Venezuela

Le coup d'Etat permanent

Santiago Arconada Rodríguez*

1.La propagande de la Coordination démocratique (CD) pour le «Firmazo» [la collecte de signatures], effectuée par une campagne massive à la radio, dans les journaux et à la télévision, se terminait en affirmant: «Avec le Firmazo, plus d'erreur possible!»

Autrement dit, l'opposition [la CD] admettait qu'une erreur avait été commise. Une erreur grossière et évidente effectuée à l'occasion de la nouvelle tentative de coup d'État [après celle d'avril 2002]; une tentative qui prit pour nom: Grève civique nationale active. Elle avait été convoquée par la Coordination démocratique, la Fedecamaras [organisation patronale] et la CTV [bureaucratie syndicale liée aux anciens partis gouvernementaux], à partir du 2 décembre 2002. Elle s'est terminée le 2 février 2003, avec le Firmazo.

Affirmer au pays que ce Firmazoétait le but à atteindre, qu'il était l'objectif qui justifiait une offensive brutale, ouverte et clairement anticonstitutionnelle est un mensonge aussi énorme qu'un camion.

Il s'agissait, en réalité, de cacher sous le tapis humiliation politique qui découlait de l'obligation d'avoir été contraint de lever la «Grève civique nationale active«, par un éventail de pétitions constitutionnelles, parmi lesquelles le référendum révocatoire (que Chávez avait d'ailleurs évoqué à plusieurs reprises), mais cette fois, sans l'appui de la PDVSA [la Société pétrolière du Venezuela].

Bilan: ce fut (et c'est) une défaite. Le boomerang lancé par les responsables putschistes de la CD pour renverser le gouvernement - et qui n'a pas atteint sa cible grâce à la résistance tranquille du peuple - se retourne maintenant contre eux. Pour preuve: la destitution de Rafael Marín, Secrétaire général du parti Action démocratique.

Mais avant de chanter victoire, les explosions devant les missions diplomatiques de Colombie et d'Espagne viennent nous rappeler qu'il faudrait être bien naïfs pour croire que l'État-major ayant décidé de saboter l'industrie pétrolière est à court de ressources, ou de bombes.

Le premier devoir qui s'impose est celui de cerner en profondeur la dynamique de ce coup d'État qui n'en finit pas, non seulement pour continuer de le déjouer, mais aussi pour accroître notre capacité à faire d'autres choses en plus.

2. Pour être en mesure d'influer davantage sur l'avenir immédiat, il nous faut analyser avec précision ce qui s'est passé.

La défaite indiscutable du secteur putschiste de l'opposition correspond à une victoire de la capacité de résistance dont ont fait preuve aussi bien le peuple que son gouvernement.

Ceux qui pensent que l'analyse de cette capacité de résistance s'arrête le deux février 2003, jour du Firmazo, se trompent. Moins de 25 jours après la levée de la tentative de coup d'État par lock-out patronal et du sabotage pétrolier, les attentats contre les missions diplomatiques de Colombie et d'Espagne démontrent combien le verbe «déstabiliser» peut être décliner sous toutes les formes, y compris celle du terrorisme.

Ce n'est pas qu'il n'y pas de victoire à célébrer; il y en a bien une, et très importante. Mais, tout simplement, l'heure n'est pas aux célébrations.

Par ailleurs, le mouvement populaire vénézuélien et le gouvernement du président Chávez sont bel et bien appelés à fournir une série de réponses immédiates à une situation économique très dégradée. Elle existait certes déjà, mais elle a été exacerbée par le sabotage pétrolier.

C'est pour prendre le temps d'apporter ces réponses qu'il nous faut mettre à profit cette force que nous a donnée cette victoire contre la tentative de coup d'État de l'opposition. Et non pour la gaspiller en conflits secondaires qui ne serviraient qu'à  satisfaire l'ego de l'un ou l'autre.

À l'Assemblée nationale, l'opposition s'est d'ailleurs engagée sur la voie de mettre sur pied un nouveau Conseil national électoral. Ce qui montre qu'elle assume désormais le défi de mettre en place un arbitre électoral fiable avant toute consultation électorale.

C'est là une victoire du bon sens qu'il convient de souligner. Au moins nous ne faisons plus face à cette proposition frauduleuse qui  visait à organiser des élections sous la direction d'un arbitre totalement discrédité.

Mais à côté de cela, les attentats à la bombe nous rappellent une fois encore que l'opposition n'est pas une entité homogène. Un secteur joue certes la carte électorale, après avoir arrêté de saboter la Commission parlementaire pour les nominations.

Toutefois, un autre secteur a maintenant recours aux actes terroristes. Pour donner un exemple, il est évident que Henry Ramos Allup - président du parti AD - et Gustavo Cisneros - le propriétaire de Venevisión - ne cherchent pas la même chose, bien que tous deux soient de l'opposition.

Ce premier devoir dont je parlais - saisir dans ces caractéristiques profondes la dynamique de ce coup d'État - passe par la mise en évidence des contradictions internes à l'opposition, afin de pouvoir désarticuler son jeu.

Le deuxième devoir a trait au terrain électoral. Ainsi, après le progrès qu'a représenté la mise sur pied de la Commission parlementaire des nominations pour la désignation d'un nouveau CNE, la maxime des scouts - «Toujours prêts!» - devrait nous faire réfléchir.

Prêts à toute éventualité de référendum ou d'élections. En d'autres termes, se dire chaviste ou partisan du processus constituant ou du processus révolutionnaire bolivarien, implique, si l'on a plus de 18 ans, d'avoir une carte d'identité valide et d'être inscrit au Registre électoral permanent.

Cela suppose de transformer les organismes gouvernementaux qui, comme la DIEX, sont chargés d'émettre les documents d'identité. Telle devrait être la priorité absolue de tous les partis politiques et des organisations sociales qui sentent que leur avenir est lié à d'éventuelles élections.

Nous avons rarement vécu des événements aussi porteurs de leçons que cette confrontation et victoire contre deux tentatives de coup d'État en dix mois à peine.

La dynamique sociale mise en relief par l'enchaînement de ces faits historiques fait de notre pays une gigantesque salle de classe où serait donné le cours le plus magistral de sciences politiques. Première grave défaite pour ceux qui ont toujours voulu que le peuple reste dans l'ignorance.

3.Le 11 avril 2002, les forces politiques de la Coordination démocratique (CD), la CTV et Fedecámaras - ainsi que les hauts gradés de l'armée avec lesquels elles s'étaient alliées - ont fait d'une manifestation citoyenne la phase ultime d'un coup d'État conçu et porter à maturité, pendant deux ans, grâce à une féroce campagne de bombardement médiatique.

Après les morts calculés pour tenter de justifier leur forfaiture contre la Constitution nationale, ils renversèrent dans la nuit le président Chávez, emmené prisonnier à la base de Fuerte Tiuna.

Le peuple garda un silence sépulcral. Le message social était trop évident, sans subtilité. En deux mots: les pauvres pleuraient et les riches riaient.

Le vendredi 12 avril 2002, le quotidien El Universalmentait sur huit colonnes: «C'EST FINI!». Or, tout recommençait. Dans l'après-midi, en lisant leur premier décret gouvernemental, les riches rayaient Bolivar du nom du Venezuela. Dès ce moment, le mouvement populaire se déchaîna.

Cette nuit-là, nous fîmes un vacarme monstre, un gigantesque concert métallique de protestation, qui nous permit de savoir qui nous étions et où nous étions.

Le lendemain, le samedi 13 avril 2002, civils et militaires du rang sortirent ensemble dans les rues pour renverser, comme on se débarrasse d'un bouton, le gouvernement de la Coordination démocratique, de la CTV et de Fedecámaras, présidé par Pedro Carmona Estanga.

Aux premières heures de la nuit de ce samedi 13 février, se constituait le gouvernement provisoire du président faisant fonction Diosdado Cabello.

Et à l'aube du dimanche 14 avril 2002, à la grande surprise de la plus haute autorité de l'Église catholique, Mgr. Ignacio Velasco (qui se trouvait sur l'île de l'Orchila avec la tâche indigne de convaincre le président Chávez de signer sa démission), un commando héliporté loyal au président arrivait pour le délivrer et le ramener au palais de Miraflores, au milieu d'une foule en délire.

Avant le lever du jour de ce dimanche 14 avril 2002, le président Chávez s'adressait au pays dans sa première allocution post-coup d'État et demandait pardon pour ses excès, ouvrant la voie à un dialogue national.

Mais à partir de ce lundi 15 avril 2002 jusqu'au lundi 2 décembre 2002, jour où a commencé cette opération d'encerclement, de harcèlement et d'asphyxie appelée «Grève civique nationale active», les médias privés n'ont jamais, eux, demandé pardon pour avoir menti sur huit colonnes, ou pour avoir tenté d'effacer, à films d'animation, les heures historiques pendant lesquelles tout un peuple récupérait le pouvoir perdu.

Au lieu de cela, ils poursuivirent sans relâche leur opération «terre brûlée» par des arrosages massifs de propagande prônant la confrontation et la violence, jour après jour. Jusqu'à gagner l'appui des secteurs d'opposition qui étaient contre les grèves insurrectionnelles et contre les autres aventures destinées, avant tout, à détruire la Constitution nationale et, ensuite, à renverser le président Chávez.

Alors, le 2 décembre 2002, ils lancèrent leur offensive totale, en promettant non seulement un Noël sans Chávez, mais aussi que la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela ne serait bientôt plus qu'un cauchemar qu'on oublierait vite.

Le mouvement populaire vénézuélien a le devoir d'analyser en détail ces soixante jours de notre histoire républicaine, où des mythes fondateurs de la politique nationale sont finalement tombés, comme celui de PDVSA.

Non seulement l'opposition a-t-elle arrêté l'industrie pétrolière, mais elle a aussi saboté la réouverture des installations et des processus de production, de stockage et de commercialisation. Et non seulement le gouvernement n'est pas tombé; mais il en est sorti renforcé.

Le troisième devoir aujourd'hui est donc d'éviter que ne tombe dans l'oubli ce nouveau tournant dans la vie de la nation, dans l'histoire du mouvement populaire vénézuélien. Ne pas oublier ces deux mois de tentative de putsch ouverte et dévoilée contre le gouvernement constitutionnel du président Hugo Chávez: suspension de la production pétrolière nationale, provoquant le chaos et la terreur, qui devraient durer jusqu'à ce que le président démissionne ou convoque des élections immédiates anticonstitutionnelles.

Deux mois, pendant lesquels un lock-out patronal - l'arrêt des opérations préparé et décidé par les chefs d'entreprises - a mis en danger l'approvisionnement en produits alimentaires de consommation massive, tels que les pâtes. Deux mois pendant lesquels on a voulu liquider, par la faim, la résistance d'un peuple. Deux mois pendant lesquels les militaires de la place Francia à Altamira [lieu où les militaires d'opposition «campent», ce qui montre bien que la «dictature» de Chavez est assez atypique!] n'ont jamais cessé d'inciter les militaires actifs des forces armées à s'insurger contre le gouvernement constitutionnel. Deux mois pendant lesquels des ténors de l'opposition, notamment M. Enrique Tejera París et M. Jorge Olavarría, lors de toutes leurs apparitions publiques sur les chaînes privées de télévision, en appelaient à cesser de reconnaître la Constitution et à renverser le président Chávez. Deux mois pendant lesquels on a prétendu abolir la Noël jusqu'à la chute de Chávez. Deux mois terribles, d'embarras et d'incertitudes dans les queues pour obtenir du gaz ou de l'essence. Deux mois criminels qui auront, durant un certain temps, des impacts négatifs sur la possibilité de disposer de toutes les ressources. Mais deux mois qui ont aussi été une des expériences ayant permis d'approfondir l'actuel processus de changements.

Au-delà des considérations à faire à ce propos, force est d'admettre que si quelque chose a changé, il s'agit d'abord de la conscience qu'a le peuple de lui-même, de ses intérêts, de la réalité construite par les médias privés, et de sa perception du processus actuel.

La grève civique nationale active devait durer jusqu'à la chute du gouvernement du président Chávez.

Carlos Fernández (Fedecámaras), Carlos Ortega (CTV) et Juan Fernández (représentant les hauts cadres du secteur pétrolier) - c'est-à-dire les porte-parole de la Coordination démocratique qui intervenaient lors des conférences de presse quotidiennes de 18h, appelées de façon sinistre «déclarations de guerre» - criaient à n'en plus pouvoir que Chávez était mis à la porte, que le président de PDVSA, Alí Rodríguez, pouvait licencier tout le personnel, mais que c'était le président Chávez que la société avait licencié.

Le fantôme de la guerre civile fut invoqué à maintes reprises sur le ton ouvertement provocateur des manifestations de l'opposition. La conflictualité a connu des moments d'extrêmes tensions, avec des actes proches du délire, comme par exemple l'attaque des pompes funèbres où étaient veillés les manifestants assassinés le 3 janvier à la Bandera par la police municipale du maire Alfredo Peña [un des animateurs de la campagne anti-Chavez].

La défaite fut donc double. Le coup d'État n'a pas fonctionné car l'opposition n'a pas pu renverser le gouvernement comme elle l'avait promis. Et, ensuite, en utilisant le contrôle qu'elle avait sur PDVSA pour engagé la lutte, elle a perdu ce contrôle dans la foulée du recul qui lui a été infligée.

La «Grève civique nationale active», malgré l'énorme perte économique qu'elle a causée au pays, a jeté les bases d'un élan rénové du processus de changement. Hier, nous payions des millions de dollars à la CIA pour qu'elle nous surveille de près. Aujourd'hui, après la rupture du contrat avec la société de gestion informatique INTESA, nous reprenons peu à peu le contrôle des systèmes informatiques de gestion de la première entreprise du pays: la PVDSA

4.Le coup d'État va se poursuivre dans la mesure où le secteur putschiste de l'opposition gardera sa même direction politique, comme le démontrent les événements d'avril 2002 et ceux de décembre 2002 - février 2003.

Ce secteur putschiste, qu'il importe d'isoler pour ce qu'il est - c'est-à-dire un danger - a aussi analysé les événements. Il n'a besoin de personne pour lui expliquer comment tient un gouvernement qui survit à deux tentatives de coup d'État en dix mois.

Cette opposition se vante de posséder une force électorale écrasante, par laquelle elle pourrait balayer Chávez, mais elle ne mentionne plus la possibilité d'un référendum révocatoire.

Elle veut des élections tout de suite, même anticonstitutionnelles, car elle sait que c'est impossible. Et sur d'éventuelles échéances électorales, celles prévues dans le référendum révocatoire (pourtant envisagé en des termes largement favorables à l'opposition), le secteur putschiste reste muet, car l'opposition devrait s'unir malgré toutes ses divisions, et évite même de fixer position.

Les putschistes - finit-on par penser- croient en fait que les forces d'opposition sont minoritaires et qu'il faut récupérer le pouvoir perdu envers et contre tout. Et que les pauvres sont bien plus nombreux que les riches, et qu'une majorité écrasante des pauvres soutient le président Chávez. Dès lors, toute issue électorale aurait pour résultat de confirmer l'actuel gouvernement.

Ainsi, dans la logique putschiste, les prochaines élections au Venezuela doivent avoir lieu sans le candidat Chávez. Ce n'est pas un hasard si le chercheur américain James Petras prévoit davantage de déstabilisation pour induire un climat de guerre interne rendant «nécessaire», pour «raison humanitaires», une intervention militaire de Washington.

Lutter contre ce coup d'État qui n'en finit pas implique, pour le gouvernement et pour le peuple, de faire un grand bond qualitatif.

Des temps de crise nous attendent. Et un des aspects les plus délicats à prendre en compte est la dimension qu'acquiert la situation au Venezuela face à la guerre imminente de M. Bush contre l'Irak.

La température sociale tendra à augmenter. Mais c'est en ces temps de crise que nous devons grandir. Une leçon que nous fournit l'expérience est qu'il faut prendre à bras les problèmes avant que ceux-ci ne viennent nous chercher.

Un dernier devoir qui s'impose à nous, et qui découle des autres  est celui de gouverner. Il faut renoncer à affirmer, pour excuse, l'on nous empêche de gouverner. Et, il faut gouverner.

Organiser ce qu'il faut organiser et gouverner: vaincre le dengue [maladie très répandue et transmise par les moustiques, ce qui est lié à l'insalubrité], éduquer les enfants et les jeunes, créer des emplois, attaquer le problème de la pauvreté extrême, apporter des solutions aux problèmes d'infrastructure, de logement, de services, exécuter pleinement tous les budgets, relancer l'économie, recycler les déchets solides, reboiser, administrer la justice, opérer les appendicites dans les hôpitaux. Bref, gouverner. 7 mars 2003.

*Journaliste auprès du Services d'information alai-amlatina.

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