Genève
 
 

Accord entre le Conseil d‘Etat et le Cartel de la fonction publique

Une défaite sans combat

Mouvement pour le socialisme, section de Genève

Mai 2004: 10'000 fonctionnaires dans la rue. Automne 2004: une journée nationale sur le service public mobilise quelques centaines de personnes, puis… on attend les élections d’octobre 2005 qui amèneront un gouvernement de gauche à Genève, le premier depuis des décennies.

Et ce mercredi 13 septembre 2006, le dernier acte de la « comédie » qui se joue depuis plusieurs mois entre le Cartel de la Fonction publique et le Conseil d’Etat s’est conclu par la signature d’un accord portant sur un nouveau mode de rétribution des fonctionnaires autant que sur leur statut à travers une procédure de licenciement facilité. Et, pire encore: il semblerait que c’est seulement deux jours avant la signature que le Conseil d’Etat ait ajouté au protocole d’accord une clause de non lutte !

En arrière-fond de tout cela: l’engagement que le Conseil d’Etat a pris lors de son discours d’investiture à la Cathédrale de Saint-Pierre de faire retrouver à Genève l’équilibre budgétaire d’ici 2009.

Autre élément décisif: en mai 2004, alors que des milliers de fonctionnaires sont dans la rue, le Parti libéral lance son projet de suppression totale du statut qui, rappelons-le n’existe plus qu’à Genève et au Tessin. Le projet est aujourd’hui terminé et prêt à être soumis au Parlement, où il ne fait aucun doute qu’il sera accepté. De mois en mois, la fonction publique craint que le vote de ce projet de loi ne soit mis à l’ordre du jour d’une séance du Grand-Conseil et c’est sous cette épée de Damoclès que se sont déroulées les négociations avec le Conseil d’Etat qui prétend vouloir faire alliance avec le personnel pour barrer la route à ce projet de la droite. Le Conseil d’Etat n’a eu de cesse de répéter qu’il tenait autant que nous au statut de fonctionnaire et que la recherche d’un accord entre lui et les associations n’avait d’autre fonction que de faire reculer les libéraux en leur montrant « de la bonne volonté » entre le Conseil d’Etat-patron et ses fonctionnaires. Cet accord, signé avec un conseil d’Etat à majorité dite « de gauche » est donc censé calmer assez le parti libéral pour pouvoir espérer qu’il renonce à faire voter par le parlement (à majorité de droite) son projet de suppression pure et simple du statut de fonctionnaire.

Que le Cartel ait signé cet accord n’est pas très étonnant, puisqu’il a été mis sous pression par le projet de loi libéral de la manière qui vient d’être évoquée. Et il et vrai aussi que la perspective évoquée dès le début des négociations d’introduire un 13ème salaire pour tous les employés dès la première année a séduit plus d’un fonctionnaire ne recevant depuis des années que des « bouts » d’annuités ou de primes de fidélité, sans cesse gelés, différés, etc. Mais en échange, le Cartel a dû accepter (même s’il a eu la coquetterie d’exiger que l’accord notifie son désaccord sur ce point…) de voir sa protection contre le licenciement affaiblie.Le Conseil d’Etat a dit sans détour ni fausse pudeur tout au long des négociations que c’était bien un gage qu’il s’agissait de donner à la droite et qu’il était évident que celle-ci ne se contenterait pas de moins qu’une concession sur ce qui la dérange le plus dans le statut de fonctionnaire, à savoir la dite impossibilité de licencier. Mais qui peut sérieusement croire que la droite idéologique genevoise se satisfasse de cet accord et qu’elle n’y lise pas au contraire le signal d’une défaite syndicale sans précédent permettant d’attaquer sans crainte de riposte ?

Ce qui est étonnant en revanche, dans ce contexte, c’est le silence assourdissant du Syndicat des Services Publics (SSP) pendant tous ces mois de « discussion » avec le Conseil d’Etat, alors qu’au mois de mars de cette année encore, il semblait exister au sein du SSP une minorité très critique qui avait dénoncé un accord salarial Conseil-d’Etat/Cartel portant sur 2006. Même si ces voix ne s’étaient manifestées qu’en dernière minute, ne se laissant ni le temps de mobiliser qui que ce soit ni la possibilité matérielle d’influer sur le cours des négociations, ces voix existaient encore, et elles donnaient l’impression d’une certaine radicalité - verbale au moins - du SSP. Et à l’intérieur du Cartel, les positions traditionnellement plus critiques du SSP et ses quelques voix discordantes connues qui s’exprimaient volontiers en comités ou assemblées, empêchaient celui-ci de s’endormir tout à fait.

Mais entre mars et septembre, plus rien. Il y a eu l’été c’est vrai, peu propice aux activités syndicales, mais tout de même. Ne s’est-il trouvé personne au SSP pour estimer qu’il était nécessaire de faire entendre au Cartel un quelconque désaccord sur les négociations ayant cours en juillet et août ? Pourquoi le SSP a-t-il renoncé à envoyer dans les discussions Cartel-Conseil d’Etat des délégués ayant une position critique ? Pourquoi ? Par manque de force ? Par tactique ? Stratégie ?

Lors de l’Assemblée des Délégués du Cartel du 31 août 2006, l’organe décisionnaire du Cartel, le protocole d’accord a été accepté par tous les délégués de toutes les composantes (42 oui), moins seulement 4 absentions et une opposition dans les rangs du SSP qui a droit à 11 délégués mais dont seuls 7 étaient présents ce jour-là.

Ce n’est que le lundi suivant (11 septembre), deux jours avant la signature de l’accord et alors que celui-ci avait déjà été accepté par l’Assemblée sus-mentionnée,  que le comité de région du SSP s’est tout à coup opposé à l’accord, un nouveau point y ayant été rajouté en dernière minute par le Conseil d’Etat, la fameuse clause de paix syndicale évoquée plus haut. Il est clair que le SSP a eu raison, mais que signifie une opposition sur ce seul dernier point, alors que sur le fond, le SSP n’a montré aucun signe de divergence profonde sur tout le reste de l’accord ni avec la politique générale du Cartel ? En effet, à l’exception de cette clause de non lutte, le SSP a accepté cet accord et n’a mené aucune politique constructive d’opposition.

Ce qu’il faut peut-être ajouter encore, c’est qu’une assemblée générale de la fonction publique, convoquée par le Cartel, devait se réunir le soir précédent  la signature de cet accord avec le Conseil d’Etat (le 12 septembre). Mais dans un éclat de génie foudroyant, le SSP a eu la bonne idée de sortir juste avant un faux tract du Cartel en utilisant le logo de celui-ci afin d’appeler à cette assemblée générale et en faisant usage d’un ton critique à l’égard des accords devant être signés le lendemain! Furieux contre le SSP, le Cartel a donc décidé en dernière minute d’annuler cette assemblée générale ! ! ! Les méchantes langues diront que le SSP ne pouvait offrir de plus beau cadeau au Cartel, inquiet par-dessus tout d’avoir à faire à sa base… (ou inquiet de devoir constater… qu’il n’y a plus de base du tout). Comment est-il explicable que le Cartel n’ait pas saisi cette occasion d’aller devant une assemblée générale dire que cette « paix de travail » était inacceptable et qu’il n’était pas possible de signer l’accord dans ces conditions ? Comment le Cartel a-t-il pu être plus fâché contre la manœuvre du SSP que contre celle du Conseil d’Etat cherchant deux jours avant l’accord à nous mettre encore plus à genou ?

Mais l’accord offre un strapontin de consolation à ses fonctionnaires nus: l’accord stipule aussi (au point 5) que les suppressions de postes se feront en collaboration avec les associations et syndicats du personnel ! La boucle est bouclée: les syndicats et organisations professionnelles seront utilisés pour faire le travail de gestion des effectifs des chefs du personnel et leur rôle se rapprochera ainsi de plus en plus de celui des commissions d’entreprise dans le privé.

Un dernier point qui frappe dans cet accord: où se trouvent donc les mots « service public » ou « prestations à la population que le Cartel a toujours prétendu avoir à cœur au cours des dernières années…?

 
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