Les «propositions» inexistantes de Meyer & Co
Giuseppe Sergi
Nous publions ici la traduction d’un article paru dans le bimensuel Solidarieta du MPS-Gauche anticapitaliste qui, concrètement, démystifie le discours largement repris par les médias suisses alémaniques et suisses français selon lequel la direction des CFF aurait fait des ouvertures concrètes que l’ensemble des travailleurs et travailleuses des Ateliers mécaniques de Bellinzone aurait refusé par on ne sait quelle obstination. La même stratégie médiatique a été utilisée mercredi 2 avril, à l’occasion de la présentation des résultats annuels des CFF, à Zurich. Une délégation des travailleurs a demandé que deux de ses représentants puissent être présents dans la salle de conférence. La direction des CFF l’a refusé. Puis le chef du personnel des CFF, Markus Jordi, a proposé une rencontre, sans définir ses modalités, son contenu, les objectifs pour l’après-midi. Ce qui était inapproprié et donc a été refusé. Immédiatement, les agences de presse ont voulu présenter la position de la délégation ouvrière comme celle d’un refus de négociation, car cette dernière non seulement avait essuyé un refus, mais parce qu’elle ne considérait pas opportun d’entrer dans une discussion non définie avant même que Marco Solari, choisi comme «médiateur» par le conseiller fédéral Leuenberger, ait terminé son mandat et donné le compte rendu de ses travaux au Conseil fédéral. Dans une déclaration lue le mercredi 2 avril devant les travailleurs présents dans les Ateliers à Bellinzone et de nombreuses personnes manifestant leur solidarité, Gianni Frizzo, le président du comité de grève, a déclaré: «Le comité de grève déplore cette tentative [médiatique] malhabile des CFF et de leur porte-parole d’accréditer, au moyen de déclarations incomplètes et fausses, un manque de volonté de dialogue et de négociation de la part des travailleurs. Malgré cela, le comité de grève réaffirme ses positions de fond et sa disponibilité au dialogue et à la négociation. En fin d’après-midi du 2 avril, une importante manifestation se tenait à Bellinzone, pour appuyer les revendications des travailleurs de CFF Cargo. La population faisait siens, une fois de plus, les objectifs particuliers et généraux de cette lutte. L’administration municipale avait permis à ses employés de quitter le travail une demi-heure avant la fin conventionnelle, cette demi-heure étant payée. Une telle décision va au-delà de la simple anecdote. (réd.)
S’il y a une chose qui a véritablement suscité la colère des travailleurs des Ateliers CFF de Bellinzone [ci-après Officine], celle du comité de grève qu’ils ont élu, qui – conjointement à la délégation syndicale – a mené les négociations avec les CFF, c’est bien l’idée que les CFF auraient émis des propositions concrètes. Beaucoup de médias ont diffusé cette thèse en «interprétant» le discours de Leuenberger après la manifestation nationale à Berne [le 19 mars] comme étant un signal «d’ouverture» qui devait absolument être saisi.
Des négociations pertes de temps
Une analyse détaillée ayant trait aux propositions de Meyer et des CFF au cours des trois séances de négociations démontre très bien combien cette «ouverture» est pratiquement équivalente à zéro. Jamais, en aucun moment, les CFF ne se sont écartés d’un centimètre des plans présentés il y a quelques semaines par le conseil d’administration. Beaucoup de journaux ont, durant des jours, continué à parler de «l’offre» faite par les CFF, se gardant bien de préciser quel serait le contenu effectif de cette proposition.
En réalité, le comportement de la direction des CFF à la table des négociations est apparu comme une simple occasion de faire perdre du temps, pour aller au-delà de Pâques, avec l’espoir que le mouvement de grève, la résistance ouvrière et populaire s’affaibliraient en quelque sorte naturellement.
L’exemple d’Yverdon
La démonstration de la malhonnêteté et de la fiabilité inexistante du directeur des CFF [Meyer] peut être illustrée par l’affaire des locomotives actuellement contrôlées et réparées [maintenance] à Yverdon. Pour faire montre de sa volonté d’ouverture, Meyer a annoncé qu’il aurait pu y compris être discuté du transfert de l’entretien des locomotives actuellement traitées à Yverdon vers les Officine de Bellinzone. Evidemment, il s’agissait d’un classique appât empoisonné.
Tout d’abord, parce qu’il introduisait un nouvel élément de friction et de division entre des sites productifs – c’est-à-dire celui de Bellinzone opposé à celui d’Yverdon ; cela ajoutant de nouveaux obstacles à une possible solidarité entre ces deux lieux de production et d’ailleurs, immédiatement, on a assisté à une levée de boucliers des autorités municipales de la ville vaudoise. Mais la raison plus profonde de la proposition orale de Meyer était la suivante: annoncer la nécessité que tout le secteur de la maintenance soit placé sous la même direction (c’est-à-dire celle de la division transport passagers à laquelle les Ateliers d’Yverdon appartiennent).
Avec cette «proposition», Meyer confirme à nouveau ce qui est clairement l’objectif des CFF: enlever à la division Cargo tout ce qui concerne la maintenance importante [en termes qualitatifs].
Mais que Meyer, par sa proposition, avait des objectifs propagandistes, visant à renforcer la position des CFF, est venu immédiatement évident ; il voulait créer des incertitudes au sein de la partie adverses sans rien vouloir concéder en fait. Cette évidence a été confirmée, tout d’abord, par la sortie du porte-parole des CFF qui a affirmé que, dans tous les cas de figure, la solution de transfert de toutes les locomotives à Yverdon est celle qui est «économiquement la plus appropriée». Ensuite, par la proposition formalisée du document présenté à Bigorio [couvent franciscain, près de Lugano, où se sont tenues des négociations le vendredi 21 mars]. Dans ce document, il était affirmé que pour ce qui a trait aux locomotives on ne ferait rien au cours des deux prochains mois – c’est-à-dire le temps qu’auraient dû, selon les CFF, durer les discussions de la fameuse table ronde. Toutefois, de suite: «la direction de ce secteur sera assumée par un dirigeant de la division voyageurs» des CFF [selon le document de Bigorio].
Cela impliquait que le transfert des locomotives à Yverdon continuait de fait, en commençant par la destitution de la direction de Bellinzone et en attribuant la direction aux responsables d’Yverdon.
Cela revient à dire: négocions quand même, mais en même temps commençons à réaliser ce que nous avons proposé et décidé.
Tous discutent, mais un seul décide
La disposition effective de la direction des CFF à la discussion a été démontrée par ce qui se produit par ce qui se passe à propos de la question de la table ronde. Cette dernière est présentée par les CFF eux-mêmes comme une «grande proposition», comme une «concession» de la part de l’entreprise. Et les médias, souvent, ont repris cette idée, sans chercher à approfondir exactement et concrètement le contenu effectif de cette proposition.
Encore une fois, les formules des documents présentés par les CFF à Bigorio nous aident à comprendre. A la fin, une fois atteints quelques résultats dans le cadre de la table ronde, que se passera-t-il ? Ces résultats ne seront, par la suite, certainement pas mis en pratique. Effectivement. Les CFF écrivent d’ailleurs: «Sur cette base, le conseil d’administration des CFF vérifiera la validité des projets, à partir des critères stratégiques et économiques à l’échelle de l’entreprise CFF» et aussi des aspects régionaux – qui seront pris en considération, comme par exemple le maintien des locomotives à Bellinzone ; tout cela à la «seule condition que cela [les projets] soit conforme aux intérêts stratégiques et économiques des CFF».
Pour résumer: à la fin de la table ronde, la décision finale devrait incomber, de fait, au conseil d’administration des CFF sur la base de leurs «intérêts stratégiques et économiques». En d’autres termes, les CFF sont prêts à s’asseoir autour d’une table ronde seulement si les résultats de cette dernière sont conformes à leurs décisions stratégiques, qui, en ce qui concerne Bellinzone, ont déjà été prises, et les résultats [de la table ronde] seront pris en compte seulement s’ils sont intéressants du point de vue de leurs «intérêts économiques», soit s’ils permettront aux CFF d’effectuer des économies.
Il est clair pour tous, à cette étape, que «l’offre» mythique des CFF est, comme quelqu’un l’a dit, est l’équivalent d’une main vide. A juste titre, c’est en tenant compte de ce fait que s’affirme l’attitude ferme des travailleurs, du comité de grève et des organisations syndicales. Ainsi que de toute la population qui commence à comprendre combien les paroles d’Andreas Meyer sont du vent.
(3 avril 2008)
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