Venezuela

«Chavez est très affaibli, et il le sera encore davantage s’il va vers la conciliation»

Entretien avec Douglas Bravo

Douglas Bravo, combattant de la guérilla dans les années 1960-1970 et actuel dirigeant du Mouvement Troisième Voie (Movimiento Tercer Camino), dissident par rapport à Chavez, propose un regard différent sur la crise au Venezuela et sur les scénarios possibles sur lesquels peut déboucher la «révolution bolivarienne». L'interview a été réalisée par Veronica Gago, de Pagina 12;quotidien argentin. Réd.

Pourquoi les conflits vont-ils se poursuivre ?

Depuis le 27 février 1989, date à laquelle s'est produit le «Caracazo» [soulèvement contre la pauvreté et la faim à Caracas], avec la mobilisation de 10 millions de personnes, deux forces s'affrontent: celles qui se battent pour l'émancipation sociale et celles que tente d'imposer le néolibéralisme.

Cette rébellion des pauvres maintient un degré élevé d'instabilité institutionnelle dans le pays. Cette dernière se poursuit actuellement, même sous un gouvernement qui prétend institutionnaliser cette réaction populaire. Je pense qu'il y aura une succession de coups d'Etat, d'affrontements et de grèves insurrectionnelles.

Je veux dire qu'il existe une confrontation pour le pouvoir politique, pour le pétrole, mais les deux courants qui s'affrontent sont tous les deux néo-libéraux, même s'ils représentent des tendances différentes. D'une part il y a le bloc de ce qu'on appelle la Quatrième République, composé des politiciens de la droite traditionnelle, des patrons et leurs médias, des militaires golpistes et des syndicalistes «modérés» [social-démocrates ou chrétiens sociaux] de la Centrale des Travailleurs de Venezuela (CTV) Ce bloc soutient un néolibéralisme vieilli et classique en ce qui concerne la distribution des richesses. D'autre part, il existe un néolibéralisme beaucoup plus avancé en ce qui concerne la conception philosophique du capitalisme: C'est le bloc qui soutient le gouvernement [Ce dernier dans la dernière période avant la tentative de coup d'avril 2002 avait proposé une politique d'austérité saluée par les milieux financiers qui y voyait un recul qu'ils mettraient, plus tard, à profit- réd]. Ce qui manque ici, c'est une troisième force, révolutionnaire et patriotique [au sens anti-impérialiste-réd], capable d'affronter le pouvoir à la bourgeoisie et à l'impérialisme.

Dans ce schéma, comment comprendre que le peuple soit sorti dans la rue pour défendre à Chavez et que les troupes soient restées fidèles au président ?

Il est clair qu'il existe deux courants bien distincts à l'intérieur du chavisme. Un courant, minoritaire - comprenant les officiers supérieurs des Forces Armées, du Tribunal suprême et du  Pouvoir Exécutif -  prend les décisions économiques et officielles du point de vue idéologique et politique. C'est ce courant qui fait que le chavisme perd continuellement des cadres, ce qui pose problème, car, par exemple, si Chavez perd encore cinq députés, il perdra la majorité dans l'Assemblée Nationale.

L'autre courant, majoritaire du point de vue quantitatif mais non pas qualitatif, est celui qui est sorti dans la rue défendre Chavez. En font partie des officiers prêts à se battre pour défendre le gouvernement, même s'ils ne dominent pas l'appareil militaire, et des secteurs politiques qui croient dans le projet révolutionnaire bolivarien.

Quelle est la situation actuelle du gouvernement ?

Le gouvernement de Chavez est sorti très affaibli du coup d'Etat. Mais cette fragilité va continuer s'il met en pratique le discours conciliateur qui s'annonce depuis son retour au pouvoir.

La conciliation telle que la conçoit Chavez est un nouveau pacte - comme celui de Punto Fijo [accord emblématique, passée en 1958, entre Action Démocratique (AD), COPEI (Social chrétien) et Union républicaine démocratique (URD), après la chute du dictateur militaire, le général Pedro Jimenez; la période de dictature militaire s'étend 1948-58, avec un premier dictateur Romulo Gallegos Freire, puis Jimenez- réd] - qui laisse de côté le peuple qui l'a soutenu, et négocie avec les secteurs de droite qui ont essayé de le renverser.

Quelle position a adopté votre mouvement pendant le coup ?

Avec Tercer Camino, nous nous sommes opposés au coup, nous sommes sortis dans la rue, mais nous avons fait une pétition demandant l'instauration d'un gouvernement patriotique.

Quelle était votre référence ?

Face à la situation telle qu'elle se présente actuellement, un secteur majoritaire socio-politiquement dans le pays - que l'on peut considérer comme le bloc patriotique et populaire, composé de civils et de militaires, dont certains sont actuellement au gouvernement et d'autres pas - est en train d'élaborer un document qui sera présenté ces jours-ci au Président Chavez.

En quoi consiste cette proposition ?

Il s'agit d'une opposition radicale à ce que nous pensons qui arrivera si Chavez poursuit sa politique de concessions, à savoir la privatisation du pétrole, du gaz et des services de base.

Notre initiative propose, entre autres, l'expulsion de l'aile droitière des Forces Armées, y compris certains que Chavez est en train de confirmer à leur poste, et la révision des mesures visant à créer un consensus, telles que l'acceptation de renoncer à nouvelle direction, par lui nommée, de la société pétrolière, la PDVSA.

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