NON à lattrape-couillon du 22 septembre
Jaime à croire que dans ce canton ils existent, ceux qui sarmant de courage, se sont donné la peine de lire, en pesant chaque mot, en analysant sérieusement chaque disposition, lancienne Constitution et le texte proposé aujourdhui; et qui, en leur âme et conscience, ont comparé de façon approfondie et sans arrière-pensées les deux versions. Je ne donnerai pas ma tête à couper quils soient très nombreux, même parmi les constituants. A ceux qui se sont imposé cet exercice, je dis bravo, pour leur persévérance, leur obstination, leur sens des responsabilités. Il leur en a fallu du courage pour lire un texte indigeste, lourd, rédigé trop souvent dans un français «approximatif» et «abscons». Ceci pour le côté «formel» du texte.
Quant au contenu, il mériterait à lui seul un traité de droit constitutionnel épais. Quelques exemples.
Lart. 9 prescrit: «La dignité humaine est respectée et protégée.» Cest un texte fondamental et combien important. Mais dites-moi à quoi se mesure pour vous la dignité humaine? Pour moi cest le droit davoir un travail, de pouvoir sortir la tête haute, le regard droit, parce que lon exerce dans la société une fonction, si modeste soit-elle. Cest ne pas devoir aller timbrer au chômage, en frôlant les murs, en priant le ciel quil vous épargne la rencontre de quelquun qui vous connaisse.
Cest avoir dans sa poche quelques sous pour soffrir un potage dans un restaurant. Allez, mes chers concitoyennes et concitoyens, allez rien quune fois «faire la queue» à la soupe populaire. Cherchez le regard, et supportez-le, de celui qui vous demande deux francs pour sacheter un café et un bout de pain...
Faites une fois leffort de rencontrer une femme abandonnée par son mari qui ne paie pas la pension alimentaire. Elle doit aller tendre la main (il y a un bureau pour cela à lEtat), pour obtenir la pension à laquelle elle a pourtant droit, et quelle doit sengager à rembourser plus tard... Je pourrais continuer à vous citer les cas où la dignité humaine nest, pour reprendre le texte de la Constitution, ni respectée ni protégée. Mais à quoi bon, vous avez ce texte devant vous, il suffit simplement de le lire honnêtement.
Ainsi, on lit à lart. 60: «Les communes assurent à chaque personne habitant le canton les conditions dune vie digne.» Jai toujours cru, et cest ce que lon me disait à lécole primaire, que le travail assurait à chacun sa dignité. Mais voilà, la Constitution ne garantit pas le droit au travail. On lit aussi plus loin, à lart. 68, «que lEtat doit faciliter laccueil des étrangers». Mais dites-moi, est-ce «faciliter laccueil» que de dérouler des fils barbelés le long de la frontière. Je ne dirai rien non plus, ce serait de mauvais goût de lobligation faite à lEtat et aux communes de veiller à une occupation rationnelle du territoire et à une utilisation rationnelle des sols. Je ne peux mempêcher de me demander si lEtat na tout simplement pas délégué cette obligation, qui est la sienne, aux promoteurs immobiliers, passés maîtres en matière dutilisation «rationnelle» des sols.
Prenez la Constitution, lisez-la honnêtement en ayant toujours présent à lesprit lamour de la justice, de la solidarité. Si vous ne bondissez pas parfois de rage, de honte, quon ait le front de vous proposer au début du troisième millénaire des dispositions aussi peu respectueuses et disons-le aussi méprisantes de la personne humaine, méprisante de la dignité de la personne humaine, cest à désespérer.
Je rêve, mais cela fait parfois du bien, que la majorité des gens que lon côtoie sont des gens de bien, pour qui lautre est vraiment le prochain. Je veux espérer quils sont encore nombreux ceux-là à qui leur conscience dictera leur conduite et quils prendront le texte quon leur soumet comme il se doit, cest-à-dire avec des pincettes; et quils lenverront où il mérite de se retrouver... cest-à-dire à la poubelle.
Roland Troillet, constituant, ancien député [du Parti socialiste], 24 heures du 4/09/2002
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