L'employeur est responsable de la protection de la santé sur la place de travail
Gare aux lourdes sanctions...
Philippe Oudot-Journal du Jura
Suite à l'article publié par Le JdJ concernant les problèmes de sécurité à la Boillat, Charles E. Heiniger, spécialiste du domaine, rappelle les devoirs et les responsabilités qui incombent aux employeurs.
Un four de recuit qui explose; une presse fonctionnant avec de l'air et de l'eau sous très haute pression (300 bars) et dont l'entretien laisse à désirer; un four de fonderie dont les parois réfractaires sont prématurément dégradées en raison d'une mauvaise gestion des matières à fondre et qu'il faut réviser pour éviter une rupture de conduite pouvant conduire à l'explosion du four; l'utilisation, dans ce même four, de tournures contenant des résidus d'huile, qui ont manqué de provoquer un incendie, entraînant un dégagement quasi certain de dioxine: les graves manquements en matière de sécurité à la Boillat, relatés dans les colonnes du JdJ, le 12 décembre dernier, ont fait réagir Charles E. Heiniger.
Ce spécialiste de sécurité et de protection de la santé à la place de travail constate en effet qu'à l'instar de Swissmetal, de nombreuses entreprises n'accordent pas toute l'attention nécessaire en la matière. Preuve en est le nombre important d'accidents qui surviennent sur la place de travail.
La pyramide des accidents
Pour illustrer son propos, Charles E. Heiniger cite ce qu'il appelle la «pyramide des accidents». Les statistiques montrent en effet que sur 100 000 mauvaises manipulations ou actions incertaines (cela va de l'objet qui tombe à l'accident mortel), on dénombre 10 000 accidents qui provoquent des dégâts matériels; 1000 personnes blessées; 100 dont l'état nécessite une hospitalisation; 10 qui restent invalides, et une personne qui perd la vie. C'est dire si le respect des normes de sécurité mérite la plus grande attention.
D'autant que la protection de la santé des travailleurs constitue une obligation légale (voir «Ce que dit la loi»). Si l'employeur ne respecte pas son devoir de vigilance, la jurisprudence considère qu'il s'agit d'une violation de son obligation légale et l'intéressé est passible de sanctions. Pour aider les entreprises dans leur tâche, une commission fédérale de sécurité au travail a édicté des directives contraignantes. Ainsi donc, toute entreprise potentiellement dangereuse doit prouver qu'elle prend toutes les mesures pour écarter les risques d'accidents. Pour ce faire, elle peut se doter d'un système de sécurité autonome - c'est surtout le cas des grandes entreprises. Elle peut aussi appliquer ce qu'on appelle des solutions de branches. Il en existe dans différents domaines - l'horlogerie ou la mécanique par exemple.
Recours à des spécialistes
Pour veiller à la bonne application de ces directives, les entreprises font appel à des spécialistes de sécurité. Ils peuvent être des employés de la société ou des collaborateurs externes. L'entreprise doit aussi assurer la formation adéquate du personnel et lui fournir un équipement de sécurité personnel, indique Charles E. Heiniger. En contrepartie, les employés concernés doivent signer un document par lequel ils reconnaissent avoir pris connaissance des dangers et s'engagent à appliquer ces prescriptions.
En fait, relève notre interlocuteur, «chaque danger doit être soigneusement répertorié dans un inventaire ad hoc où doivent également figurer les mesures pour y faire face. C'est ce qu'on appelle le porte-folio des dangers». De plus, des inspecteurs cantonaux du travail, ainsi que d'autres de la Suva, sont également censés effectuer des contrôles périodiques. «Toutefois, contrairement à ce qui se fait dans d'autres pays comme la France ou l'Allemagne, ces contrôles ne sont de loin pas aussi nombreux qu'on pourrait le souhaiter. Faute de moyens suffisants.»
Pas une charge, un investissement
Comme le relève Charles E. Heiniger, nombre d'employeurs n'accordent pas l'attention voulue aux questions de sécurité parce qu'ils jugent les mesures nécessaires trop tatillonnes et coûteuses. Ces mesures ont certes un coût, admet notre interlocuteur, mais ce coût est bien moindre qu'un accident et les conséquences qu'il entraîne. Non seulement pour la victime, mais aussi pour l'entreprise en termes de salaire, de perturbation de la production, de remplacement du collaborateur blessé, etc. Un coût d'autant plus élevé que l'employeur s'expose à de lourdes sanctions s'il n'a pas pris toutes les mesures pour éviter l'accident. Finalement, remarque notre interlocuteur, «les mesures de protection sont donc bien plus un investissement qu'une charge pour l'entreprise».
Car lorsqu'un accident survient, l'employeur, tout comme le spécialiste sécurité de l'entreprise, ne peuvent guère espérer passer entre les gouttes, souligne Charles E. Heiniger. C'est en effet à eux de démontrer aux experts qu'ils ont pris toutes les mesures de protection et de prévention adéquates. Et s'ils n'y parviennent pas, ils tombent dans le collimateur des assurances, voire de la justice s'il s'agit d'un accident grave.
En veillant au bon respect des normes de sécurité, l'employeur ne garantit donc pas seulement l'intégrité physique et la santé de son personnel, mais il se préserve également d'éventuelles sanctions civiles ou pénales si un accident survient malgré tout. Par exemple lorsqu'un employé ne respecte pas les règles établies voire débranche les systèmes de sécurité. Dans un tel cas de figure, l'employeur sera blanchi alors que l'employé est doublement pénalisé: d'une part, par les conséquences physiques de l'accident, mais également de la part de l'assurance, qui risque de se retourner contre lui et de revoir ses prestations à la baisse.
Ce que dit la loi
En matière de sécurité au travail, la législation a au moins le mérite d'être claire: à l'article 328, le Code des obligations souligne que «l'employeur protège et respecte, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur; il manifeste les égards voulus pour sa santé (...) Il prend, pour protéger la vie, la santé, l'intégrité personnelle du travailleur, les mesures commandées par l'expérience, applicables à l'état de la technique et adaptées aux conditions de l'exploitation (...)»
La Loi fédérale sur le travail (LTr) est même encore plus précise. Elle impose en effet à l'employeur le devoir de préserver l'intégrité personnelle des travailleurs, dont fait partie la santé tant physique que psychique. A son article 6, au 1er alinéa, la LTr énonce: «Pour protéger la santé des travailleurs, l'employeur est tenu de prendre toutes les mesures dont l'expérience a démontré la nécessité, que l'état de la technique permet d'appliquer et qui sont adaptées aux conditions d'exploitation de l'entreprise.»
Quant à la Loi fédérale sur l'assurance-accidents (LAA, art. 82 1er alinéa), elle souligne: «L'employeur est tenu de pren-dre, pour prévenir les accidents et maladies professionnels, toutes les mesures dont l'expérience a démontré la nécessité, que l'état de la technique permet d'appliquer et qui sont adaptées aux conditions données.» [ Ph.O.]
30 décembre 2006
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