Lausanne, le18 février 2005
A la rédaction de « J’achète mieux »
Vous trouverez, ci-joint, la brochure du Comité référendaire pour une libre circulation adossée à des droits sociaux et syndicaux. Elle sera diffusée à 100'000 exemplaires en Suisse romande.
Dans la mesure où un des éléments du débat actuel sur les accords bilatéraux porte, entre autres, sur le thème de la baisse des prix «dans un cadre concurrentiel», elle nous semble pouvoir mériter votre attention.
Au plan économique, vous en conviendrez, les prix sont relatifs. Autrement dit, tout prix, pour être saisi dans sa dimension spécifique, doit être rapporté à d’autres prix. Sous une forme élémentaire, que vous explicitez souvent dans votre revue J’achète mieux – dont je suis un lecteur assidu –, vous comparez des prix de divers produits distribués dans divers endroits. Il y a évidemment trois autres dimensions des prix relatifs auxquelles vous ne pouvez qu’être sensible.
Tout d’abord, celle du rapport entre prix des biens de consommation et « prix du travail », c’est-à-dire le salaire, et, avec plus de pertinence, le revenu d’équivalence disponible, selon l’OFS (pouvoir d’achat). Nous donnons quelques données à ce propos en pages 6 et 7 de la brochure. Ensuite, il y a le rapport entre les prix des biens intermédiaires (de l’électricité aux diverses commodities importées, ou produits semi-élaborés) et le prix de production final d’un bien de consommation durable ou d’un bien de production. Il y a enfin le rapport entre le prix des investissements (capital fixe) ou, en comptabilité nationale, formation brute de capital fixe (FBCF) et le « prix du travail » (salaire direct et indirect). Ce dernier rapport complexe – médié par l’intensité et la durée du temps de travail, un des facteurs clés de la productivité – fournit un élément qui intervient dans la formation du prix de production et de la part du salaire dans chaque unité produite (labour unit costs). Ces questions sont aussi abordées dans notre brochure. La relation entre pouvoir d’achat effectif et prix des biens de consommation doit être resituée, selon nous, dans un contexte plus large, celui des primes d’assurance maladie (et de leur insignifiance dans l’indice des prix), du loyer (dont on pourrait discuter les biais statistiques pour ce qui a trait aux moyennes) ou des modifications du système des primes pour le deuxième pilier.
Toutefois, ces questions – fort importantes pour comprendre la situation intriquée du salarié-consommateur/de la salariée-consommatrice – sont souvent mises entre parenthèses dans l’information journalistique qui se déverse actuellement.
En effet, le débat se concentre, quasi quotidiennement, sur les « baisses de prix » qui interviendraient (ou interviendront) à l’occasion de l’arrivée des discounters, tel Aldi, ou des actions publicitaires de Coop ou d’autres grands distributeurs.
Le directeur de Migros Genève pose une vraie question lorsqu’il affirme: « S’ils [les consommateurs] veulent que les salaires baissent de moitié, qu’on achète tout en Chine, ils le diront. ! C’est un choix de société. Mais, vous savez, l’assortiment M-Budget ne représente que 2% de nos ventes. » (Le Matin, 17.2.2005)
On peut certes discuter de ce que dit Guy Vibourel, le patron de Migros Genève. Toutefois, il souligne la tendance de fait à une réaffirmation plus nette d’un double ou triple standard de consommation en termes de qualité (et non seulement en termes de quantité). Ce double ou triple standard qui renvoie à des différenciations bien plus marquées, tendanciellement, entre bas et très hauts salaires ; cela s’exprime statistiquement s’exprime de façon robuste dans l’étude des revenus des femmes salariées, dans l’industrie (emballage, reliure, expéditions journaux, agroalimentaire, etc.) et dans le secteur de la distribution, sans parler des services (nettoyage, services domestiques, paramédical, etc.). Dans notre brochure, nous abordons ces questions entre autres aux pages 25 et 26, mais aussi aux pages 8-9, et dans d’autres passages.
La grande enquête de la FRC portant sur 23 types d’articles dans diverses catégories de produits mettait à mal l’idée que la Suisse était une île exceptionnelle de cherté pour certains produits de consommation durables ou semi-durables.
Evidemment, une partie du faible différentiel, ou même des prix plus élevés dans d’autres pays européens, était (et est) reliée à deux facteurs: le taux de TVA et les opérations de conversion des monnaies nationales (DM, lire, pesetas, etc.) à l’euro (elles ont induit des hausses de prix fortes et, en grande partie, non intégrées dans l’évolution des indices des prix des pays respectifs). Envisager l’UE du point de vue des consommatrices implique aussi de discuter du type de fiscalité et aussi de sa répartition entre impôts indirects (des taux de TVA de 21% sur des biens durables intégrés à la structure de consommation de ménages modestes) et impôts directs progressifs (ce qui renvoie aussi au problème de la fraude fiscale).
Cette brochure nous paraît être – quels que soient les différents points de vue que nous ayons – d’un intérêt pour la FRC et vous-même, au même titre où vos publications méritent un suivi.
Veuillez recevoir, Madame, mes meilleures salutations.
Charles-André Udry, économiste
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