Négociations salariales dans la construction
 
 

Gros œuvre: durcissement patronal
et gesticulations syndicales

Alan Stermix

L'article ci-dessous décrit l'échec des négociations salariales dans le secteur principal de la construction (gros oeuvre). Or, comme l'écrit unia sur son site, «fort de quelque 45'000 membres, le secteur du bâtiment est un pilier stratégique de l’organisation syndicale d’Unia. […] Le secteur principal de la construction connaît le plus fort taux de syndicalisation au sein d’Unia». C'est donc un bastion syndical qui vient de subir une défaite quasi sans combat. Comme le signale l'auteur de l'article, cela ne peut pas rester sans conséquence sur les conditions de travail de l’ensemble des salariés.

Au-delà de ce constat, la question se pose de la possibilité d'une riposte de la part des salarié·e·s. Alan Stermix demande – réthoriquement ? – si la direction d'Unia sera capable «d’initier une contre-attaque», mais son article ne donne guère d'espoirs en ce sens. Quelles perspectives proposer aux salarié·e·s de ce secteur, et dans quel cadre ?

A l’heure où l’Union syndicale suisse (USS) se félicite des «bons» résultats salariaux obtenus jusqu’ici (plusieurs accords se soldent par des augmentations d’environ 2% alors que la revendication initiale était de «4% pour tous mais plus pour les femmes», selon le mot d’ordre de la manifestation du 23 septembre dernier à Berne), un point noir de taille doit néanmoins être ajouté à ce tableau considéré par les directions syndicales comme réjouissant: l’échec des négociations salariales dans le secteur principal de la construction (gros œuvre) malgré la bonne conjoncture que connaît la construction depuis 2005.

Une revendication initiale…

La revendication initiale des syndicats Unia et Syna était de 220 francs d’augmentation pour tous, celle-ci correspondant aux 4% demandés par les syndicats affiliés à l’USS. Malheureusement, les directions syndicales ne se sont absolument pas données les moyens d’obtenir satisfaction et ont très mal évalué la dureté de la résolution patronale dans ce secteur. La construction connaît en effet depuis plusieurs années à la fois un accroissement important de la productivité du travail (+15% en 5 ans [*] selon le Secrétariat d’Etat à l’économie - Seco) et un processus de déstructuration des conditions de travail garanties par la convention nationale (prise comme exemple d’une convention de force obligatoire fixant des salaires minimaux sur le plan national et concernant environ 90'000 salariés). Ce dernier se manifeste par le développement de la sous-traitance en cascade orchestrée par les grandes entreprises de la branche, le travail au noir ou encore l’explosion du travail temporaire (encore accrue avec les accords bilatéraux et ses permis de moins de 90 jours). Le dernier renouvellement conventionnel (en 2005) a fait payer la facture de cette évolution aux salariés en libéralisant de fait le travail du samedi et en augmentant la flexibilité du temps de travail. Le patronat, regroupé dans la Société Suisse des Entrepreneurs (SSE), est donc à l’offensive et compte bien poursuivre sur sa lancée, comme le prouve le déroulement des négociations salariales dont un des objectifs était de mettre les syndicats à genoux.

… rabotée de moitié…

Après un jeu de cache-cache (rupture des négociations, puis retour aux pourparlers avec une «proposition» d’augmentation de 50 francs pour tous et 25 francs au mérite, proposition balayée par les syndicats), la SSE a fait une dernière offre aux syndicats, quasiment identique à la proposition initiale: 60 francs pour tous et 30 francs au mérite, offre également rejetée par les conférences professionnelles des syndicats Unia et Syna du 9 décembre. Les négociations salariales se trouvent donc dans une impasse totale due à l’impréparation d’une stratégie de lutte digne de ce nom après la manifestation du 23 septembre à Berne. Aucune mobilisation n’a été organisée hormis deux mini-actions symbolico-médiatiques qui n’ont pas fait évoluer le rapport de forces. Le plus frappant dans cette négociation est la réussite de la stratégie patronale d’affaiblissement des syndicats puisque lors du dernier round de négociations du 27 novembre, ceux-ci avaient baissé leurs exigences de moitié en proposant un accord pour une augmentation de 110 francs pour tous, ce qui représente déjà une formidable défaite en tant que telle. Dès lors, l’affirmation d’Unia de mener «une campagne de lutte sur les chantiers, afin que son exigence minimale de 110 francs pour tout le monde se concrétise» (communiqué de presse du 9 décembre dernier), sonne comme un vœu pieux: on imagine mal une lutte d’ampleur pour un montant diminué de moitié par rapport à la revendication initiale, le difficile travail de mobilisation étant de plus entravé par le sentiment légitime que le jeu n’en vaut pas la chandelle.

… traitée avec mépris par les patrons

La SSE déclare que, pour elle, le dossier des salaires 2007 est bouclé: elle a fait de l’augmentation au mérite une affaire de principe et a d’ores et déjà émis une recommandation (sans aucun caractère contraignant) à ses membres d’accorder une augmentation de 1% pour tous et 0.5% au mérite (soit encore moins que l’offre rejetée par les syndicats...). 

Enjeux à plus long terme…

Ces négociations revêtaient, qui plus est, une importance double puisqu’il s’agissait également d’un avant-goût des négociations partielles qui devraient avoir lieu au printemps prochain. La tenue de négociations partielles était en effet une des exigences de la SSE lors de la signature du renouvellement conventionnel de l’année dernière afin de pouvoir poursuivre son démantèlement en négociant des détériorations à des intervalles toujours plus rapprochés. Cette fois-ci, c’est la protection contre le licenciement en cas de maladie ou d’accident, largement supérieure au minimum légal inscrit dans le Code des Obligations, qui est visée. Cela représenterait une détérioration d’ampleur dans ce secteur dans lequel les conditions de travail se font de plus en plus pénibles.

Face au blocage des négociations salariales et à l’état du rapport de forces qu’il révèle, les syndicats n’ont que peu à gagner dans ces négociations partielles et seraient bien avisés de les refuser. Reste que, nouvelle illustration du durcissement unilatéral des relations entre «partenaires sociaux», les employeurs ont menacé de dénoncer la convention nationale si ces négociations n’avaient pas lieu (une menace déjà brandie en cas d’échec des négociations salariales). Face à ce radicalisme patronal, il est urgent de préparer la riposte du côté syndical et d’embrancher une mobilisation pour le rattrapage de la perte du pouvoir d’achat et la défense des conditions de travail. La direction d’Unia est-elle encore capable d’initier une telle contre-attaque, ou sa stratégie va-t-elle la diriger vers le marché de dupes que constituerait l’«échange» d’une augmentation de salaire contre un nouveau démantèlement de la convention nationale ?

… et au-delà du secteur de la construction

Au-delà de l’échec de ces négociations salariales, la situation dans le secteur principal de la construction est révélatrice de l’état véritable du rapport de forces entre le patronat et les salariés. La convention nationale de la construction constitue en effet une CCT de référence pour les autres secteurs bénéficiant d’une convention collective de travail. De plus, il existe encore dans cette branche une certaine tradition: on sait que c’est en se mobilisant que l’on peut obtenir des améliorations (notamment la retraite à 60 ans acquise après la journée de grève du 4 novembre 2002). Il est évident que le passage de la disponibilité à la lutte à la mobilisation effective nécessite un long travail syndical d’explication et des expériences collectives, un travail qui fait défaut actuellement. L’attaque patronale vise donc à la fois à poursuivre le démantèlement des conditions de travail (que cela passe par une période de vide conventionnel ou non), mais également à mater la disponibilité pour la mobilisation des salariés. Une telle offensive, sans qu’un véritable projet de riposte syndicale ne soit planifié, ne restera pas sans conséquence sur les conditions de travail de l’ensemble des salariés…

* Une malheureuse faute de frappe non corrigée avait fait écrire ici 15 ans dans la première version parue sur ce site. C'est bien 5 ans qu'il faut lire.