stockage de Nestlé en France... Le but consistait donc uniquement à vider l’usine ! » Pour la première fois dans l’histoire du conflit qui oppose les 427 salariés au numéro un mondial de l’agroalimentaire, la direction a fait appel à une petite entreprise extérieure pour charger les camions, malgré la présence sur les lieux et la volonté de travailler des caristes salariés de l’usine. « Dans ces conditions, et vu que Nestlé ne respecte pas la décision de justice du 4 juillet, nous avons collectivement refusé de laisser repartir les camions pleins », confie Serge Careghi.

Alors que Nestlé maintenait son site en cessation d’activités « de fait » depuis le 24 juin, le juge du tribunal de grande instance de Marseille l’a obligé, dans une ordonnance en référé rendue le 4 juillet, à relancer immédiatement « un fonctionnement normal » de l’usine. C’est-à-dire, notamment, « le rétablissement du système informatique », « la conservation de l’outil de production » et surtout « la gestion normale des matières premières ». En contrepartie, les salariés devaient arrêter l’occupation l’usine. Or, depuis le 5 juillet, Nestlé, complètement inactif, joue sur les mots. Selon le géant du groupe agroalimentaire, « le fonctionnement normal de l’usine » ne veut pas dire redémarrage de la chaîne de production et, par conséquent, refuse de livrer le site de Saint-Menet en matières premières. « Nestlé ne respecte pas la décision de justice, donc pour nous, c’est désormais clair : plus aucun camion ne sortira de Saint-Menet chargé si en, contrepartie, d’autres camions ne nous fournissent pas en matières premières afin de faire redémarrer la chaîne de production. » À l’instar de Josiane Biondi, la « doyenne » de l’usine, les salariés restent plus que jamais déterminés. Et ce d’autant plus que la mobilisation locale et le soutien populaire sont désormais bien rodés. Mercredi après-midi, en moins d’un quart d’heure, les deux chauffeurs espagnols se sont retrouvés sous les regards pressants d’une centaine de personnes grâce au système des numéros de téléphone en cascade.

Article paru dans L'Humanité du 12 août

 

Pour les salariés, Nestlé, c'est un peu fort de café

Par Michel HENRY, Liberation

Les employés de l'usine marseillaise, promise à la fermeture, accusent la direction de vouloir «dévaliser le stock».

Par deux fois, mercredi et hier, des salariés de Nestlé Saint-Menet à Marseille ont bloqué la sortie de produits de leur usine en voie de fermeture, estimant que la direction veut «dévaliser le stock». Nestlé assure au contraire qu'il s'agit uniquement d'honorer des commandes. Dans l'usine (café soluble, chocolat) arrêtée depuis fin juin, où la plupart des 427 salariés ont été mis en congés et sont toujours payés, direction et personnel jouent un bras de fer à l'issue incertaine. «On était d'accord pour faire partir du café pour certains contrats, explique Joël Budanic, représentant du personnel (CGT). Mais mercredi, c'était du chocolat, et pour une destination mystérieuse, un "centre de stockage". On leur a dit : "Vous videz le stock ? On vous en empêche." Si on laisse faire, ça revient à accepter une fermeture sauvage.» La direction conteste : elle désire faire partir 134 palettes de produits chocolatés vers une centrale de logistique à Longvic (Côte-d'Or). «Ces produits ne sont périmés qu'en mars 2006 mais ils sont attendus, assure Christian Malczuk, directeur par délégation. Si on ne les envoie pas maintenant, ils ne les voudront plus, et ils seront détruits.» Hier matin, rebelote : trois semi-remorques viennent charger de la poudre de café pour le marché roumain. Là encore, opposition des salariés. «La situation est bloquée, résume le directeur. On a fait acter le tout par un huissier. Il n'y a plus de livraisons prévues dans les prochains jours.»

Evacuation. Le 22 août, direction et personnel doivent se retrouver devant la justice pour une interprétation de la décision prise par le tribunal des référés de Marseille, le 4 juillet. Les magistrats ont ordonné aux salariés d'évacuer le site qu'ils occupaient depuis le 24 juin. Ils ont obéi et quitté les lieux, assurant depuis une veille devant l'entrée. En contrepartie, la justice enjoignait à Nestlé de «rétablir le fonctionnement normal de l'usine» pendant le processus de fermeture, estimé légal le 22 juin. Pour les salariés, cet ordre implique un «approvisionnement en matières premières» permettant de relancer la production. «Tant que l'usine ne redémarre pas, il n'y a pas de raison qu'ils viennent chercher des produits finis, résume Muriel Guerdoux, déléguée syndicale CGT. Si on les laisse faire, ils nous vident tout.» Mais la direction s'en tient à la «conservation de l'outil de production» réclamée par le juge : «Nous sommes dans un contexte de fermeture annoncée, pas de redémarrage de la production.»

Appel à Villepin. Suite à une réorganisation interne et une baisse des exportations, Nestlé (18 000 salariés en France, 6,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 35 usines dont quatre produisant chocolat ou café) a décidé, en mai 2004, de sacrifier son site marseillais. Un projet de reprise permettant de sauver 300 emplois en produisant pour le hard-discount et les marques de distributeurs a été rejeté par Nestlé : «Pas question de renforcer un concurrent.» Fin juillet, les salariés ont interpellé le Premier ministre Dominique de Villepin, pour qu'il «fasse entendre la voix de la France à Nestlé, au nom du patriotisme économique dont il se revendique». Ils attendent une réponse.

Article paru dans Libération du 12 août