Palestine Le mur de la honte*
Pour faciliter ses projets irakiens, l'administration américaine a relancé le plan de paix du «quartette» visant à l'établissement d'un Etat palestinien en 2005, avec la tournée au Proche-Orient de son émissaire William Burns. Mais M. Ariel Sharon a rejeté la proposition de la communauté internationale, refusant notamment tout retrait des territoires réoccupés. Le gouvernement israélien gagne ainsi du temps, notamment pour accélérer la construction d'un mur qui annexe, d'ores et déjà, une partie de la Cisjordanie.
Par Matthew Brubacher*
Le «mur de sécurité» que le gouvernement israélien construit autour de la Cisjordanie et de Jérusalem va radicalement modifier le paysage géographique et politique du Proche-Orient. En édifiant une clôture trois fois plus haute et deux fois plus large que le mur de Berlin - que l'Allemagne de l'Est appelait «mur de la paix» et l'Allemagne de l'Ouest appelait «mur de la honte» -, Israël va annexer unilatéralement une partie substantielle de la Cisjordanie et resserrer les barrages militaires autour des villes palestiniennes, en y enfermant ainsi efficacement les habitants. Un premier mur avait été bâti autour de Gaza durant la première Intifada (1987-1993), lorsque l'Etat hébreu entoura cette bande de terre d'une barrière électrifiée hermétiquement close. Celle-ci lui permit de maintenir son autorité sur seize colonies ainsi que de contrôler les mouvements des Palestiniens. Actuellement Israël maintient son contrôle sur 20% de Gaza et confine ses 1.5 millions d'habitants dans les trois cantons séparés de cette espace de terre à peine plus grand que Washington DC.
Les Palestiniens de la Cisjordanie vont connaître le même destin que ceux de Gaza. La première étape consiste à séparer Israël de la majore partie du nord de la Cisjordanie. La clôture suit les frontières de 1967 tout en y annexant de nombreuses colonies ; elle entoure étroitement certains territoires-clés palestiniens et en découpe d'autres. Des zones palestiniennes comme le village de Qaffin se voient privées de 60% de leurs terres agricoles, tandis que d'autres, comme la ville de Kalkilya, de sont pas seulement privées de leurs terres, mais la clôture les coupe et de la Cisjordanie et d'Israël. Cette portion du mur coûte au gouvernement israélien plus d'un million de dollars le kilomètres et il est fortifié par des parois de béton de 8 mètres, des tours de contrôle tous les 300 mètres, des fils barbelés et des routes de contournement.
Le première partie de ce mur «du Nord» s'étend sur 95 kilomètres de Salem à Kafr Kassem et va aboutir de facto à une annexion de 1.6% de la Cisjordanie incluant 11 colonies israéliennes et 10 000 Palestiniens. L'Etat hébreu projette d'incorporer cette zone à Israël de telle sorte que, lorsque les négociations sur le statut final reprendront, un retour en arrière coûterait tellement cher du point de vue politique que cette incorporation sera considérée comme irréversible. On est donc bien confronté à une stratégie pour déplacer la ligne verte.
La construction du mur autour de Jérusalem-Est est encore plus dévastatrice pour les aspirations étatiques palestiniennes. Tandis qu'au nord le mur ne s'étend jamais au-delà de 8 Kilomètres à l'intérieur des terres, à Jérusalem, il s'enfonce bien plus profondément. Cette différence montre que la logique israélienne varie selon qu'il s'agit du mur du Nord ou de celui de Jérusalem. Les aspirations minimales d'Israël, correspondant aux propositions formulées aux réunions de Camp David (juillet 2000) et de Taba (janvier2001), prouvent que l'Etat hébreu entend conserver les colonies situées au nord et qui se trouvent actuellement au-delà du mur. Cela confirme, comme l'ont répété le premier ministre Ariel Sharon et le ministre de la défense Benyamin Ben Eliezer, que dans cette région le mur ne constitue pas une frontière politique. En revanche, à Jérusalem, sa construction reflète les aspirations israéliennes et représente bien une telle frontière.
Afin de consolider son contrôle sur le Grand Jérusalem, l'Etat hébreu concentre ses constructions dans cette région. Dans le «plan d'enveloppement de Jérusalem», auquel M. Sharon a donné son feu vert au début de l'année, le mur devrait suivre les frontières de Jérusalem telles que les Israéliens les avaient définies après l'annexion de Jérusalem-Est en 1967, et inclure en plus les deux grands blocs de colonies de Givon et Maale Adumim qui se trouvent en dehors du territoire annexé.
«Ce qui est construit, nous le garderons»
Cette incorporation du Grand Jérusalem dans l'Etat hébreu pose de nombreux et graves problèmes, puisqu'elle aboutit à l'incorporation d'un grand nombre de Palestiniens, soulignant les contradictions entre impératifs de démographie et ceux de sécurité. Afin de résoudre ce problème, Israël tente de construire deux murs autour de Jérusalem. Le premier est une séparation interne bâtie principalement autour des frontières municipales définies par Israël. Le second sera une séparation externe autour des blocs de colonies. A la différence des forteresses médiévales, ces murs de Jérusalem se composeront d'une barrière électrifiée, d'une route de contournement et, à certains endroits, de tranchées, de parois de béton et de détecteurs de mouvement. Les deux murs se présentent comme un collier, formant une sorte de fil reliant les colonies israéliennes existantes et les sites militaires. Il s'agit de rattacher des colonies déjà protégées par des cordons de sécurité et de renforcer ainsi le contrôle sur tous les espaces qui séparent celles-ci.
Pour l'instant, Israël se focalise sur la construction de barrières pour couper les zones israéliennes de la population palestinienne. Dans le Nord, Israël a construit un mur qui traverse la zone de Qalandia afin de dissocier Jérusalem de Ramallah. A l'est, une paroi en béton a été érigée le long du mont des Oliviers pour couper les zones palestiniennes d'Abou Dis et d'Azzaria de Jérusalem. Dans le sud, un mur et une tranchée séparent Bethléem de Jérusalem et, de surcroît, entraînent l'annexion d'une partie considérable des dernières terres municipales palestiniennes. Israël annexe ainsi le site - sacré pour les juifs comme pour les musulmans - dit de la tombe de Rachel, pourtant situé bien à l'intérieur de Bethléem et bordé par deux camps de réfugiés.
Encouragé par l'absence de condamnation internationale de ces actions, le maire Ehud Olmert prépare également la construction d'un mur autour de Kufr Aqab et du camp de réfugiés de Qalandia. Situés dans la partie nord de la municipalité israélienne de Jérusalem, les habitants palestiniens de cette zone disposent de cartes de résidence de Jérusalem et paient des impôts, mais ils n'ont pas accès aux services municipaux. Aux contraires, le check-point de Qalandia limite leurs possibilités d'entrer à Jérusalem. De plus, M. Olmert entend construire un mur traditionnel pour couper ces zones de la Cisjordanie, enfermant ainsi leurs habitants dans une prison virtuelle. Une fois le mur achevé, du nord de la Cisjordanie à Jérusalem, l'Etat hébreu aura annexé 7% de la rive occidentale, dont 39 colonies israéliennes en environ 290000 Palestiniens, 70 000 d'entre eux n'ayant pas officiellement le droit de résidence en Israël et donc le droit de voyager ou de bénéficier des services sociaux israéliens - alors même qu'Israël leur a supprimé tout moyen d'existence en Cisjordanie. Ces 70 000 Palestiniens connaissent une situation d'extrême vulnérabilité et seront sans doute progressivement forcés à émigrer. Si le mur s'étend vers le sud jusqu'à Hébron, on estime qu'Israël aura encore annexé 3% supplémentaires de la Cisjordanie.
Le gouvernement israélien construit le mur et étend ses colonies sur la base du principe selon lequel «ce qui est construit aujourd'hui, nous le garderons demain». Bien qu'elles soient contraires à la loi internationale, y compris à des dizaines de résolutions des Nations Unies, il n'existe aucun mécanisme pour empêcher ces actions. Le renforcement des implantations rendra leur démantèlement plus coûteux, et plus difficile encore si l'on se souvient des paramètres proposés, en décembre 2000, par le président américain William Clinton: «Ce qui est juif à Jérusalem sera israélien. Ce qui est arabe deviendra palestinien.»
Si la communauté internationale semble s'être unifiée derrière le «quartette (1)» et sa proposition d'une reprise des négociations sur le statut final dans les à cinq ans, elle n'a guerre réfléchi au type d'Etat palestinien qui, à ce moment-là, restera négociable. Pour que les négociations aient une chance de reprendre et de progresser, la communauté internationale doit non seulement imposer un gel de la colonisation, mais aussi mettre en uvre des mesures pour encourager le départ des colons des territoires occupés. Une telle politique ne peut pas dépendre de pré-conditions ou d'un cessez-le-feu. Si les négociations de paix traiteront de beaucoup de dossiers, ceux des colonies et de la construction du mur représentent un risque réel et structurel pour la paix dans la région et, plus précisément, pour toute perspective de coexistence entre deux Etats indépendants et viables. ____________________
(*): Chercheur à la Maison d'Orient de Jérusalem, fermée par Israël. Il a conseillé les négociateurs palestiniens sur la question de Jérusalem. Publié par le Monde diplomatique.
(1): Le «quartette» regroupe l'Organisation des Nations Unies (ONU), les Etats-Unis, la Fédération de Russie et l'Union Européenne pour tenter de définir une position commune sur le Proche-Orient.
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