8 semaines de lutte pour l’emploi et le respect
Filtrona: le fil des évènements
Le 26 janvier, le personnel de Filtrona à Crissier a accepté, à une très large majorité mais à contrecœur, une convention qui met un terme à sa lutte menée depuis le 30 novembre dernier et qui a été marquée par un mois de grève. Sans ce combat courageux de l’ensemble des salarié·e·s, la multinationale Bunzl/ Filtrona aurait appliqué son plan: fermer l’usine de Crissier par surprise, sans verser un centime, comme elle l’a fait en Italie à Rovereto. Cette lutte l’a obligée à concéder un plan social et à donner une garantie d’emploi jusqu’à fin juin. Mais, en même temps, les salarié·e·s de Filtrona se sont heurtés à la réalité de la dictature du capital financier international. Bunzl a refusé de mettre plus de 2 millions de fr. pour le plan social, une somme très faible compte tenu des moyens de la multinationale et que les salarié·e·s avaient refusée. Le personnel auxiliaire en est exclu. La paix du travail est imposée. La perspective d’une fermeture est confirmée. L’arrogance révoltante du capital, qui dicte ses conditions à «ses ressources humaines», s’est affichée au grand jour. Les frustrations et la colère sont grandes. Pour la faire reculer, un autre rapport de forces, adossé à une solidarité internationale, aurait été nécessaire. Il n’a pas été possible de la construire. [Ce qui suit est la mise bout à bout de trois articles de M-Magazine, journal du syndicat comedia, des numéros 20-2004, 1 et 2-2005, qui couvrent le déroulement de la lutte jusqu'à l'accord du 26 janvier].
Le mardi 30 novembre, les 150 salarié·e·s de Filtrona Suisse SA à Crissier, près de Lausanne, se sont mis en grève, soutenus par leur syndicat comedia. Ils exigent des garanties au sujet de l’avenir du site de production – et donc de leurs emplois –, l’ouverture immédiate de négociations pour un contrat collectif de travail (CCT) ainsi que pour un plan social, assurant un filet de sécurité quels que soient les choix de la direction du groupe (cf. p. 7). Depuis ce jour, l’usine est occupée en permanence. Un énorme élan de solidarité est venu appuyer les grévistes.
Mercredi 1er décembre, 13h: première assemblée générale du personnel après 24 heures de grève. La veille, c’est une large majorité du personnel qui a voté l’arrêt de travail. Mais plusieurs employé·e·s de Filtrona avaient des doutes. Une fois la grève décidée, tout le monde a cependant respecté la décision majoritaire.
De nombreux syndicalistes, d’Unia, du Syndicat des services publics (SSP), de l’Union syndicale vaudoise, de formations politiques sont là pour apporter leur solidarité. Il y a aussi le collègue Michele Nista, président de la commission d’entreprise de Sapal, une entreprise de l’industrie des machines presque voisine: «Il y a 4 ans, on devait aussi fermer. On est toujours là parce qu’on ne s’est pas laissé faire. Votre seule force, c’est vous. Et n’oubliez pas que rien n’est jamais acquis!» Le message est à l’unisson de l’état d’esprit des Filtrona: ils votent la reconduite de 24 heures de la grève quasiment à l’unanimité.
Une grève déterminée et organisée
La grève est organisée selon des règles simples. Les salarié·e·s de Filtrona, qui travaillent actuellement en trois équipes, viennent à l’usine à leurs horaires habituels et ils l’occupent. Des secrétaires syndicaux et militants de comedia, appuyés par des syndicalistes d’autres fédérations, assurent une présence continue du côté syndical. Chaque jour, une assemblée du personnel a lieu à 13h, au moment du changement d’équipe. Tout le monde y participe. C’est le moment d’échange d’informations et de décision: en particulier sur la poursuite de la grève durant les 24 heures suivantes.
Le fumoir et le bureau au centre de l’usine servent de «quartier général» de la grève. On y affiche les informations, les coupures de presse, les messages de soutien. A proximité, les salarié·e·s se retrouvent par petits groupes pour discuter, passer le temps, préparer des calicots. Chaque fois qu’un visiteur vient leur apporter son soutien, c’est avec un plaisir évident que quelqu’un lui présente l’usine, lui explique le travail, avec ses trésors de technologie et de savoir-faire.
Les contacts avec la direction et avec les autorités sont assurés par la commission du personnel et les deux secrétaires syndicales responsables du dossier, Beatriz Rosende et Denise Chervet.
Le directeur tente le coup de force…
Durant les 48 premières heures de la grève, le directeur de Filtrona Suisse SA, Dylan Jones, s’est muré dans le mutisme. Il a refusé de rencontrer une délégation du personnel. Il ne répondait pas aux journalistes. Tout juste a-t-il accepté de rencontrer, brièvement mercredi 1er décembre en fin de journée, trois syndics de l’Ouest lausannois, une région durement touchée par les fermetures d’entreprises.
Le jeudi 2 décembre, Dylan Jones a d’abord reçu la commission du personnel, puis a voulu s’adresser à l’ensemble du personnel, lors de l’assemblée journalière de 13h. A chaque fois, il a lu le même message, qui venait d’être placardé dans l’entreprise. Extraits: «Votre décision de faire grève est considérée par la société comme étant une mesure extrêmement agressive et totalement injustifiée. […] La société considère que votre grève est en contravention avec la convention collective de travail et illégale à l’égard du droit fédéral. Nous demandons que tous les employés reprennent normalement le travail au plus tard au début du travail de la première équipe de vendredi 3 décembre 2004. […] Une des options à disposition de la société, si cette grève illégale devait perdurer, consisterait à prendre les mesures en vue d’une résiliation immédiate et sans compensation des employés en grève.»
Bref, un tissu de menaces extrêmement graves – licenciement immédiat – et le refus de toute «discussion» (Jones ne parle jamais de négociations) avant le 10 décembre. Jones prétend que c’est la première date possible, compte tenu des discussions qu’il devrait avoir au sujet du bail de l’entreprise, ce qui ne convainc personne. Chaque salarié·e recevra le lendemain, sous forme de lettre signature, un courrier avec les mêmes menaces.
Le coup est dur. Les salarié·e·s espéraient un geste de respect, une ouverture, une disponibilité à discuter. Ils et elles ne se laissent pas démonter pour autant. Une ouvrière interpelle Jones, en face: «Votre réponse est toujours non. Pourquoi, nous, devrions-nous dire oui? Il y a eu plein de changements dans l’entreprise, et nous avons toujours accepté. On nous a demandé de faire des heures supplémentaires; on l’a fait. On nous a demandé de travailler avec du personnel réduit, on l’a fait. Nous, on vous a demandé une seule chose: d’anticiper une discussion sur l’avenir de l’entreprise. Et vous le refusez? Pourquoi n’y a-t-il pas un geste de votre part?»
Jones ne bouge pas. Interpellé, il refuse de s’engager sur l’avenir de l’entreprise. Il était arrivé accueilli par un silence. Il repart sous les huées… L’assemblée du personnel ne recule pas face aux menaces et vote la reconduction de la grève plus déterminée que jamais.
… et doit reculer
Moins de 24 heures plus tard, la direction de Filtrona doit commencer à reculer. Suites à différentes rencontres entre Jacqueline Maurer-Mayor, présidente du Conseil d’Etat vaudois, la direction, des représentant·e·s du personnel ainsi que comedia, le directeur Dylan Jones accepte d’entrer en négociation avec le personnel et le syndicat dès le mardi 7 décembre. La veille encore, toute rencontre avant le 10 décembre était exclue. La grève commence à avoir un effet.
Simultanément, la direction de Filtrona saisit l’Office cantonal de conciliation, qui fixe une première séance avec les deux parties le lundi 6 janvier à 8h30 du matin.
Une nouvelle fois, à la quasi-unanimité, le personnel de Filtrona reconduit la grève jusqu’au lundi 6 décembre à 13h.
Dans les rues de Renens
Le samedi 4 décembre, une manifestation de solidarité avec les salarié·e·s de Filtrona a lieu dans les rues de Renens, la principale commune de l’Ouest lausannois, dont le centre est situé à un kilomètre environ de l’usine Filtrona. Les salarié·e·s se sont rassemblés dès 9h devant l’entreprise et c’est en cortège qu’ils se rendent jusqu’à la place du Marché de Renens. De nombreuses personnes sont venues les soutenir et manifester avec eux.
«On nous prend notre savoir-faire, notre technologie, nos clients, nos machines, nos matières premières. La suite logique, c’est quoi? On nous prendra nos emplois! Non, nous nous battrons jusqu’au dernier mégot pour que nos emplois ne partent pas en fumée.» Ce discours, qui dit la détermination des salarié·e·s, est prononcé dans toutes les langues parlées dans l’entreprise: français, portugais, italien, espagnol, turc, serbo-croate, albanais… et en anglais.
La portée de la manifestation dépasse Filtrona. Les fermetures d’entreprises se sont multipliées dans l’Ouest lausannois: Iril, Leu, Veillon, Kodak.
L’occupation de l’entreprise se poursuit durant tout le week-end.
Ouverture de négociations
Le 6 décembre, à 8h30, le directeur de Filtrona, Dylan Jones, les représentants du personnel et de comedia se retrouvent à l’Office de conciliation. Ils acceptent d’engager dès le 7 décembre à midi une négociation pour une convention collective de travail (CCT) comprenant un plan social en cas de restructuration. Depuis le début, c’est une revendication fondamentale des salarié·e·s. Un représentant de la direction générale de Filtrona se déplace d’Angleterre pour participer à ces négociations.
L’assemblée du personnel, réunie le même jour à 13h, se réjouit de ce premier pas. Mais elle reste aussi vigilante. Elle décide de poursuivre la grève au moins jusqu’à la prochaine assemblée générale, fixée le mercredi 8 décembre à 11h. Le personnel n’a aucune garantie sur le résultat des négociations et il sait que la grève est la seule arme dont il dispose pour se faire entendre.
Le [7 décembre], une délégation de la commission du personnel et de comedia avait rencontré devant l’Office cantonal de conciliation une délégation patronale de Filtrona, emmenée par le directeur Dylan Jones. La délégation patronale avait alors, 8 heures durant, martelé une exigence : pas de négociation sans arrêt de la grève.
Les salarié·e·s font un geste
L’assemblée du 8 décembre a montré que le personnel est très déterminé. Il n’a pas fait 8 jours de grève pour renoncer à son combat en échange de rien. Il est aussi très méfiant : il a vu comment Jones a progressivement vidé l’entreprise… tout en promettant de discuter « bientôt » de l’avenir du site. Enfin, le personnel a montré qu’il est convaincu que sa force réside dans son unité ; il ne se laissera pas diviser. A une large majorité, le personnel a donc décidé de faire un geste pour permettre l’ouverture de négociations, tout en se donnant de sérieuses garanties pour que ce geste ne soit pas utilisé pour affaiblir son combat. Concrètement, le personnel a accepté de suspendre – et non pas d’arrêter – la grève durant le temps des séances de négociations, comme le demandait la convention signée la veille devant l’Office de conciliation. Il a lié cette suspension à trois conditions : a) aucun démantèlement de machines ou de parties de machines et / ou expédition de celles-ci hors du site de Crissier ne doit avoir lieu avant la conclusion d’un accord ; 2) de même, aucune production de filtres ne doit quitter le site ; c) les négociations doivent aboutir au plus tard d’ici au lundi 13 décembre à 13 h.
Mercredi 8 décembre: La direction de Filtrona refuse devant l’Office cantonal de conciliation la proposition des salarié·e·s sur les conditions d’une suspension de la grève afin de permettre à des négociations de démarrer. La grève se poursuit (cf. «m» N°20/2004). Peu après, la direction se ravise et accepte qu’une nouvelle rencontre ait lieu devant l’Office de conciliation le samedi 11 décembre. La grève continue, avec chaque jour, une assemblée générale du personnel.
Samedi 11 décembre: Devant l’Office de conciliation, la direction pose de nouvelles conditions avant toute reprise de négociations: une journée entière de travail, chargement de 2 camions… Refusées par la délégation du personnel et du syndicat. Finalement, de son propre chef, l’Office de conciliation édicte des conditions pour une ouverture des négociations, selon un calendrier précis, accompagnée d’une suspension de la grève (avec interdiction de démonter des machines durant les négociations). Personnel et direction doivent décider d’ici au lundi 13 s’ils les acceptent. Durant toute la journée, une partie du personnel de Filtrona a sillonné le marché de Lausanne afin d’exposer à la population les raisons de sa grève.
Lundi 13 décembre: Bien que sur ses gardes, l’assemblée du personnel accepte l’«ordre de marche» de l’Office de conciliation. La grève est suspendue à 15h. Des négociations s’ouvrent. Mais, très rapidement, des gros problèmes surgissent. Dans l’entreprise, certains cadres font des pressions inhabituelles et inacceptables sur les salarié·e·s. Ils imposent de plus l’expédition de filtres sans les contrôles de qualité d’usage. Ils créent ainsi un climat de coercition. Cela ne se passe pas mieux au niveau des négociations. La direction fait tout pour traîner en longueur. Et elle refuse de faire la moindre offre chiffrée pour des mesures d’accompagnement en cas de licenciements – la revendication principale des salarié·e·s.
Mardi 14 décembre: A 13h, l’assemblée du personnel fait le point sur cette première journée de suspension de la grève. Pour une grande majorité des salarié·e·s, la conclusion est claire: la direction ne veut pas négocier sérieusement; elle est seulement intéressée à vider les stocks et à faire travailler le personnel. Elle viole ainsi l’«ordre de marche» de l’Office de conciliation. Dès lors, la grève doit reprendre immédiatement, ce qui est fait.
Mercredi 15 décembre: Devant l’Office de conciliation, la direction refuse toute négociation, prétextant de la reprise de la grève. Un délai est donné jusqu’au vendredi 17 pour trouver une issue à cette nouvelle impasse. Le principal négociateur patronal, M. John Scollen, retourne en Angleterre. La grève se poursuit.
Vendredi 17 décembre: Constatant que l’impasse reste totale, l’Office de conciliation conclut à l’échec de son intervention et se dessaisit du dossier.
Le soir du 17 décembre, un comité de soutien aux grévistes de Filtrona est constitué à Renens. Il regroupe des représentants des principales fédérations syndicales du canton ainsi que des partis politiques de gauche. Le comité a deux objectifs: populariser la grève et récolter des fonds pour venir en aide aux grévistes qui vont subir, pour certains, d’importantes pertes de salaire. Des collectes dans les entreprises de la région, comme à la Sapal, ont déjà démarré.
Samedi 18 décembre: Le comité de soutien et des salarié·e·s de Filtrona organisent des collectes sur les marchés de Lausanne et Renens. L’accueil de la population est très favorable: 3300 fr. sont réunis en une matinée.
Lundi 20 décembre: La grève se poursuit. Des contacts sont pris pour relancer les négociations en dehors de l’Office de conciliation.
Mardi 21 décembre: Une nouvelle proposition est soumise à l’assemblée du personnel pour rouvrir les négociations. Chaque partie serait épaulée par un avocat. C’est Me Luc Recordon, conseiller national écologiste, membre du conseil d’administration de la Banque cantonale vaudoise (BCV), qui appuierait la délégation du personnel. La grève devrait une nouvelle fois être suspendue. L’assemblée du personnel décide de donner une nouvelle chance à la négociation et accepte la proposition. Le travail reprend à 14h.
Mercredi 22 décembre: L’assemblée du personnel fait le point. La reprise du travail a eu lieu normalement, cette fois-ci. Dans les négociations, la direction cherche une nouvelle fois à gagner du temps. La délégation du personnel finit cependant par arracher un engagement. La direction communiquera d’ici au 24 décembre à 11h un chiffre, pouvant servir de base à une négociation pour des mesures d’accompagnement. La convention conclue sur la procédure de négociation interdit aussi à la direction tout démontage de machines aussi longtemps que durent ces négociations. Scollen, de la direction de Filtrona, retourne en Grande-Bretagne. Le travail se poursuit jusqu’au 23 décembre, jour normal de la fermeture de l’entreprise. Le 24 décembre au matin, le personnel est invité à travailler sur une base volontaire, en étant payé au tarif des heures supplémentaires.
Vendredi 24 décembre. Réuni en assemblée générale, le personnel prend connaissance de l’offre patronale pour les mesures d’accompagnement: 1,2 million de fr. Par l’intermédiaire de Me Luc Recordon, la délégation du personnel a immédiatement fait une contre-proposition à hauteur de 7,6 millions de fr. L’assemblée donne clairement mandat à la délégation du personnel de ne pas accepter cette offre, totalement insuffisante, et de négocier un montant supérieur. Cette journée est aussi le début du pont de fin d’année, que les salarié·e·s chôment parce qu’ils l’ont rattrapé tout au long de l’année.
Mardi 28 décembre: Le comité de soutien organise, dans l’entreprise, la traditionnelle fête des enfants de Filtrona, suivi d’un repas, préparé lui aussi par le comité de soutien.
Mercredi 29 décembre: Nouvelle séance de négociations. La délégation du personnel demande officiellement, en invoquant la loi sur la participation, des informations précises sur l’avenir de l’entreprise. La direction refuse d’en donner, se contentant d’indiquer que la décision tombera en avril. La direction refuse de poursuivre les négociations sur les mesures d’accompagnement tant que le personnel n’a pas formellement voté sur sa proposition de 1,2 million. John Scollen, négociateur patronal, retourne à Londres. Une assemblée du personnel se tient le soir même à 18h30. 59 employé·e·s de Filtrona sont présents, compte tenu des vacances. L’offre de 1,2 million est refusée à l’unanimité. Le vote de l’ensemble du personnel aura lieu le 3 janvier.
Mercredi 29 décembre: L’assemblée du personnel est suivie d’une fête de solidarité avec le personnel de Filtrona, organisée par le comité de soutien. Elle a lieu dans la grande salle de Renens, mise à disposition par la Municipalité – Marianne Huguenin, qui en fait partie, ouvre la soirée. Près de 250 personnes participent à cette soirée, animée par des artistes bénévoles. Un succès.
Lundi 3 janvier: A 5h du matin, reprise du travail dans l’entreprise. A 13h, assemblée du personnel, afin de se prononcer sur l’offre patronale de 1,2 million. Sur 106 salarié·e·s présent·e·s, 104 votent non et 2 s’abstiennent. A 14h, reprise des négociations. La délégation du personnel dénonce le fait que des travaux en cours sont interrompus sans explication, comme si la direction voulait créer un climat d’insécurité et plonger artificiellement l’entreprise dans les chiffres rouges. Réponse confuse de la direction, qui donne néanmoins quelques garanties sur le volume de travail pour janvier 2005. La délégation patronale porte ensuite son offre pour les mesures d’accompagnement à 1,7 million. La délégation du personnel formule, de son côté, une revendication à 4,1 millions.
Mardi 4 janvier: Nouvelle assemblée du personnel, à laquelle sont présentées les négociations de la veille. Les 100 collègues présents refusent à l’unanimité la nouvelle offre patronale. A 14h, reprise des négociations. La délégation patronale a un argumentaire simple: la somme de 1,7 million est le maximum mis à disposition; c’est la responsabilité des représentants du personnel de faire accepter cela aux salarié·e·s. Elle menace aussi de retirer son offre en cas de reprise de la grève. Les représentants du personnel refusent d’entrer dans ce rôle. Un projet de convention est établi: il prévoit de nouvelles négociations les 13 et 14 janvier – le négociateur patronal John Scollen étant absent d’ici là – et enregistre la proposition patronale pour les mesures d’accompagnement ainsi qu’une offre plancher de 3 millions faite par la délégation du personnel.
Mercredi 5 janvier: L’assemblée du personnel est informée des négociations de la veille. A l’unanimité moins une opposition et deux abstentions, elle décide que le montant plancher pour un plan social ne doit pas être inférieur à 3,5 millions de fr. Elle prend note que de nouvelles négociations auront lieu les 13 et 14 janvier. Si le vendredi 14 janvier la direction de Filtrona n’a pas mis sur la table une offre acceptable pour des mesures d’accompagnement, la grève reprendra. Un préavis de grève dans ce sens est voté par le personnel par 79 voix contre 7 et 7 abstentions. D’ici là, les démarches pour renforcer le soutien au personnel de Filtrona, notamment en direction des autorités, vont se multiplier. Le soir, le comité de soutien fait le point sur son action et prépare de nouvelles activités.
De nouvelles négociations sont fixées les jeudi 13 et vendredi 14 janvier. D’ici là, le travail se déroule normalement. Mais la mobilisation du personnel est intacte. Des assemblées générales ont lieu régulièrement.
Mercredi 12 janvier: Le personnel débraie durant deux heures, de midi à 14h. Cet arrêt de travail permet aux salarié·e·s d’accompagner la petite délégation qui va rencontrer, à 13h, le conseiller d’Etat vaudois Jean-Claude Mermoud, remplaçant la cheffe du Département de l’économie, Jacqueline Maurer, en vacances.
Avant le départ du bus devant amener les salarié·e·s Filtrona à la place du Château, à Lausanne, le directeur Dylan Jones vient lire une nouvelle lettre de menaces. Ce sont des applaudissements qui ont accueilli la fin de cette lecture.
A la veille de la reprise des négociations avec la direction, la délégation du personnel de Filtrona, accompagnée par son avocat Luc Recordon, a ainsi pu exposer le point de vue des salarié·e·s aux autorités cantonales. Le conseiller d’Etat a expliqué qu’une éventuelle intervention n’aura lieu que si les négociations directes échouent.
Mercredi 12 janvier: Un tract expliquant la lutte des salarié·e·s de Filtrona Crissier a été distribué en anglais, italien et allemand dans plusieurs succursales du groupe, avec l’aide de l’UITA (Union internationale des travailleurs de l’alimentation). A Jarrow, en Grande-Bretagne, le directeur général du secteur Filtres de Filtrona, David Webster, se sent obligé de répondre à ce tract et d’exposer le point de vue de la direction. Les syndicats ont touché un point sensible.
Jeudi 13 janvier: Reprise des négociations entre la direction et les représentant·e·s du personnel. La direction ne fait aucune nouvelle proposition et annonce la venue, pour le lendemain, de David Webster, directeur général du secteur Filtres.
Vendredi 14 janvier: David Webster met sur la table ce qu’il présente comme la dernière offre de Filtrona/Bunzl: 2 millions pour un plan social. Il ferme la porte à toute poursuite des négociations. Cette proposition est présentée au personnel réuni à 13h en assemblée générale. Elle est massivement rejetée par le personnel, qui maintient sa revendication d’un montant d’au moins 3,5 millions.
Le Conseil d’Etat, averti de la situation, annonce qu’il va contacter la direction pour lui demander de faire une meilleure proposition. L’assemblée générale du personnel décide de laisser une chance à cette démarche. Le préavis de grève est prolongé jusqu’au lundi 17 janvier.
Samedi 15 janvier: Le quotidien Le Courrier reproduit l’opinion de Roger Piccand, chef du Service de l’emploi du canton de Vaud: «Ce que l’on peut affirmer, c’est que le montant offert par l’entreprise est au-dessous de ce que l’on a pu voir ces derniers mois» en matière de plans sociaux dans la région.
Lundi 17 janvier: Nouvelle assemblée générale du personnel, qui doit se prononcer sur la grève. Très forte participation. La direction n’a fait aucune nouvelle proposition. Les avis pour et contre la reprise de la grève sont échangés. La décision est difficile. Il est annoncé qu’une majorité de 60% sera nécessaire pour que la reprise de la grève soit effective. Sur 118 salarié·e·s participant au vote, 79 se prononcent pour la grève, 26 contre et 13 s’abstiennent. Soit une majorité de 67% des votants pour la grève. Les machines s’arrêtent immédiatement. Tout le monde participe. Les piquets de grève pour la journée et pour la nuit sont mis sur pied.
La direction réagit à la grève en saisissant immédiatement l’Office cantonal de conciliation. En même temps, elle multiplie les menaces: le montant de 2 millions pour un plan social est retiré; les salarié·e·s en grève sont sommés de quitter l’entreprise. Ce qui est refusé.
Mardi 18 janvier: L’assemblée générale du personnel reconduit la grève pour un jour. L’après-midi, une délégation du personnel se rend à Berne: le conseiller fédéral Joseph Deiss, chef du Département de l’économie, a accepté de recevoir des représentant·e·s du personnel. La rencontre a lieu à 16h. Le personnel demande que la Loi sur la participation – qui assure le droit d’être informé à temps sur l’avenir de l’entreprise et de pouvoir faire des propositions – ainsi que les usages en matière de plans sociaux soient respectés. Deiss refuse de «prendre parti» et il prône la négociation. Il annonce aussi qu’il prendra contact avec le directeur de Filtrona Dylan Jones. Cette rencontre est cependant une confirmation de l’importance de la lutte menée par les salarié·e·s de Filtrona.
Mardi 18 janvier: Le personnel de Crissier prend connaissance de la réponse du directeur de Filtrona international, Mark Harper, à un fax de Ron Oswald, secrétaire général de l’UITA, l’internationale syndicale des travailleurs de l’alimentation. L’UITA s’était adressée à Bunzl/Filtrona le 11 janvier. Harper s’inquiète du fait que les cigarettiers aient été alertés du conflit de Crissier par l’UITA. Il dit vouloir résoudre le conflit «à l’amiable»…
Mardi 18 janvier: Le personnel de Crissier est averti par les salarié·e·s de l’usine de Filtrona à Greensboro, aux Etats-Unis, du fait qu’une machine particulièrement performante y a été démontée et expédiée au Mexique. Plusieurs postes de travail ont été supprimés. Cela confirme que Filtrona est engagé dans une vaste opération de restructuration à l’échelle internationale. La dureté de la direction face aux revendications légitimes des salarié·e·s de Crissier est à mettre en rapport avec ce fait.
Mercredi 19 janvier: La grève est, une nouvelle fois, prolongée de 24 heures. Deux représentant·e·s de l’UITA viennent apporter leur soutien aux grévistes. L’Union internationale des travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture, de l’hôtellerie-restauration et du tabac (UITA) représente 2,7 millions de travailleurs dans le monde. A propos de Bunzl, une des représentantes de l’UITA déclare: «Nous avons découvert un groupe arrogant qui méprise tant les salariés que les syndicats ou les représentants politiques.»
Jeudi 20 janvier: L’assemblée du personnel de 13h prolonge la grève jusqu’au lendemain. Tous les salarié·e·s ont reçu de la direction un courrier recommandé leur intimant d’indiquer individuellement s’ils participent ou non à la grève. Les personnes qui disent ne pas participer à la grève sont invitées à rester chez elles, dans l’attente d’un appel de la direction pour retravailler. L’assemblée du personnel invite tous les salarié·e·s à refuser de répondre à cette lettre qui constitue une nouvelle tentative de coercition.
Dans l’après-midi, le président de l’Office cantonal de conciliation, Me Journot, rencontre séparément les représentant·e·s de la direction, puis du personnel. Le but est de préparer la séance de l’Office de conciliation, fixée au mardi 25 janvier. Le président de l’Office annonce aux parties qu’il fera le 25 une proposition pour résoudre le conflit. En cas d’échec, l’Office sera définitivement dessaisi du dossier. Il demande au personnel une reprise la plus rapide possible du travail. En cas de reprise du travail, il annonce qu’il demandera à la direction de retirer ses lettres de menaces au personnel.
Vendredi 21 janvier: Assemblée générale du personnel. Une information est faite sur la rencontre avec Me Journot. La commission élargie du personnel propose de suspendre la grève dès 13h. Cela n’affaiblit pas, à son avis, les salarié·e·s face à la direction. Cela ouvre la voie à des négociations et montre la bonne volonté du personnel. Cela permet d’économiser des forces et des ressources financières, si les négociations échouent et qu’une reprise de la grève s’impose. Le personnel n’est pas enthousiasmé par cette nouvelle reprise du travail: quelles sont les garanties du côté de la direction? La reprise du travail est cependant votée. Elle a lieu immédiatement.
Samedi 22 janvier: Le comité de soutien aux travailleurs de Filtrona organise une manifestation de solidarité à Lausanne. Rassemblement à 14h à la place Saint-François, puis défilé dans la capitale vaudoise. Les salarié·e·s de Filtrona sont aux premiers rangs. Au total 800 personnes pour soutenir cette lutte et l’expliquer à la population. Un grand succès qui confirme la détermination des salarié·e·s comme la popularité de leur combat.
Lundi 24 janvier: A 24 heures de la séance de l’Office de conciliation, la direction joue les provocations. Elle a annoncé son intention de déménager mardi 25 janvier, dès 10h, une machine du site pour la transférer aux Etats-Unis. Or c’est justement le démontage de cette machine qui a notamment mis le feu aux poudres, et amené les salarié·e·s à se mettre en grève le 30 novembre. De plus, les conventions de l’Office de conciliation ont toujours contenu une clause prévoyant que tout démontage de machines est interdit durant les négociations. Ce transfert de machines est le symbole le plus clair du pillage de l’entreprise de Crissier par Filtrona international. Le personnel, réuni en assemblée générale, réaffirme son opposition à ce transfert. Il choisit cependant de ne pas se mettre en grève, voyant dans la menace de la direction une provocation. Il demande au président de l’Office de conciliation d’intervenir pour s’opposer à ce transfert, ce que ce dernier fait.
Mardi 25 janvier: A 10h30, moins d’une heure avant le début des négociations, la direction fait emporter la machine par une entreprise extérieure. L’intervention de l’Office de conciliation n’a eu aucun effet.
La direction et les représentants du personnel se retrouvent durant presque 12 heures d’affilée devant l’Office de conciliation. Le message de la direction est d’une extrême brutalité. Elle rejette l’offre du président de l’Office pour un accord. Elle refuse toute négociation. Elle dicte sur les points essentiels ses conditions pour un accord. Elle affiche clairement son intention de fermer l’entreprise, immédiatement si la grève reprend. Un projet de convention à soumettre au personnel est finalement établi.
Mercredi 26 janvier: A 13h, une très longue assemblée du personnel a lieu pour prendre connaissance du projet de convention et se prononcer à son sujet. Les frustrations et la colère sont évidemment très grandes. La direction n’a rien offert de plus pour le plan social. Les auxiliaires en sont exclu·e·s. La paix du travail est imposée. Sans oublier que la perspective de la fermeture de l’usine est encore plus confirmée. Mais pour briser le mur patronal, il faudrait franchir un nouvel échelon dans la lutte. La commission du personnel dans sa majorité et le syndicat ne pensent pas que cela soit possible. A contrecœur, ils recommandent donc l’acceptation de cette convention. Au vote, elle est acceptée par 91 voix contre 6 et 16 abstentions. Ce vote clôt cette étape de la lutte des salarié·e·s de Filtrona. Mais le combat devra se poursuivre: pour assurer le respect de la convention signée, pour s’opposer dans la période à venir aux tentatives de division et de détérioration des conditions de travail.
Samedi 29 janvier: Meeting international de solidarité avec les salarié·e·s de Filtrona Crissier.
M-Magazine, numéros 20-2004, 1 et 2-2005
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