Ukraine

Le mouvement syndical ukrainien

Nous publions ici un entretien avec Vladimir Zlenko, Directeur de l'École ukrainienne pour la démocratie du travail et ancien président (1991-1999) du Syndicat des travailleurs de la construction automobile et de machines agricoles d'Ukraine (ASMU).

Nous tenterons de régulièrement fournir une information sur la situation des travailleuses et travailleurs - et sur les organisations syndicales - dans différents pays de l'ex-URSS.

Quand vous étiez Président d'ASMU, quelles étaient vos principales tâches ?

 VZ: J'ai dû d'abord créer un syndicat national là où il n'existait pas encore. Cet objectif atteint, la principale tâche consistait à transformer le syndicat en une organisation démocratique et de lutte des travailleurs pour leurs intérêts. Malheureusement, malgré certains progrès, le syndicat en est toujours bien loin.

Quel genre de syndicat l'ancien système vous a-t-il laissé ?

VZ: Contrairement à la plupart des autres républiques, notre syndicat n'avait pas de Conseil républicain en Ukraine. Nos conseils régionaux étaient directement affiliés à la Fédération à Moscou et quand nous allions aux réunions du Conseil central d'ASM, nous ne représentions que nos régions respectives. Personne ne représentait l'Ukraine.

Aussi au départ étions-nous très désunis. Quand nous avons créé le Conseil des Présidents des syndicats régionaux en 1989, ses décisions étaient souvent totalement ignorées, notamment quand il s'agissait de la question du partage des cotisations avec le Conseil. Lors de notre congrès de création en janvier 1991, quatre régions n'ont pas signé la déclaration de création.

Nous avons dû unir les organisations régionales et d'entreprise pour qu'elles s'identifient au syndicat national. Cela a été plus ou moins réalisé, et en un an toutes les régions s'étaient associées. Cependant, il nous reste encore un long chemin à parcourir pour créer la solidarité nécessaire à une action unie.

Dans l'Union soviétique, les syndicats ne reflétaient pas les intérêts des travailleurs. Ils étaient les courroies de transmission du gouvernement et de l'administration économique. Les ordres se transmettaient du haut vers le bas. Il n'y avait aucune démocratie. Il ne pouvait donc pas y avoir de réelle solidarité entre les travailleurs, les entreprises ou même les sections syndicales.

Pendant dix ans comme président, j'ai essayé de transformer les syndicats en une véritable organisation des travailleurs mais je n'ai eu qu'un succès limité. Je pense que cela prendra longtemps encore, à moins d'une importante mobilisation spontanée à la base, ce qui semble bien improbable aujourd'hui.

Une question symbolique et très pratique est celle que pose la présence du personnel de direction dans le syndicat. J'ai fait de gros efforts pour convaincre les dirigeants (syndicaux) et les adhérents que les représentants des employeurs n'ont pas leur place dans le syndicat. Je n'ai pas réussi à persuader le syndicat d'exclure les directeurs. Faute de pouvoir obtenir l'exclusion de ceux qui étaient déjà membres, j'ai proposé de ne pas accepter à l'avenir le personnel de direction parmi les nouveaux membres. J'ai réussi aussi à faire amender les statuts du syndicat pour que les représentants des employeurs soit exclus des négociations pour les travailleurs ainsi que des postes électifs du syndicat. Grâce à nous, c'est devenu une loi deux ans plus tard. Il est vrai que la définition de " représentants de l'employeur " y est étroite: dirigeants directement nommés par le propriétaire. Je voulais y intégrer toute la direction, du directeur aux contremaîtres.

Nous avons beaucoup discuté sur cette définition mais nos dirigeants craignaient d'aller trop loin. En 1999, la conférence régionale de Zaporoje de notre fédération a débattu pour savoir si le syndicat de l'Usine de construction de machines agricoles de Berdyansk avait respecté la légalité en élisant le directeur de l'usine comme délégué à notre congrès de 2000. Le vice-président de la fédération régionale de Zaporoje a pris la parole: " Que dites-vous ! La loi reste encore à faire ! Si vous interprétez dans ce sens, nous n'aurons plus aucun directeur dans la fédération régionale et comment pourrons-nous travailler avec eux ? " Le directeur de l'usine lui-même se leva pour défendre le fait qu'il avait parfaitement le droit d'être délégué à ce congrès. Et la conférence l'a confirmé.

Le nouveau président d'ASM, V. Dudnik, qui a été mon vice-président, était à la conférence mais il n'a pas défendu les statuts du syndicat. Bien que j'aie quitté effectivement mes responsabilités de président, je l'ai prévenu que je demanderais que le directeur soit exclu s'il venait. Il ne s'est pas montré.

Dudnik a été une déception. Comme vice-président, il avait caché ses tendances à la conciliation. Il y avait dans les régions des dirigeants plus proches de mon point de vue qui auraient pu me remplacer, mais la faiblesse de nos moyens financiers nous oblige à élire quelqu'un qui réside déjà à Kiev. Nous n'avons pas l'argent pour louer un appartement pour le président.

L'autre tâche consistait en la démocratisation du syndicat afin que les adhérents de base puissent réellement élire leurs dirigeants et continuer à exercer un contrôle sur eux. Notre plus grand problème aujourd'hui est la subordination du président du syndicat d'entreprise au directeur. En règle générale, le directeur peut obtenir que son candidat soit élu à ce poste ' et ce pour plusieurs raisons, à commencer par l'héritage du passé. Mais la principale raison est que nos usines ne tournent pas ou ne fonctionnent qu'à temps partiel. Le résultat est qu'il est difficile d'organiser une conférence syndicale. Prenez l'exemple de l'usine de construction automobile de Zaporoje qui officiellement emploie encore 15 000 salariés, mais qui dans la réalité ne fonctionne pas. Il est encore plus difficile de réunir une assemblée dans une plus petite usine. Aussi les conférences ont-elles tendance à être très formelles: quelques rares personnes s'autoproclament " conférence ", nomment un président de séance et adoptent une convention collective. C'est une pratique largement répandue. Quel genre de démocratie et de participation peut-on attendre dans cette situation économique ?

De combien a chuté le nombre de vos adhérents depuis la création du syndicat ?

VZ: Nous avons commencé avec 525 000 adhérents, aujourd'hui nous n'en avons plus que 220 000. 40 000 d'entre eux sont des retraités non actifs et 20 000 étudient dans des écoles techniques. Mais même parmi les 60 000 travailleurs occupant un emploi, beaucoup travaillent à temps partiel ou seulement de façon sporadique dans les usines. D'autres syndicats se trouvent dans une situation encore pire. Le nombre d'adhérents du Syndicat des travailleurs de la radio électricité (REP), dont le leader est proche de moi, a chuté de 700 000 à 140 000.

Ces travailleurs ne quittent pas une organisation pour en rejoindre une autre. Ils quittent les usines et partent travailler dans les petites entreprises du nouveau secteur privé, dans les petits commerces. En général, ils survivent du mieux qu'ils peuvent. Mais même pour ceux qui restent dans les usines, leur salaire n'est plus aujourd'hui leur principal moyen de subsistance. Il est vrai que dernièrement les salaires sont payés plus régulièrement et en argent. Mais on ne peut pas vivre avec son salaire. Dans toutes les usines de pièces détachées de Tchernigov, le salaire moyen est de 250 grivnyas, soit environ 50 $. Les travailleurs qualifiés peuvent avoir un salaire de 400 grivnyas, ce qui reste un salaire misérable. Tchernigov est une ville de taille moyenne et tout le monde a un jardin, élève des poulets et des lapins. Les gens ont gardé des liens étroits avec la campagne. Les travailleurs aident leurs parents à travailler la terre et vivent de ce qui y pousse.

Quelles étaient vos relations avec la Fédération des syndicats d'Ukraine (FTU)?

VZ: Pour moi, la tâche principale d'une fédération syndicale est d'unifier le mouvement syndical autour d'objectifs communs et de coordonner l'action pour atteindre ces objectifs. Mais la FTU ne le fait pas. Une des principales raisons est son président Stoyan. Pour le dire sans fard, c'est un carriériste et ses intérêts sont étrangers au mouvement ouvrier. Historien de profession, il était assistant du premier président d'Ukraine Kravchuk quand il a été élu à la tête de la Fédération. Vous vous demandez probablement comment il a pu être élu à la tête d'une fédération syndicale. Je me le demande également. Mais beaucoup de dirigeants syndicaux préfèrent travailler étroitement avec le gouvernement plutôt qu'avec leurs adhérents. Ils cherchent des profits personnels au sommet du pouvoir d'état à Kiev et dans les régions, mais ils ne vont pas voir les travailleurs, ne les organisent pas et ne les mobilisent pas.

Ceci explique comment Stoyan a été élu deux fois. La seconde fois, il y a eu plus de concurrence, y compris venant de la direction du Parti social démocrate qui était proche de nous et que nous soutenions. Mais le congrès a été organisé dans la plus pure tradition bureaucratique. Ce fut plus un spectacle qu'un congrès. Les délégués étaient tous filtrés, sélectionnés. J'ai proposé une série d'amendements aux statuts de la Fédération, mais ils ont tous été rejetés.

Une autre question importante est la propriété des syndicats, qui est immense. Seul l'État possède plus. Cela consiste en centres de vacances, complexes sportifs, hôtels, immeubles de bureaux. Tout cela est organisé sous forme de "corporations" et les meilleurs morceaux ont été pris par la Fédération. Elle loue les espaces de bureau à Kiev pour 25 à 30 $ le m_ et ne rend aucun compte aux organisations affiliées sur ces revenus. Aussi, alors que les syndicats nationaux et régionaux manquent cruellement d'argent, la Fédération, qui ne reçoit pas grand-chose de ses organisations affiliées, continue à prospérer. Stoyan ne reçoit même pas de salaire de la Fédération étant donné qu'il a un double salaire comme député au parlement ' ce qui viole de façon flagrante le statut de la Fédération. Mais il a six secrétaires, trois chauffeurs et un parc de voitures à sa disposition.

Lors du dernier congrès, j'ai proposé que les ressources financières soient partagées entre les organisations affiliées, qui seraient alors en mesure de remplir leurs obligations statutaires de soutien financier de la Fédération. Des collègues des autres syndicats ont tous accepté avec enthousiasme ma proposition' au début. Puis les hommes de Stoyan se sont mis au travail et leur ont fait changer d'avis. Évidemment, leurs intérêts personnels ont joué un grand rôle dans ce retournement typique. Les dirigeants des fédérations nationales de branche partagent les revenus tirés de la location des locaux et ne rendent aucun compte là-dessus non plus. Notre syndicat, lui, ne reçoit rien, à cause de son opposition à Stoyan.

Vous vous êtes engagés dans l'éducation syndicale ces deux dernières années comme directeur de l'École Ukrainienne pour la démocratie du travail. Qui la finance et quels sont ses objectifs ?

VZ: Cette année, nous sommes financés par la Fédération canadienne de l'automobile qui a une réelle " culture de lutte " et dont nous nous sentons très proches. Nous avons aussi un soutien en nature de syndicats régionaux et locaux progressistes, notamment ceux d'ASMU et de REP.

Notre objectif est d'aider à organiser et à mobiliser les militants de base. Tant que nous n'y arriverons pas, il n'y aura aucun changement important dans le mouvement syndical.

Comme président d'ASMU, je me suis posé souvent la question: Est-ce que je vais quitter la Fédération (des syndicats d'Ukraine FTU), en entraînant avec moi au moins une partie de mon syndicat pour rejoindre les syndicats alternatifs ? J'ai sondé nos organisations affiliées locales et régionales et j'y ai trouvé peu de soutien sauf à Vetchinkin, auprès du président régional de Kharkov et des plus solides défenseurs de ma position. Certains acceptaient de quitter la FTU mais voulaient rester dans les fédérations régionales. Nous avons également débattu de cette possibilité. Olkhovets, le président du syndicat REP, ne m'a pas soutenu à l'époque. Aujourd'hui, il me dit que j'aurais dû le faire. Il est prêt à quitter la Fédération mais ne veut pas le faire seul, parce que les syndicats alternatifs ne représentent pas grand-chose.

Ils sont encore plus faibles en Ukraine qu'en Russie ?

VZ: Oui. Le plus puissant est le Syndicat indépendant des mineurs, mais les mineurs sont très corporatistes et ne se battent que pour eux. Ils ont rejeté toutes mes approches. Ils y a aussi les conducteurs de locomotives, les contrôleurs aériens. Le reste est très petit, divisé et pas très efficace. Ces syndicats alternatifs reçoivent des aides de l'étranger.

Pour en revenir à l'École, notre principal but est d'aider les travailleurs à comprendre le rôle des syndicats, de les aider à se transformer en organisations démocratiques des travailleurs. Nos travailleurs n'ont pas réellement compris ce qu'est le capitalisme et comment défendre leurs intérêts dans ce système.

Ainsi la conciliation des dirigeants syndicaux trouve un soutien à la base ?

VZ: Oui, les travailleurs ont gardé leur mentalité "soviétique" même s'ils voient comment les directions se conduisent. Mais, je le répète, le principal obstacle au développement de l'indépendance des travailleurs est que les usines ne fonctionnent pas. Si les travailleurs allaient au travail et gagnaient leur vie, cela serait plus facile de changer les choses.

Comment recrutez-vous les participants aux sessions de formation organisées par l'École?

VZ: C'est un problème très compliqué. Si je pouvais visiter librement les usines et inviter directement les travailleurs qui veulent se mobiliser, cela serait facile. Mais c'est hors de question. Je dois travailler avec les présidents des comités syndicaux qui me soutiennent et m'envoient les gens. Pour le syndicat ASM, il s'agit surtout des régions de Kharkov, Vinnitsa et en partie Kremenchug ; pour REP, j'ai des soutiens à Lugansk, Dnepropetrovsk et Donetsk.

Même quand j'ai le soutien du président régional, nous devons encore passer par le comité de l'usine. À l'usine de pièces détachées automobiles de Tchernigov, mon entreprise d'origine, le président du comité syndical se plaint à moi du fait que le syndicat est tenu à l'écart par la direction, mais il a peur de me laisser entrer dans l'usine pour parler directement avec les travailleurs. Et quand le président (du syndicat) de l'usine coopère, nous n'avons pas toujours les gens que nous voulons. Ils envoient parfois du personnel d'encadrement ou des retraités qui travaillent ' des gens bien, mais incapables de changer leur mode de pensée, ou des gens passifs. J'élimine progressivement ces gens et ils ne viennent pas pour la deuxième ou la troisième session. Nous essayons de faire venir des jeunes travailleurs et des travailleurs qui se sont engagés dans de vraies luttes.

Nous ne donnons pas de cours " techniques " sur la façon de négocier, d'organiser les finances du syndicat, etc., même si cela ne serait pas une mauvaise idée si nous en avions les moyens. Notre objectif principal est d'aider les militants à penser différemment, indépendamment de ce que la direction, le gouvernement, la presse et même leurs propres dirigeants leur disent. Nous voulons les aider à se développer avec leur propre compréhension, en tant que travailleurs, de l'entreprise, de la société et de leur place.

Le fait que l'école est un endroit où les travailleurs actifs de différentes usines, secteurs et régions peuvent se rencontrer pour échanger des expériences et se soutenir mutuellement est presque aussi important. Ils commencent à se considérer comme une classe. Cela ne peut se passer nulle part ailleurs actuellement. Lors de notre dernier séminaire, à Kharkov, en mai, nous avions des gens de quatre syndicats différents, ainsi que l'ancien assistant du président de la Fédération canadienne de l'automobile, Sam Ginfin. Il y avait aussi un membre des syndicats libres Tout ce que disait ce travailleur n'était pas bon à prendre, mais au moins il est actif et tente de mobiliser les gens. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous l'avions invité à notre séminaire de Kharkov.

Voyez-vous des résultats à ces actions de formation ?

VZ: J'attends de vrais résultats dans dix ans peut-être. Mais cela a déjà un impact. Par exemple le mois dernier, un des ateliers de l'usine Lozovaya Stamping a cessé le travail et organisé une grève sauvage. En réalité, cette grève avait été organisée par des militants qui avaient participé à nos séminaires, mais les autorités n'ont pas pu le prouver. L'autre atelier ne s'est pas joint à la grève mais, chose rare, il a envoyé des délégations. Les travailleurs faisaient grève pour exiger le paiement des salaires en retard, et ils ont gagné. C'est arrivé peu après que cinq jeunes militants sont rentrés du séminaire de Kharkov, et ce n'est pas un hasard. Ils m'ont dit après le séminaire: " Nous sommes différents maintenant. Nous voyons les choses d'un 'il différent ". Je les vois changer d'un séminaire à l'autre. Ils participent plus activement ; ils argumentent mieux leurs opinions et les expriment avec plus de force.

Après une année de fonctionnement de l'École, je suis invité dans tout le pays. C'est un encouragement. Mais je ne sais pas comment gérer cela. Evidemment, si j'avais plus d'argent je pourrais recruter des gens pour m'aider et avoir plus de formateurs. Actuellement, je suis pratiquement seul, avec un soutien organisationnel de certains syndicats régionaux, l'aide de mon épouse,Tanya, qui accepte que je "l'exploite", et un soutien intellectuel essentiel de l'École russe pour la démocratie du travail.

Les dirigeants de l'École russe envisagent de créer une Université des travailleurs pour offrir une formation plus systématique que des séminaires ponctuels. Cela passe par la préparation de formateurs rémunérés. Mais c'est là encore une question d'argent et les syndicats sont pauvres. En fait, ils pourraient trouver de l'argent pour la formation, s'ils le voulaient vraiment. Mais les dirigeants qui le veulent ont peur ou sont encore éloignés et hésitant.

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Ce document nous a été communiqué par le Messager syndical. Rédaction: David Mandel (Canada), Carine Clément, Denis Paillard (France). Pour toute correspondance: Messager Syndical  c/o D.Paillard, 156 rue Oberkampf 75 011 PARIS,

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