Y être ou ne pas y être: est-ce la vraie question? *
Enfin un débat. S'il était sérieux, il faudrait l'amplifier ! Certains affirment sur les ondes: «Il faut réfléchir avant d'agir».
La formule est du professeur (critique) d'histoire Hans Ulrich Jost, qui signe
un Manifeste pour l'entrée de la Suisse dans l'Union européenne,
avec les représentants de la droite la plus libérale, comme le
professeur Walter Wittmann.Et cela sur un programme ultra-libéral (cf. Le Temps, 27 novembre 2004).Il fut récemment l'invité
politique du CAS à l'un de ses micro-forums.
Un CF aveuglant
Deux remarques initiales, dans le fil de la sentence du professeur et de son action.
•
La première, cette position social-libérale et néo-libérale
sur l'Union européenne est partagée par le Parti socialiste suisse
(PSS). Dans le canton de Vaud, en première ligne sur ce thème
«et depuis longtemps» se profile le conseiller aux Etats Michel Béguelin.
Cette
position en faveur d'une entrée de la Suisse dans l'UE de Maastricht
est aussi partagée par l'avocat du CAS et par le POP. Mais ce n'est pas
pour cette raison quele notable «socialiste» a été
soutenu lors des dernières élections fédérales par
le POP et le soudainement électoralisé CAS (Collectif pour une
alliance socialiste).
Quelle
en est la raison publique? La réponse: «Pour qu'aucune voix
n'aille à la droite.»Néanmoins, Michel Béguelin
n'a pas manqué, dans les colonnes de l'hebdomadaire Femina, quelques
jours après son élection, de prendre la défense politique
de Ruth Metzler, la championne de la lutte contre les «sans-papiers».
Nous
avions donc là un beau bloc de la gauche ' au centre ou à droite
toute ' ayant comme étendard ce mot d'ordre figurant sur un tract signé par deux des intervenants de ce soir (Zisyadis et Dolivo): «Tout le
canton doit être défendu, Michel Béguelin à Berne!»Un
mot d'ordre d'unité cantonale qui ressemble, point par point, à
l'unité du Conseil fédéral défendue bec et ongles
par Leuenberger et Calmy-Rey. Sans parler de la politique du PS dans les cantons
(voir ci-dessous).
•
La seconde: «Il faut réfléchir avant d'agir ou d'écrire»,même
si on s'affirme «A gauche toute!». Et que les dérapages
démagogiques sont inclus dans une telle formule.
En
effet, ceux qui font aujourd'hui de la participation du PS au Conseil fédéral
une question centrale oublient de dire à la population ce que Pierre-Yves
Maillard «qui a certes retourné sa veste à ce propos» affirme
dans 24 heures (4 février 2004): «Les assurances
privées disposent, avec toute la compréhension du Conseil fédéral,
de la gigantesque épargne forcée du 2e pilier et d'une assurance
maladie scandaleusement antisociale.»Traduisons: le Conseil fédéral
est à la botte de l'économie, plus exactement du grand capital.
Une fonction qu'il a depuis très longtemps. Au moins depuis 1944-45,
quand le POP-PdT réclamait vainement son entrée dans le Conseil
fédéral (voir les positions du Bureau Politique du PdT dans la
revue Socialisme de 1944-45), à côté des «camarades»
socialistes, qui y sont restés.
Ce
lien unilatéral entre Capital et Conseil fédéral, l'historien
Hans Ulrich Jost l'a longuement, avec conscience, expliqué. Donc, la
sortie du PS du Conseil fédéral (CF), est-ce vraiment la question
à poser? N'est-ce pas cultiver une illusion sur le CF?
Est-ce
vraiment la bataille à mener pour favoriser une activité sociale
sur des objectifs concrets? Tels les loyers, l'assurance maladie, la révision
antisociale de l'AVS, les conditions de travail, la mobilisation féministe
du 8 mars, la manifestation du 20 mars à Berne contre l'occupation
de l'Irak, le combat pour le droit à un véritable Etat pour le
Peuple palestinien, ce qui implique une claire démarcation d'avec lesdits
Accords de Genève?
Conseillers
en forfaiture
Ceux
qui, par monts et par vaux, disent que le PS doit sortir du Conseil fédéral
oublient trois autres faits élémentaires.
1°La
conseillère nationale du POP, Marianne Huguenin, a expliqué que
la fraction parlementaire «A gauche toute» a frappé «à
la porte du groupe écologiste dans l'espoir de s'y faire accepter, mais
celui-ci n'a pas voulu»(Le Tempsdu 9 décembre 2003).
Or, les Verts ont élu avec enthousiasme tous les socialistes au Conseil
fédéral. Ils ne mènent aucune bataille pour une sortie
du PSS du CF. En effet, ils sont déjà bien installés dans
tous les exécutifs et ils visent à «aller plus haut»,
au CF.
2° Le
goût et l'appétit viennent en mangeant. Hediger ne veut plus quitter
le Conseil administratif (exécutif) de la ville de Genève. Son
collègue Ferrazino et solidaritéS-GE visent le Conseil d'Etat
genevois. Zisyadis n'a plus que le goût de l'ancien poste de chef de police
au Conseil d'Etat vaudois. Il a échoué à reprendre une
seconde portion de fromage lucratif.
3°
La fraction parlementaire «A gauche toute!» se vante le 10 décembre
2003 d'avoir voté Micheline Calmy-Rey au Conseil fédéral: «Malgré la campagne de désinformation, les 3 représentants
de la gauche combative "A gauche toute!” ont clairement déclaré
leur vote pour Micheline Calmy-Rey à tous les tours de scrutin et non
pas BLANC.»(cf. www.popvaud.ch)
A
Genève, solidaritéS, la soeur aînée du CAS,
avait refusé en août 2003 de soutenir Christiane Brunner pour
le Conseil des Etats. Ce qui n'empêche pas son représentant à
Berne – Pierre Vanek, ex-admirateur de Pol Pot au Cambodge, dont on «fête»
les 25 ans du génocide – de voter le 10 décembre pour Calmy-Rey.
Contre Christiane au Conseil des Etats, mais pour Micheline au Conseil fédéral.
Y
a-t-il une raison cachée à ce vote pour Micheline? Est-ce pour
pouvoir enfin mener une campagne «unitaire» vaudoise contre le maintien
du PSS au Conseil fédéral? Si c'était le cas, ce serait
la démonstration que les prétentions des animateurs de «A
gauche toute» colleraient à la formule de Marx: «Une bouche
de miel, un coeur de fiel».
Quant à nous, il nous paraît plus sage de réfléchir
avant de parler, d'écrire et d'agir. Puis de tenir ses engagements dans
l'action.
Une pause, pour réfléchir
Au
plan politico-institutionnel, l'ex-chef de la fraction parlementaire fédérale
du PSS, le Dr Franco Cavalli, a bien posé le problème dans sa
contribution pour le Congrès extraordinaire du PSS du 6 mars 2004.
Il réclame, comme «A gauche toute!» – comme quoi la social-démocratie
est toute proche de presque toute la gauche! – de «constituer un pôle
d'opposition à la superpuissance du bloc de droite».
Sur
quel programme, avec quels instruments syndicaux et sociaux, là-dessus
il fait silence. Comme «A gauche toute!». C'est un détail
dans le cirque médiatique. C'est décisif pour une bataille durable
qui respecte l'intelligence et la dignité des salarié·e·s.
Après
cette question, Cavalli, comme scientifique, a au moins le mérite de
la logique. Il pose donc la question: «Le Parti socialiste en est-il
capable? Quarante ans de participation au Conseil fédéral et encore
plus dans certains gouvernements cantonaux ont fait qu'aujourd'hui de nombreux
camarades en charge sont devenus «plus royalistes que le roi». Le
parti lui-même a fortement évolué en direction d'un mouvement
de la classe moyenne, en tout cas dans maints cantons. En de nombreux endroits,
il n'est pas question d'évoquer une tendance à l'opposition, ne
serait-ce même que dans le sens d'un mouvement de société.
Il suffit de se rappeler les propos du président de la section de Zurich,
qui avait déclaré que l'initiative santé du PS était
«presque aussi stupide que celle de l'UDC» – alors que celle-ci
fut un des projets essentiels du parti ces cinq dernières années.
Songeons aussi à la tiédeur de nombre de partis cantonaux et de
sections lors de la votation sur cette même initiative.»
Du CF aux Conseils d'Etat
Les
faits sont plus têtus qu'un ex-conseiller d'Etat, candidat à répétition
au même poste. Ils confirment les dires de Cavalli. Exemples.
•
La cheffe «socialiste» de l'Instruction publique du canton de Zurich,
Regine Aeppli, qui a succédé à Ernest Buschor (PDC, emblème
de la droite dure)prend son mandat au printemps 2003. Elle déclare face
à la presse. «Il n'est jamais agréable de devoir commencer
par des coupes, a-t-elle reconnu avec le sourire crispé à une
conférence de presse, mais chaque département doit payer son tribut
au paquet d'assainissement, même si nous touchons bientôt à la moelle»(Le Temps, 21 juin 2003). Autrement dit, cette
membre de l'exécutif cantonal zurichois, un des plus importants de Suisse,
est prête à sacrifier l'avenir des enseignants et des élèves
– suisses et immigré·e·s – que le patronat exploitera
durement demain, pour rester à son poste.
•
Le quotidien du grand Capital suisse, la Neue Zürcher Zeitung, a
accueilli ainsi l'élection du social-démocrate modèle,
Elmar Lederberger, au poste de maire de Zurich («Stapi» comme on
dit à Zurich): «Depuis que Lederberger est en fonction on peut
de nouveau construire à Zurich.»Lederberger, urbaniste et entrepreneur
foncier, comme Bodenmann est hôtelier (mais avec plus de succès
que le Haut-Valaisan), est responsable du Département de la construction
en ville de Zurich; comme Ferrazino (de l'Alliance de gauche ' AdG) à
Genève. C'est un partisan de la dérégulation.
•
Passons à Anne-Catherine Lyon: enthousiaste –comme Michel Béguelin
– de l'UE intrinsèquement néo-libérale depuis Maastricht,
reconvertie «socialiste» et membre du Conseil d'Etat vaudois. Elle
déclare à propos d'un budget d'austérité, rejeté
par la population à cause de ses conséquences sociales et par
les employé·e·s de l'Etat à cause de ses effets
sur les conditions de travail comme sur les services «offerts» au
public: «Ce budget est équilibré et cela lie l'ensemble
de l'échiquier politique. Je pense qu'il permet de vivre intelligemment
un moment financier compliqué.»(Le Temps, 21 novembre
2003) Le journaliste Laurent Busslinger ne s'est pas trompé: il s'agit
d'une «unité sacrée».
Alors
pourquoi «A gauche toute!» a-t-elle donné cette image d'unité
avec le PS aux élections nationales? Pourquoi le POP a-t-il appelé
à voter Anne-Catherine Lyon aux élections cantonales?
La
réponse? Parce qu'entre la formule «A gauche toute!», qui
ne mange pas de pain, et l'électoralisme d'un Zisyadis, il y a un fossé.
Dans lequel l'avocat Dolivo s'enfonce et se case (ou se casse) avec bien-être?
Franco
Cavalli a donc raison sur un point: mettre en question la participation au
Conseil fédéral implique d'être clairement prêt (et
le faire) de se retirer des exécutifs cantonaux.En effet, ces derniers
ne font que gérer une politique budgétaire décidée
par le Conseil fédéral, plus exactement la Banque nationale et
les grandes banques (pour satisfaire les détenteurs d'obligations et
les placements financiers).
Il
en découle donc la nécessité d'une discussion publique:
sur quel programme est nécessaire pour reconstruire un bloc d'opposition
de classe; sur la façon de commencer à arracher en pratique les
syndicats aux appareils bureaucratiques (souvent soumis au PS, comme la FTMH).
Ces appareils bloquent toute réponse faisant écho à la
grogne montante des salarié·e·s, même si la peur
existe. Dans cette perspective, il faut éviter de lancer des «grandes
diatribes» puis de laisser tomber les salarié·e·s.
C'est ce que fait, par exemple, Levrat du Syndicat de la communication quand
les postiers sont attaqués. Il faudrait au contraire informer les employé·e·s
de La Poste et leur montrer que deux «socialistes» organisent la
concurrence entre salarié·e·s d'entreprises postales: le
conseiller national «socialiste» Jean-Noël Rey, directeur de
DPD, et Ulrich Gygi, patron de La Poste. Il faudrait aussi organiser la prise
de parole des postiers·ères en colère.
Et
connaître pour agir
Pour
terminer, un dernier constat: «A gauche toute!» cultive la pire
des illusions sur le PSS et sur sa base sociale effective. Cela en faisant croire
que la sortie du PSS du Conseil fédéral changerait profondément
la donne en Suisse. Rudolf Strahm, à la droite de la social-démocratie,
a au moins la capacité d'analyser la réalité du PSS. Voici,
en quelques lignes, le bilan de son étude (cf. www.rudolfstrahm.ch, rubrique
«Aktuelles», 15 janvier 2004): le PSS ne compte plus que 18%
de sa base électorale qui n'a fait que l'école obligatoire, contre
43% pour l'UDC; les électeurs gagnant aux alentours de 3000 francs
par mois représentent 20% de l'électorat du PS; par contre ceux
gagnant plus de 7000 francs, 40%. Le nombre de retraités dans l'électorat
du PS est descendu à moins de 25%.
Il
y a dès lors un vrai problème, qui devrait être au centre
d'un débat politique public raisonné, loin des simagrées
électorales et médiatiques. Par quelles voies pourra se reconstituer
un bloc social de classe indépendant du bloc bourgeois et de ses alliés,
à l'échelle nationale. Et ce, en faisant le lien entre les batailles
immédiates ' sur l'AVS, le 8 mars des femmes contre les inégalités,
sur les conditions de travail, pour le droit au logement ' et un lent travail
de conviction, qui repose sur la réflexion et l'action. Il faut réfléchir
pour agir et parler. Comme le dit un sage historien, social-libéral.
Mouvement pour le socialisme
Diffusé le 12.2.2004, lors d'un débat sur la sortie du PS (Parti socialiste) du Conseil fédéral, organisé par le POP (Parti ouvrier et populaire) et le CAS (Collectif pour une alliance socialiste).
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