Après les eaux minérales:
le climat en bouteille ?
Charles Barbey *
Note préliminaire pour ceux qui …
Pour une large part, le réchauffement climatique provient du gaz carbonique, le CO2 . Sa formule chimique signifie qu’il est composé de deux éléments: le carbone et l’oxygène (un atome C de carbone et deux d’oxygène O2). En ce qui concerne notre propos, il s’agit ici du CO2 provenant de la combustion (combinaison avec l’oxygène) de produits organiques comme le pétrole, le charbon, le gaz (méthane, butane, propane…) ou encore le bois, par exemple. En effet, ces produits sont essentiellement constitués autour du carbone (de là la chimie dite organique). Les plantes absorbent le CO2 pour développer leur propre structure. Evidemment, les arbres absorbent de grandes quantités de CO2 , «piégeant» ainsi le carbone.
Enfin, si le CO2 peut être utilisé pour forcer la croissance des plantes, il y a toutefois une limite au-delà de laquelle le «truc» ne marche plus ! Notons encore que le CO2 en tant que tel est effectivement inoffensif en très petite quantité et sans odeur. Cependant, une trop grande quantité de CO2 ne permet plus de respirer correctement avec le risque, selon la quantité, d’être mortel par asphyxie. Les (anciens) vignerons connaissaient bien ce phénomène puisqu’ils descendaient à la cave avec une bougie allumée pour contrôler le niveau de CO2 provenant de la fermentation du moût de raisin. En effet, le CO2 est plus lourd que l’oxygène et prend donc la place de ce dernier dans une cave fermée.
La contestation du réchauffement climatique
En mai 2006, ExxonMobil déclare que le CO2 est «un gaz inoffensif indispensable à la croissance des plantes». Ce genre de déclaration est foncièrement malhonnête, car à partir d’une certaine quantité dans l’atmosphère, le CO2 , comme on l’a dit ci-dessus, n’est pas inoffensif.
Il est vrai que la compagnie ExxonMobil a été particulièrement engagée dans la campagne de désinformation sur le réchauffement climatique en étant très active au sein de la Global Climate Coalition, organisation née en 1989 et comprenant, entre autres, des entreprises telles que Texaco, General Motors, Ford, British Petroleum (BP).
Cette organisation a milité d’abord contre le protocole de Kyoto (adopté le 11 décembre 1997), protocole «exigeant» la réduction de 5%, par rapport à l’année 1990, des gaz à effet de serre pour la période 2008-2012.
Cette organisation milite contre le Groupe International d’Experts pour l’Etude du Climat(GIEC)en cherchant à discréditer les conclusions scientifiques de ce dernier (le GIEC est issu de l’Organisation météorologique internationale et du PNUD: Programme des nations unies pour le développement).
D’ailleurs, c’est pour des raisons analogues que, le 4 septembre 2006, Bob Ward de la «Royal Society» – l’académie des sciences de Grande-Bretagne – se voit obligé d’écrire une lettre de mise au point à Esso UK Limited afin de protester sur la manière peu scientifique dont cette entreprise combat l’idée d’un réchauffement climatique.
Actuellement, et c’est un signe des temps, le camp des personnes qui refusent d’admettre que le réchauffement climatique provoqué par les activités industrielles et humaines est une réalité ne cesse de se faire plus petit. Face à l’évidence du réchauffement climatique, la même ExxonMobil, et ce après une rapide «reconversion», investit dans la recherche sur le stockage du CO2 ! Le stockage du CO2 est une opération consistant à récupérer le CO2 produit dans une centrale thermique, par exemple, et à le stocker plutôt que de l’envoyer directement dans l’atmosphère. Nous verrons plus loin – rapidement – de quoi il s’agit.
Examinons maintenant une autre démarche. Sans doute dans un esprit moins pragmatique, l’on peut curieusement voir un «socialiste» et ancien ministre de l’Education, Claude Allègre, commettre un article assez surprenant dans le Figaro du 29 janvier 2007, surprenant surtout de la part d’un professeur émérite à l’Institut de physique du globe à Paris. En effet, dans cet article intitulé «Le réchauffement climatique, que fait la France ?», il y est expliqué, en prenant le contre-pied des thèses de M. Hulot, que la cause du réchauffement: «… est peut-être humaine ou naturelle, mais ce n’est pas ici le sujet du débat puisque, suivant les experts eux-mêmes, les mesures prises aujourd’hui n’auront d’effet que dans cinquante ans au plus et qu’il ne s’agit en un siècle «que» d’un réchauffement possible de 2 à 3° degrés et d’une élévation du niveau de la mer de 30 à 40 centimètres.».
On peut admirer le sens particulier de sa logique: à la question de savoir d’où vient le réchauffement, M. Allègre répond que son origine est sans importance… puisque les mesures prises n’auront d’effet que dans cinquante ans!
On ne peut que rester perplexe devant une telle affirmation. Et cela d’autant que le quatrième rapport d’évaluation du GIEC de 900 pages – qui sera publié par étapes jusqu’en novembre 2007 (www.ippc.ch) – marque un changement à la fois quantitatif et qualitatif. Non seulement celui-ci corrobore les analyses des rapports précédents, mais il confirme également que le réchauffement climatique moyen d’origine anthropique se situera entre +2°C et +4,5°C .
Quelques remarques sur ce qu’implique le réchauffement climatique
Il est nécessaire de bien comprendre qu’il s’agit de températures moyennes sur l’ensemble de la planète. Or, cela signifie (puisque nous avons affaire à une moyenne) que les températures pourront varier d’une région à une autre.
De manière générale, sur les parties émergées (les continents), les températures seront plus hautes qu’au niveau des océans, compte tenu de l’inertie thermique plus grande de l’eau. On sait aussi avec certitude que cela va modifier le régime des eaux (pluie, humidité) entraînant une modification des régimes agricoles et des types de végétation pouvant conduire jusqu’à la sécheresse dans certaines régions, en particulier dans celles qui sont déjà défavorisées, avec en prime une extension possible de telles régions sinistrées.
Il est aussi nécessaire de saisir que nous ne devons pas considérer uniquement la hauteur de la variation de température en tant que telle, mais sa hauteur en fonction de son déroulement dans le temps: à l’échelle du développement des espèces et de la géologie, une durée de 30 à 50 ans, c’est un instantané, c’est-à-dire un choc ! La rapidité d’une telle évolution entraînera le fait que certaines espèces ne pourront pas s’adapter, faute de temps.
Outre l’incidence du réchauffement sur les courants marins et son incidence sur la vie de la faune sous-marine, il faut ajouter à cela les risques de prolifération de maladies, par exemple, transmises par certains moustiques qui peuvent migrer vers des régions qui autrefois étaient plus froides ou encore volerà des altitudes ou la température protégeait les habitants de ce moustique. Citons Paul Epstein, directeur adjoint de l’Institut pour la santé et l’environnement à l’Ecole de médecine de Harvard aux Etats-Unis: «La dengue, une grave maladie virale qui ressemble à une grippe et qui cause parfois des hémorragies internes fatales, s’étend aussi. La maladie touche aujourd’hui 50 à 100 millions de personnes dans les régions tropicales et subtropicales (surtout dans les villes). Elle a élargi sa zone d’endémie aux deux Amériques au cours des dix dernières années et, vers le Sud, a atteint Buenos Aires à la fin des années 1990. Elle a aussi progressé dans le Nord de l’Australie. Pour le moment, il n’existe ni vaccin ni médicament spécifique.» (Paul Epstein, «Les risques de prolifération des maladies», Dossier sur le climat de Pour la science, janvier-mars 2007, page 42).
Nous avons donc affaire à une «perturbation» qui va s’étendre assez rapidement sur l’ensemble de la chaîne alimentaire, sur la santé publique et sur la qualité de vie en général, en commençant par frapper plus particulièrement les défavorisés du Nord comme du Sud. La prise rapide de mesures techniques et sociales des plus sérieuses afin d’atténuer l’ampleur de ce choc thermique est donc une question essentielle.
Les taxes et la marchandisation de polluer
Bien entendu, lorsqu’on parle de mesures sérieuses à l’échelle planétaire, cela signifie qu’il est illusoire de prétendre résoudre cette question, comme c’est la manie des écologistes proclamés, par une simple taxe sur la consommation d’énergie par exemple.
Une taxe n’est rien d’autre qu’une marchandisation du droit de polluer. Une telle mesure ne saurait être ni une réponse à la problématique du réchauffement général, ni n’indique une manière d’utiliser de façon plus intelligente l’énergie.
En effet, en prenant un exemple imagé, mais pas aussi absurde qu’il n’y paraît à première vue, cela reviendrait à introduire une taxe sur la consommation obligatoire d’une eau impropre, afin que le salarié lambda s’empoisonne un peu moins en réduisant sa consommation d’eau sous l’effet d’une hausse du prix de celle-ci.
A partir d’un tel exemple, la seule idée qui devrait venir à l’esprit serait d’examiner en priorité les deux aspects suivants: la manière dont cette eau est produite ainsi que la manière dont elle est distribuée afin de trouver une solution.
Autre aspect, les taxes sur la consommation d’énergie ont pour effet de déresponsabiliser , de «rendre neutre», l’organisation capitaliste de la production et de la consommation quant à ses effets sur l’environnement.
Au minimum, il semblerait nécessaire de mettre en place une autre politique (avec les mesures que cela implique, entre autres en termes de contrôle démocratique par les producteurs-trices et consommateurs-trices associés) contraignant le capital (ses firmes, en particulier) à intégrer les coûts sociaux globaux induits par les problèmes écologiques.
Parallèlement aux taxes, la politique du «pollueur payeur» pose une problématique voisine consistant à expulser les coûts de production hors de la production elle-même. C’est finalement le salarié-travailleur-consommateur qui paie les pots cassés ; et l’allocation de la part des profits aux actionnaires (dividendes) n’est ainsi pas touchée.
C’est ce qui permet, par exemple, la multiplication des 4x4 chez tous les fabricants de voitures, des voitures qui sont de grosses consommatrices d’énergie et donc de CO2. Comme nous sommes loin d’un Henri Ford qui était obsédé par la diminution du poids de ses véhicules !
C’est d’autant plus absurde qu’une voiture a le rendement énergétique le plus faible de pratiquement tous les moyens de déplacement avec un rendement seulement de l’ordre de 1% à 2% ! (rendement thermodynamique du moteur de 40% environ, moins les dépenses mécaniques de frottement, tout ceci en utilisant une voiture entre 1000 kg et 1500 kg pour déplacer 75 à 80 kg – poids «moyen» d’un automobiliste). L’obligatoire climatisation est évidemment un «plus» dans tous les sens du terme. Ainsi, sur 1 litre d’essence, on n’utilise environ qu’1 à 2 centilitres pour déplacer une personne. Le reste, c’est pour les 1000 à 1500 kg, ainsi que les pertes thermodynamiques et mécaniques.
Marché et anarchie?
Bien entendu, l’émission de CO2 en tant que telle ne provient pas directement de l’organisation sociale. Les lois de la chimie et de la physique ne sont évidemment pas dépendantes des rapports sociaux. Cependant, ce qui en dépend, dans une large mesure mais pas totalement, c’est l’aspect quantitatif et qualitatif, d’une part, ainsi que la faculté sociale de faire des choix sur la durée, d’autre part.
Le marketing induit une sorte de schizophrénie entre, d’un côté, la recherche de performances sophistiquées sur l’amélioration du rendement des moteurs afin d’en diminuer la consommation d’essence et, de l’autre, la construction de voitures plus lourdes, comme les 4x4 par exemple, qui augmentent la consommation d’essence.
Il en va de même pour les ordinateurs personnels et la recherche, d’une part, d’«intégration à large échelle» (augmentation de la densité de composants par unité de surface) afin de diminuer la consommation des composants électroniques, et, d’autre part, l’utilisation de fréquences de cadencement du processeur de plus en plus élevées pour des jeux vidéos sans intérêt éducatif, alors que l’on sait que la consommation d’un ordinateur est proportionnelle à la fréquence. En diminuant ces fréquences de cadencement de 10 à 20 fois, sans que les opérations bureautiques courantes n’aient à en souffrir, la consommation d’énergie diminuerait aussi dans la même proportion.
Les remarques qui précèdent impliqueraient un débat sur la question énergétique qui pourrait, par exemple, s’organiser autour des trois points suivants:
• Repenser le développement du procès de production et son incidence climatique et écologique dans le sens d’une approche systémique et sociale.
• La prise en compte des limites physiques et sociales de la consommation d’énergie en fonction des besoins sociaux globaux réels, qui évolueraient sous l’effet d’une mise en question de la réification marchande dominante à l’échelle du globe ; d’où la nécessité de poser la question de l’intervention directe et démocratique – avec des incursions décisives dans la propriété privée, jamais aussi concentrée – dans le métabolisme socio-conomique, avec ses répercussions environnemental, au moment même où le système met en question la reproduction de la société humaine.
• Un examen et la prise en compte de la notion de catastrophe écologique et sociale fondée sur son développement dans le temps et non pas sur l’effet spectaculaire de l’immédiateté.
La notion de catastrophe est difficile à percevoir dans le contexte actuel de réchauffement climatique. En effet, l’homme possède une faculté d’adaptation que les autres espèces ne possèdent pas. De plus, l’idée de catastrophe évoque, outre l’urgence, une soudaineté relative qui est à l’échelle humaine du déroulement du temps. Enfin, nous n’avons que très difficilement conscience de ce qu’implique la disparition d’une espèce, par exemple.
La «flèche du temps» pourrait donc se révéler trompeuse et réserver bien des surprises. De plus, l’explication purement scientifique peut aussi accentuer une certaine forme de déshumanisation ou distanciation lorsque celle-ci n’est pas socialement contextualisée, ni mise en lien avec un projet social.
C’est peut-être pour cette raison que les romans de Jules Vernes ont été aussi populaires, tous les héros étant des scientifiques et des ingénieurs qui ont toujours une préoccupation sociale, avec l’idée que la science et le progrès social peuvent aller de pair. C’était peut-être un peu naïf, mais infiniment plus sympathique que les effets d’annonce, propres à une économie de marché, qui mélangent technique de pointe et publicité contenant des informations inexactes ou mensongères.
On peut voir ces effets d’annonce en particulier dans le domaine automobile où l’on fait croire que la voiture «verte et propre» est à portée de main. Dans le domaine de l’énergie, l’on vante «l’énergie verte» grâce à un éthanol dont on oublie juste de préciser qu’il produit aussi du CO2 et des famines dans divers pays de ladite périphérie.
Le bois aussi devient subitement une énergie verte et neutre au niveau des émanations de CO2. Cette dernière affirmation n’est pas dénuée de tout fondement, mais elle est inexacte. Pour cela soit vrai, il serait nécessaire qu’en même temps que je brûle du bois pour me chauffer durant l’hiver (par exemple 5 mois), la même quantité de bois soit produite naturellement (la forêt fixe du CO2 dans le bois) durant un laps de temps à peu près identique et pas trop décalé dans le temps (avant le nouvel hiver), afin de respecter un bilan neutre au niveau de l’émission et de la consommation du CO2.
Dans ce cas, cela n’est pas si simple et exige au moins une planification forestière régionale de la consommation énergétique sur un cycle temporel déterminé qui pourrait être pluriannuel. Or, en fonction de ce qui précède, dire que les aléas du marché vont réguler consommation et émission de CO2 est une escroquerie pure et simple. Viendrait-il à l’idée de quiconque de réguler la cuisson de ses spaghetti en fonction du cours de la bourse… ?
Techniques de marketing, technologies et bilans comptables effectués avant le bilan écologique, tout cela brouille toutes les cartes et ne facilite pas la compréhension du monde dans lequel on respire. Périodiquement, on vante la voiture à «hydrogène» qui ne dégage que de la vapeur d’eau, ce qui est vrai. Toutefois, personne ne sait encore comment la construire en série, faute de disposer des matériaux adéquats. Mais surtout, on ne dit pas, ou alors en catimini, que pour fournir l’énergie sous la forme d’hydrogène, cela nécessite la construction (si l’on prend le cas de la France uniquement) d’au moins une bonne centaine de centrales nucléaires, l’hydrogène ne tombant pas tout seul dans le réservoir d’une voiture de ce type. On comprend ainsi pourquoi le lobby nucléaire devient un chaud partisan de la voiture à «hydrogène», dite écologique.
Ou encore, dans certaines régions, l’on vante la construction d’éoliennes – qui ont un rendement énergétique particulièrement bas – sans préciser qu’on ne peut pas compter sur l’énergie aléatoire du vent et que cela nécessite donc la construction de centrales thermiques en tampon, productrices, elles, de CO2
Au demeurant, le marché des éoliennes est aussi un marché fort juteux pour certains constructeurs qui profitent souvent encore de subventions de l’Etat (donc des impôts payés, avant tout, par les salarié·e·s). Comment s’y retrouver lorsque même les bilans écologiques sont tronqués?
Le marché et le stockage du CO2
La situation actuelle du climat nous montre donc aujourd’hui que l’on se heurte à trois obstacles importants:
1° Les limites de la consommation d’énergie définies par le caractère fini de certaines ressources en lien avec la hauteur de la consommation générale de celles-ci,
2° L’impasse dans laquelle se trouvent les solutions d’ordre purement techniques, même si celles-ci sont un préalable (avec une dynamique qui n’est pas sans rapport avec l’appel à l’intelligence collective dans des buts différents de ceux aboutissant à la multiplication des productions destructrices, qui ne se limitent pas seulement aux armements, mais, pour faire exemple, aux types de construction de l’habitat, par exemple) face à la problématique de la consommation d’énergie et son incidence sur le climat,
3° Les limites définies par le mode de production capitaliste qui est incapable de promouvoir un développement qualitatif à l’échelle de l’humanité entière.
On peut prendre la mesure de la consommation actuelle d’énergie en considérant le fait que la consommation globale actuelle étant de l’ordre de 13 TW (T = Téra: 13'000 milliards de watts), elle est équivalente à environ 4 fois la puissance développée par les marées provoquées par la Lune et le Soleil, qui, elle, est estimée à 3,5 TW ( voir Jean-Pierre Revol, Regard d’un physicien sur le problème de l’énergie, inauguration de l’Institut Energie et Systèmes Electriques, Ecole d’Ingénieurs du Canton de Vaud, 2002).
On joue donc là dans la cour des grands et cela a les implications que l’on connaît. Il faut encore préciser que seule une partie de cette énergie produit du CO2 et que notre propos n’est ici que de donner un ordre de grandeur. Cet ordre de grandeur nous indique simplement qu’il est nécessaire de mettre en place une politique écologique démocratiquement planifiée (donc raisonnée collectivement, de manière articulée dans ses divers niveaux et espaces) en lien avec une planification des ressources à l’échelle mondiale. Ces mêmes ordres de grandeurs et les conséquences qui leur sont liées nous indiquent aussi que l’énergie ne peut pas constituer autre chose qu’un bien commun de l’humanité et non pas être l’affaire d’un capital financier très concentré et au pouvoir oligarchique.
Nous avons vu l’importance de la consommation énergétique mondiale dont une part importante provient de combustibles produisant du gaz à effet de serre: le gaz carbonique. Les solutions techniques d’élimination du CO2 sont à replacer dans le contexte que l’on vient d’évoquer. Les données qui vont suivre proviennent du GIEC (Rapport spécial du GIEC en 2005 , Piégeage et stockage du dioxyde de carbone, rapport du groupe III).
L’une des solutions techniques consiste à piéger le gaz carbonique en le séparant immédiatement après la combustion, dans une centrale thermique par exemple, et à le transporter dans un lieu de stockage, de manière à diminuer l’effet de serre. Cette opération – dénommée «Piégeage et Stockage du Carbone», PSC – est possible techniquement en récupérant entre 85 à 95% du gaz traité. Cependant, ce rapport du GIEC pose sans ambiguïté des limites: «… aucune solution technique prise isolément ne permettra de réduire suffisamment les émissions pour parvenir à la stabilisation, mais une gamme de mesures d’atténuation sera nécessaires.» (page 2). Notons encore que cette technologie ne s’applique essentiellement qu’à la production d’électricité au moyen de centrales thermiques. Sans entrer dans tous les détails techniques, voici sous quelles formes le stockage est envisagé:
1° Le stockage géologique dans les champs de pétrole, de gaz naturel, dans les anciennes exploitations, dans les couches de houille inexploitables… Il s’agit d’une technique déjà utilisée aux Etats-Unis avec le transport du CO2 par gazoduc. Ces gazoducs transportent actuellement 40 millions de tonnes de CO2 par an. Rapporté à l’échelle mondiale, c’est encore très faible, puisque la production de CO2 dépasse les 13'500 millions de tonnes et ceci uniquement pour les grandes sources fixes: énergie, ciment, raffineries, sidérurgie, pétrochimie, traitement du pétrole et pour la biomasse (91 Mt) (p. 2)
2° Le stockage océanique en eau profonde à une profondeur supérieure à 800 mètres, là où le gaz se liquéfie. Dans ce cas, nous n’en sommes qu’au stade de la recherche. Cette solution pose de nombreux problèmes, en particulier la modification du pH de l’eau, dans le sens d’une augmentation de son acidité (baisse du pH). Or, toute la vie végétale et animale est très sensible à de très faibles variations du pH.
Dans le cas du stockage, on se heurte là encore à certaines limites: «Dans la plupart des scénarios supposant une stabilisation de la teneur de l’atmosphère en gaz à effet de serre se situant entre 450 et 750 ppmv CO2(ppm: partie par million, donne la proportion dans un volume d’air donné) et selon la gamme la moins coûteuse d’options d’atténuation, le potentiel économique du PSC se situerait cumulativement entre 220 et 2200 Gt (1 Giga tonnes: 1000 millions de tonnes) de CO2, ce qui signifie que jusqu’en 2100, le PSC représentera 15 à 55% des activités cumulatives mondiales d’atténuation, si l’on fait la moyenne d’un ensemble de scénarios de base.» (page 11). Si les données scientifiques du GIEC et leurs qualités sont incontestables, il est intéressant de mettre en évidence la définition donnée par le glossaire du GIEC de «potentiel économique»: Le potentiel économique est la «réduction de la quantité de gaz à effet de serre pouvant être obtenue grâce à une option donnée susceptible d’être mise œuvre de façon rentable au vu des conditions actuelles (par exemple la valeur marchande de la réduction du CO2 et coûts d’autres options)» (page 54).
D’ici peu, allons-nous voir apparaître une proposition de vente de «climat en bouteille» pour rentabiliser les installations ou les technologies permettant de combattre le réchauffement climatique ? Il est aussi vrai que le rapport cité est un «Résumé à l’intention des décideurs» (page de garde). La double question qui suit est alors immédiate: où sont les décideurs et qui décide de quoi pour qui ?
* Charles Barbey est physicien. Il collabore aux publications La Brèche, A l’Encontre. Il sera aussi impliqué dans la rédaction d’articles pour la nouvelle revue trimestrielle qui sera publiée dès le mois de juin 2007.
(vendredi 13 vendredi)
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