Venezuela

Dieu nous a donné Chávez"

Dick Emanuelsson

Le collaborateur du quotidien colombien Liberación (15.4.2002), Dick Emanuelsson, se trouvait deux semaines avant le coup d'Etat - la nuit du 11 au 12 avril 2002 - à Caracas pour une enquête journalistique. Il a eu l'occasion de sentir - c'est le cas de le dire - l'odeur de conspiration qui régnait dans plusieurs secteurs de la société vénézuélienne, et plus particulièrement dans le secteur des médias qui a joué et continue à jouer un rôle important dans la mobilisation contre Chavez, et, plus fondementalement, contre les couches paupérisées du Venezuela, couches qui représentent quelque 80% de la population. Nous publions ce texte qui a le mérite de montrer les mécanismes de travail médiatique, relayé par les grandes chaînes de télévision internationales et la presse écrite, afin de présenter la situation vénézuélienne de façon non seulement caricaturale, mais de manière à justifier un coup d'Etat, plus ou moins déguisé en opération de changement de président et de Constitution.

Ce texte ne fait pas le point sur la situation actuelle qui peut être, pour faire court, résumée ainsi. 1° Les secteurs bourgeois vénézuéliens, avec l'appui des Etats-Unis et du lobby pétrolier, continuent leur mobilisation pour opérer un coup d'Etat constitutionnel plus acceptable par des franges de l'armée et plus présentable dans le continent sud-américain. 2° La direction bolivarienne officialiste du gouvernement de Chavez tend à jouer la carte de la conciliation aussi bien sur le terrain économique qu'institutionnel. 3° Des acteurs du rejet du coup d'Etat - coup d'Etat dont le patron des patrons Carmona était la figure publique et qui a dissous le parlement - restent mobilisés, avant tout dans les milieux pauvres qui se sont identifiés à la figure bonapartiste et populiste de Chavez. La situation est très instable. Voir les différents articles disponibles sur le site de à  l'encontre et du Courrier.  - Réd.

J'ai entendu les coups de feu à deux pâtés de maison du ministère de l'éducation [un ministère qui a une position de gauche marquée]. J'ai pressé le pas pour arriver dans une rue qui passe par le palais de Miraflores. La préoccupation était palpable dans la rue et j'ai vu ce qu'en Colombie nous appelons une "pandilla" [une "bande"] d'environ 40 jeunes prendre possession de la rue. Les policiers se déplaçaient tranquillement aux alentours sans intervenir [la direction de la police de la municipalité de Caracas se profilait ouvertement contre le gouvernement de Chavez et le mouvement populaire]. Au moment même où je me demandais ce qui était en train de se dérouler, la réponse tomba net. "Ce sont des militants de Bandera Roja", m'a expliqué un monsieur, en ajoutant "ils vont au Palais de Miraflores pour chasser le président Chávez". Une jeune personne qui ne faisait pas partie de la bande a été maltraitée sans que la police fasse quoi que ce soit.

Dans le fond, près du Palais, j'ai vu que les gens sortaient de leurs lieux de travail et commençaient à crier: "NO PASARAN, NO PASARAN !" Ils portaient leurs livres ou leurs mallettes [étudiants, employés], c'était la fin de la journée de travail. Mais tous ne rentrèrent pas à la maison, ils commencèrent par défendre leur président, puisque la police ne daignait pas réagir.

"Les policiers sont vendus au maire, Alfredo Peña", m'a dit un monsieur en cravate, bien vêtu. "Ils vont trahir la révolution bolivarienne au premier moment venu", a-t-il ajouté. La police restait les bras croisés et tentait sans conviction de maintenir les jeunes manifestants à distance du Palais. Lorsque j'ai entendu un cri, j'ai vu un jeune ouvrir la bouche et le sang éclabousser sa figure. Une pierre venait d'atteindre son but, la tête d'un jeune qui défendait Chávez. Un photographe de Ultimas Noticias,un des seuls médias encore au service de la déontologie journalistique et de la liberté d'écrire, est la deuxième victime. Un ruisseau coule de sa tête, mais il continue de vouloir tenter de forcer la barricade que la police a mise en place pour terminer le travail. Bien que les responsables aient été identifiés, la police n'a pas bougé.

Le rôle de CTV

Cinq heures auparavant je me trouvais à une conférence de presse convoquée par la Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV). Son président, Carlos Ortega, a ouvert la conférence de manière dramatique en annonçant que le conseil de direction a décidé d'appeler à une grève générale de 24 heures, avec la bénédiction des directions de toutes les fédérations affiliées à la CTV. [L'appareil bureaucratique de la CTV est depuis fort longtemps un prolongement de l'appareil bureaucratique d'Etat, aussi bien de tendance social-démocrate que social-chrétienne].

Les revendications de la CTV sont: un retour à la "méritocratie", c'est-à-dire le retour des directeurs de l'entreprise pétrolière écartés par Chavez, directeurs qui n'avainet pas accepté les règles du jeu, soit la réduction des salaires gigantesques (entre 15 et 20 millions de dollars par année), l'instuaration d'un salaire minimum et une meilleure stabilité laborale. Je lui ai posé la question de savoir si cette grève serait interprétée comme une grève politique ou comme une grève de revendication. Ortega m'a répondu que ce serait une grève de revendication. Je lui ai ensuite demandé si cela n'allait pas dégrader les relations entre la CTV et Fedecamera [l'organisation patronale dont  Carmona était le président), mais Ortega pensait que non. C'était visible que tous les journalistes présents exprimaient et traduisaient un rejet manifeste de Chávez. C. Ortega [symbole de la bureaucratie] rigolait tout seul, content.

POE: "la succursale de la CIA"

Les préparatifs pour la grève et son but se précisent, au cours des jours suivants. Fedecamera se prononce quelques jours plus tard en faveur de la grève générale, de même que les sommets de l'Eglise catholique. Deux jours plus tôt, alors que je sortais de l'immense édifice de 18 étages de la CTV, je tombe sur un groupe de 10 personnes qui manifestent devant la porte principale, sans que les services de sécurité réagissent. C'étaient des militants de la "Force Solidaire", un groupe connu en Suède sous le nom de "Parti Ouvrier Européen", POE.

Ce parti est catalogé comme provocateur. Il apparaît chaque fois que le parti social-démocrate [le parti de l'ancien président de la IIe Internationale, Carlos Andres Perez, exilé aux USA et à Saint-Domingue et condamné pour actes graves de corruption et détournement] organisent une manifestation. L'ancien dirigeant du POE, "l'homme de 33 ans", a été arrêté en 1986 par la police suédoise, suspecté d'avoir assassiné Olof Palme, alors ministre de l'Etat suédois. Il a été ensuite relâché et a émigré aux USA ou il sera assassiné dans d'étranges circonstances. "C'est une succursale de la CIA, terriblement anticommuniste et anti-cubaine", me commente un fonctionnaire de bureau de la Centrale syndicale internationale (qui a son siège à Bruxelles), au 15ème étage du bâtiment de la CTV. Le jour suivant, je peux lire dans El Universal (grand quotidien de Caracas) que Carlos Ortega a reçu un grand nombre de manifestants qui exigeaient que la CTV appelle à la grève générale pour renverser Chávez. Le grand nombre de manifestants se révèle n'être rien d'autre qu'une dizaine de personnes.

Grève pour les patrons ?

"Etrange", me dis-je en sortant de la conférence de presse: lancer tous les syndiqués dans une grève générale pour défendre les dirigeants de l'entreprise pétrolière PVDSA qui touchent de pareils salaires.

La direction de la CTV est composée de sept personnes. Lors d'une élection interne réalisée en novembre 2001, remise en question pour fraude, six des sept élus se revendiquent anti-Chávez. La majorité provient de AD (Action Démocratique), parti social-démocrate, souillé par son ex-dirigeant, Carlos Andrés Pérez, pour corruption. Pérez a été accusé et condamné il y a quelques années. Il s'est exilé ensuite aux USA et à Saint-Domingue pour se convertir en ennemi mortel de Chávez. Pendant l'élection, le COPEI (démocrate-chrétien) et Bandera Roja (d'origine maoiste, dégénéré) se sont alliés contre les candidats pro-Chávez. Selon la CTV, qui n'a jamais rendu publics les actes de l'élection, Carlos Ortega a gagné haut la main. Encore une fois, je me dis: "Comme c'est étrange, pourquoi n'ont-ils pas organisé une grève générale lorsque Carlos Andrés Pérez a imposé sa loi et supprimé toute stabilité laborale lors de son mandat présidentiel? [1989-1993]."

La défense du Palais

Une foule nombreuse se masse autour du Palais de Miraflores. De belles et jeunes femmes d'une trentaine d'années crient leurs slogans pour défendre le gouvernement bolivarien. Se sont des secrétaires. Elles s'approchent des journalistes de la télévision et leur disent leurs quatre vérités. Certains journalistes en costard en pâlissent.

"Ils se prétendent journaliste, mais ce ne sont que des rats au service de Fedecamera et de la CTV. Ils cherchent juste à renverser Chávez pour liquider le processus social qui a commencé", me commente une femme furieuse.

Pages blanches

A l'époque de Carlos Andrés Pérez, il était impossible de passer devant le Palais. Les rues étaient bloquées avant d'y arriver. Souvent les journaux ont sorti des éditions blanches ou partiellement blanches pour protester contre la censure du gouvernement Pérez. Plusieurs bureaux de la télévision ont été fermés, pendant que les rédactions se faisaient perquisitionner par la police et les services secrets. Pendant les trois ans du gouvernement Chávez, me commente la dame, aucun bureau n'a été fermé et aucun journal n'ont été censurés, aucune émission de radio ou de télévision non plus.

"Mais eux, ils ne respectent rien, ils manquent de respect pour le président et sont grossiers dans leur comportement envers Chávez. Quand il répond aux accusations et aux calomnies dans son programme "álo, Presidente" [programme réservé aux interventions de Chavez, ce qui est un moyen de communication dans un pays paupérisé et où l'analphabétisme est répandu] les journalistes l'accusent d'être agressif avec la presse. C'est une vaste hypocrisie", conclut-elle.

Avec Cuba

Une femme âgée, qui a un beau visage, s'approche de moi en se rendant compte que je ne suis pas du côté des institutions. Elle me raconte une histoire qui m'émeut beaucoup. Elle s'appelle Lidia Ochoa et est directrice d'un centre de réinsertions dans la ville de Maracay: son fils s'appelle Tulio Ochoa et se trouve en 5eme du lycée (17 ans). C'est un garçon comme tous les autres jusqu'ici.

"Les médecins disaient qu'il était préférable que Tulio n'étudie pas, mais je suis passée outre et je me suis dit à moi-même: "Il va étudier parce que c'est un fils de Dieu". Les médecins lui conseillaient de ne pas le soumettre à la pression des études. Mais elle, très évangélique et très croyante, l'a préparé peu à peu. Il commença par rentrer dans un collège "normal" qu'il termina. Maintenant il va entrer à l'Université Centrale du Venezuela pour y étudier l'agronomie.

Dieu et Chávez

Quand Tulio est né, les médecins ont dit à sa mère de ne pas se faire beaucoup d'illusions sur les chances de survie de son fils, mais sa maman a prié Dieu pour qu'un jour un président arrive qui pourrait sauver son enfant.

"J'ai connu Hugo Chávez Frias lors du processus révolutionnaire de 1992 [première tentative de prise du pouvoir], et je me suis remise à eux. J'ai travaillé pour lui, je l'ai soutenu dans sa campagne et je l'accompagne encore aujourd'hui. C'est pour cela que je suis ici, devant le Palais, pour le défendre."

Le fils de Lidia souffre du syndrome de Cruzon, une maladie très rare.

"Au Venezuela cette opération me coûterait environ 45 millions de bolivares (env. 45'000 dollars). Mais mon président va m'offrir cette opération grâce à l'accord entre Cuba et le Venezuela. Mon fils subira trois opérations à Cuba", me raconte-elle, les yeux brillants d'une joie qui me remplit, moi, ainsi que les autres personnes qui nous entourent.

Un million de Caraceños descendent dans la rue

Elle gagne seulement 250'000 bolivares dans un pays où les produits sont très chers. Mais elle affirme être très contente de la Révolution.

"Mon mari est mort cela fait deux ans et je me retrouve seule pour lutter, mais je me sens accompagnée avec mon Commandant. Mes bras, mes mains, et mon corps sont prêts à porter le fusil pour le défendre où que ce soit."

Un autre jeune ajoute: "Nous sommes disposés à lutter jusqu'à l'ultime conséquence ". Je pense alors que c'est un " refrain " que j'ai déjà souvent entendu, mais presque trois semaines plus tard, le 12 avril, un million de Caraceños, descendent dans la rue, sans armes, pour défendre et reconquérir le pouvoir, la démocratie et le processus pour un Venezuela Nouveau avec une justice sociale dont les patrons voulaient les priver.

"L'oligarchie qui régnait avant ne voulait rien avoir à faire avec Cuba. Et s'ils étaient restés au pouvoir, mon fils n'aurait pas eu droit à son opération. Le médecin cubain qui soigne mon fils ne me coûte rien", me dit-elle.

Ils n'ont peur ni des moustiques ni de la varicelle.

"Les médecins cubains, présents au Venezuela, vont là où les médecins vénézuéliens ne veulent pas mettre les pieds. Parce qu'il y a des moustiques, que les petits vieux sentent mauvais ou encore à cause de la varicelle. C'est-à-dire que les médecins vénézuéliens préfèrent les bureaux climatisés de la ville et laissent aux Cubains les soins dans les zones paupérisées de pays, commente un monsieur. Ce sont (les Cubains) des internationalistes qui font preuve d'une impressionnante humilité, ils travaillent comme des mules dans les zones rurales et soignent beaucoup de gens."

Cependant la presse nationale les accuse d'être des agents du communisme, collaborant avec les services secrets militaires pour entraîner les «Cercles Bolivariens» aux armes. Lorsque je mentionne cela dans mon entourage, les Chavistas dementent ausstôt.

"Voyez, raconte Lidia, j'ai proposé à Maracay au président du Collège des Médecin de faire une " opération de santé " dans les quartiers pauvres de la ville. Les Vénézuéliens répondirent qu'ils n'iraient pas. C'est bon ai-je répondu, je vais contacter mes camarades cubains qui eux ont accepté immédiatement."

Le coup

Maintenant les rues sont tranquilles, le cordon humanitaire de protection du Président Chávez s'éloigne aussi. Beaucoup me confient qu'ils rentrent dans leurs quartiers pour se réunir avec les " cercle Bolivariens ", que la Révolution est menacée et qu'il faudra se préparer pour mieux la défendre.

Trois semaines passent. Arrive le 11 avril et le coup d'Etat. Le souvenir de Doña Lidia me revient à l'esprit. Les anti-Chávez marchent sur l'ambassade cubaine où ils détruisent tout sur leur passage. La cible est une délégation diplomatique venue pour mettre en place un processus social qui a pour but d'apporter des soins médicaux à une frange toujours plus large de la population. La tristesse m'envahit en pensant que tout sera beaucoup plus compliqué désormais pour Tulio.

Le 13 avril j'apprends que le peuple est en marche, qu'il descend dans la rue et se dirige vers le Palais de Miraflores. A quatre heures du matin le 14 avril, le Commandant de Lidia [Chavez] parle à la radio depuis le Palais présidentiel. La contre-révolution a été écrasée.

Je m'imagine les alentours du Palais. Tulio et Lidia, sans doute sont-ils présents pour sauver leur Commandant !

Haut de page
Retour


case postale 120, 1000 Lausanne 20
fax +4121 621 89 88
Pour commander des exemplaires d'archive:

Soutien: ccp 10-25669-5

Si vous avez des commentaires, des réactions,
des sujets ou des articles à proposer: