Durcissement toujours plus marqué de la loi sur l’asile
Nous publions ci-dessous une analyse faite par Yves Brutsch publiée dans Vivre ensemble, avril 2005. réd.
On présente parfois nos sénateurs [Conseil des Etats] comme des sages, les voilà qui s’affichent ouvertement blochériens. Non seulement toutes les propositions de durcissement ajoutées au projet de loi sous l’impulsion de Christoph Blocher ont été adoptées par le Conseil des Etats, mais celui-ci a également repêché deux mesures écartées par le Conseil fédéral et durci encore certaines formulations. Pour couronner le tout, il a ainsi décidé, non seulement, de renoncer à l’admission humanitaire, mais aussi de limiter très fortement pour l’avenir les possibilités d’admission provisoire. Cette dernière ne serait en effet plus autorisée qu’en cas de «danger pour la vie», et non plus seulement de «danger concret» comme aujourd’hui.
Après les débats au Conseil des Etats, le 17 mars 2005, l’inventaire des mesures de durcissement de la loi sur l’asile (LAsi) et des modifications annexes de la loi sur les étrangers (actuelle LSEE, future LEtr) porte aujourd’hui sur plusieurs dizaines de points. Parmi ceux-ci, le principe du renvoi aussi systématique que possible vers des pays tiers arbitrairement qualifiés de «sûrs» (nouvel art. 34.2 LAsi). Une façon pour la Suisse de dire clairement qu’elle n’est plus intéressée à accueillir elle-même des réfugiés.
Cette mesure, qui figurait dans le projet initial a déjà été approuvée par le Conseil national, de sorte qu’elle est irréversible, ainsi que de nombreuses autres (voir VE no 98, juin 04). Il en va de même pour la création d’une possibilité de détention fédérale dans les centres d’enregistrement (n.-13b.1.e et 13c.2 i.f. LAsi) et pour la transformation des aéroports en véritables souricières pour les nouveaux arrivants (n.-art. 23.2-4 LAsi).
Blocher bien suivi
Mais comme on sait, Christoph Blocher ne s’est pas contenté du projet initial, et il a obtenu le feu vert du Conseil fédéral pour ajouter une dizaine de points de durcissement à la révision en cours. Le Conseil des Etats vient donc d’accepter toutes ces mesures supplémentaires, qui s’en prennent tout spécialement aux déboutés.
C’est ainsi que la nouvelle loi prévoit désormais une possibilité de détention purement disciplinaire, qui devrait conduire les intéressés à se déclarer «volontaires» pour le renvoi (n.-13g LSEE). En combinaison avec la détention en vue du refoulement, tout requérant visé par une décision négative pourra désormais être emprisonné pendant deux ans (n.-13h LSEE), même si un récent rapport officiel montre que les longues détentions ne débouchent sur rien et coûtent cher aux contribuables. Parallèlement, il sera aussi possible d’assigner les déboutés à un périmètre limité (n.-13e LSEE), avec comme sanction jusqu’à trois ans de prison pour les contrevenants (n.-art. 114 LEtr).
Exclusion de l'aide sociale
Mais la mesure la plus prisée, parce qu’on en espère la disparition pure et simple des intéressés, reste l’exclusion de l’aide sociale que les cantons pourraient à l’avenir appliquer à tous ceux qui auront reçu une décision négative (n.-art. 82 LAsi). On généralise ainsi le régime désastreux imposé depuis un an aux victimes de non-entrée en matière (NEM). Les cantons qui ne voudront pas appliquer cette mesure d’exclusion en seront pour leurs frais, puisqu’ils ne toucheront plus à l’avenir qu’un forfait unique pour couvrir les frais liés à la présence de ces déboutés (n.-art. 88.4 LAsi).
Et ce n’est pas tout: plus royaliste que le roi, le Conseil des Etats a encore décidé que l’aide d’urgence prévue par l’article 12 de la Constitution fédérale au nom de la dignité humaine pourrait être réduite, voire supprimée pour tous ceux qui n’auront pas quitté la Suisse dans le délai fixé. La Chambre haute décide ainsi délibérément de violer la Constitution, sachant que le Tribunal fédéral n’a pas le pouvoir de remettre en question les décisions du Parlement !
Admission provisoire charcutée
Par ailleurs, la Chambre des cantons, suivant l’avis de Christoph Blocher, a décidé de charcuter les dispositions encadrant l’admission provisoire, que le Conseil fédéral voulait initialement revaloriser sous l’intitulé «admission pour raisons humanitaires». Cette dernière expression, le Conseil des Etats, n’en veut pas. On en restera donc à une «admission provisoire», avec une amélioration très limitée de l’accès au travail et au regroupement familial (après trois ans, et uniquement si le logement est adéquat et si l’indépendance financière est acquise, autant dire: très rarement). Mais surtout, la définition de l’inexigibilité du renvoi, qui motive plus de 90% des admissions, est revue drastiquement à la baisse. Il ne faudra plus seulement démontrer l’existence d’un «danger concret», mais bien d’un «danger pour la vie». Sur cette base, la majorité des admissions actuelles risquent de passer à la trappe.
Et limitée...
Si on ajoute que la nouvelle loi prévoit un réexamen périodique du bien-fondé de l’admission provisoire, et qu’elle fait disparaître l’examen après quatre ans de séjour, d’un éventuel cas de détresse personnelle en raison de l’intégration, force est de penser qu’on s’achemine vers une liquidation de l’admission provisoire. Ces dernières années, ce «petit asile», qui sauve la mise aux malades graves, aux personnes vulnérables et aux civils fuyant les violences de toutes sortes, était accordé deux fois plus souvent que l’asile. Pour l’UDC, cette mesure humanitaire représentait clairement le ventre mou de la loi sur l’asile. Les sénateurs ont donc voté dans le sens du vent. Seule subsisterait une possibilité de permis humanitaire sur proposition des cantons, et d’eux seuls, avec approbation par l’Office fédéral des migrations (ODM), et uniquement après au moins cinq ans de séjour sans passage à la clandestinité. Une formule qui créera d’immenses inégalités de traitement selon le canton d’attribution.
Non-entrée en matière étendue
Mais ce n’est pas tout. Les Etats ont aussi voté la proposition Blocher de prononcer des non-entrées en matière pour tous ceux qui n’ont pas de pièces d’identité (plus de 80% de tous les requérants), à moins que la qualité de réfugié ne soit établie dès l’audition ou que l’ODM estime que des mesures d’instruction complémentaire sont nécessaires. Des réfugiés reconnus dès l’audition, personne n’en a jamais vu. On donne donc ici un blanc-seing à l’ODM pour prononcer une NEM chaque fois qu’il le voudra. Et comme le délai de recours est limité à 5 jours ouvrables, les cas de réfugiés déboutés d’office ne peuvent que se multiplier.
Assurance maladie au rabais
Enfin, et parmi d’autres mauvais coups, que la place ne nous autorise même pas à mentionner ici, tant ils sont nombreux, les Conseillers aux Etats ont encore réussi à décider que les prestations obligatoires prises en charge par l’assurance maladie pourront être limitées pour les requérants d’asile (n.-art. 82.1bis LAsi). C’est l’officialisation d’une médecine à deux vitesses, dont les réfugiés non reconnus sont destinés à être les cobayes, avant qu’elle ne frappe d’autres catégories de la population. Pour tous ceux qui restent indifférents au sort des requérants, ce devrait être un signal d’alarme. Comme auraient dû l’être les baisses des prestations sociales, inaugurées à l’encontre des requérants avant de s’étendre à d’autres, ou l’utilisation abusive des abus afin de démanteler les droits des requérants, puis des chômeurs ou des invalides. Il y a urgence.
Yves Brutsch
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