Palestine Qui habite à Jénine ? Une récapitulation statistique Rita Giacaman et Penny Johnson (14 avril 2002) Les médias internationaux ont commencé à montrer quelques-unes des conséquences humaines tragiques de l'assaut israélien contre le camp de réfugiés de Jénine. Au cours d'un seul reportage de la BBC, on a vu une vieille femme, dans une chaise roulante, abandonnée dans un champ ; des familles disloquées fuyant vers les villages avoisinants ; une femme pleurant au bord de la route son mari abattu alors qu'il s'occupait de ses moutons ; un homme blessé dans son lit, entouré par sa famille qui a appelé à de nombreuses reprises une ambulance. Cependant, les autorités israéliennes continuent avec leur discours qui qualifie le camp de réfugiés de Jénine comme un «camp de terroristes». Tous ses habitants, hommes, femmes et enfants de tous âges, sont ainsi assimilés à des terroristes, ce qui justifie par conséquent toute action entreprise contre eux. Mais qui sont ces femmes et ces hommes habitant le camp de réfugiés de Jénine. Nous basant sur les donnés du recensement national de 1997, sur les données de l'UNRWA (l'Agence des Nations Unies pour l'aide aux réfugiés palestiniens au Proche Orient) ainsi que sur les résultats d'une enquête parmi les ménages menée en 1999 par l'Institut d'études femmes de l'Université de Bir Zeit, nous pouvons découvrir une communauté d'être humains, vivant dans le besoin, dans ces circonstances très difficiles, et espérant un futur meilleur pour ses enfants. Le recensement national de 1997 évalue les habitants du camp de réfugiés de Jénine à 9104 personnes, réparties dans 1614 ménages. L'UNRWA a recensé elle une population plus importante, de 13055 personnes, ce qui suggère qu'une partie des ménages sont en fait installés en dehors des limites relativement étroites du camp proprement dit. Le camp est situé sur la commune de Jénine et il a été établi en 1953 sur une surface de 373 dunums, environ un kilomètre carré. Cette population très dense dans le camp et dans les immeubles a contribué à mettre particulièrement en danger des civils innocents, avant tout des femmes, des enfants et des vieillards - qui constituent environ 67 % de la population du camp - lorsque les forces aériennes israéliennes (des hélicoptères Apaches et des F-16) ainsi que des chars israéliens ont tiré sur le camp. Enfants et vieillards: près de la moitié de la population du camp Selon le recensement de 1997, la taille moyenne des ménages est de 5,6 personnes, légèrement supérieure à celle des ménages de la ville de Jénine, mais inférieure à la moyenne nationale (6,1). 42,3 % de la population du camp a moins de 15 ans et 4,3 % ont plus de 65 ans. Près de 47 % des habitants du camp sont donc des enfants ou des personnes âgées, particulièrement vulnérables en cas de guerre et de conflits armés. La proportion d'hommes et de femmes et grosso modo équivalente. Les habitants de la ville comme du camp de Jénine sont réfugiés Selon le recensement national de 1997, 95 % des habitants du camp sont enregistrés comme réfugiés. Selon l'UNRWA, la plupart des résidents du camp viennent de villages que l'on peut voir depuis le camp lui-même, et qui sont aujourd'hui du côté israélien de la ligne verte [la «frontière» entre Israël et la Cisjordanie]. De nombreux réfugiés ont gardé des liens étroits avec des parents dans leurs villages d'origine. Il faut noter que la moitié (49,7 %) de la population de ville de Jénine (26650 habitants en 1997) est elle-même réfugiée. L'attaque israélienne est donc une attaque contre une population majoritairement réfugiée. Un tiers travaille dans des emplois non qualifiés, un chômage élevé avant même l'Intifada Selon le recensement de 1997, 70 % des hommes de plus de 15 ans étaient actifs économiquement, avec un emploi formel. Quelque 20 % supplémentaires étaient étudiants. 14 % des femmes de plus de 15 ans étaient également actives avec un emploi formel, ce qui est supérieur à la moyenne nationale ; 21 % étaient étudiantes et 53 % femmes au foyer. En ce qui concerne la force de travail masculine, l'UNRWA précise: «si de nombreux habitants du camp ont trouvé un emploi dans le secteur de l'agriculture, un grand nombre sont dépendants d'emplois à l'intérieur d'Israël». Après l'occupation israélienne en 1967 de la Cisjordanie et de Gaza, la grande proximité entre les communautés palestiniennes à l'intérieur d'Israël et celles du district de Jénine, de même que leurs liens sociaux et culturels, ont encouragé le développement d'activités commerciales croissantes de part et d'autre de la frontière. Un nombre croissant de travailleurs, engagés précédemment dans l'agriculture locale, ont commencé à travailler en Israël. Les activités agricoles locales ont par suite décliné avec une sérieuse détérioration de la productivité agricole. Plus récemment, les conditions qui sont apparues au cours de la première Intifada, et davantage encore durant la seconde, le renforcement des restrictions aux déplacements imposées par Israël ainsi que la rupture des relations entre la ville de Jénine et ses villages ont abouti à de graves tensions économiques. L'impossibilité pour les travailleurs de voyager librement pour chercher du boulot a eu pour conséquence de faire grimper le chômage à de très hauts niveaux et de faire chuter le revenu des familles. Les données concernant l'emploi réunies par l'Université de Bir Zeit mettent aussi en évidence des carences chroniques. Si en ville de Jénine 48 % des personnes actives sont des employeurs ou des indépendants, ce taux n'est que de 25 % dans le camp. Environ un tiers de la force de travail du camp est composée se travailleurs sans formation ; ces derniers constituent l'essentiel de ceux qui travaillent de manière irrégulière, comme journaliers. Cette enquête indique aussi un taux de chômage élevé dans le camp, avant même le soulèvement de la seconde Intifada. Seuls 64 % des personnes composant la force de travail du camp ont un emploi régulier, contre un taux de 81 % dans la ville de Jénine. Le taux de chômage formel était de 10 % dans le camp, contre 4 % dans la ville. En ville, 94 % des ménages ont au moins un de leurs membres qui travaille, contre 85 % dans le camp. Même avant l'invasion [de ce début d'année], on peut supposer qu'au moins un quart de la force de travail du camp, qui travaillait en dehors du district de Jénine, n'était plus en mesure d'atteindre ses lieux de travail. Quant au manque d'emploi, il devait frapper au moins la moitié de la force de travail. L'économie domestique soutient les familles ; mais les femmes doivent faire face à des lourdes charges L'économie domestique est dans le camp de Jénine un moyen important pour soutenir les familles, ce qui est indicatif du degré de sous-développement, de privation et de pauvreté qui y sévit. Elle absorbe une part importante du travail des femmes. Ainsi, 52 % des femmes du camp de Jénine disent faire leur pain chaque jour, contre 23 % en ville de Jénine. 9 % des femmes du camp apprêtent des produits laitiers ; 15 % élèvent de la volaille ; 17 % préparent régulièrement de la pâtisserie et 59 % occasionnellement ; 4 % vendent de la volaille et du bétail pour gagner un peu d'argent. En comparaison, ces activités domestiques ont presque entièrement disparu des villes de Cisjordanie. Interrogées sur les raisons de ces activités, 27 % répondent que cela réduit les dépenses de la famille. De telles situations de privations chroniques et de vulnérabilité, spécialement en périodes de crises, sont particulièrement lourdes pour les femmes. Selon l'enquête de l'Université de Bir Zeit, 14 % des femmes âgées entre 15 et 65 se sont mariées avant l'âge de 15 ans et 28 % avant 16 ans. Les pressions sur les filles pour arrêter l'école et se marier, et pour les garçons pour travailler - les abandons sont effectivement nombreux - découlent de la situation économique difficile des familles. Cette situation a aussi des conséquences négatives sur la santé: plus de 48 % des femmes entre 15 et 65 ans ont subi au moins une fausse couche. Pauvreté chronique dans les camps Selon les données disponibles pour les années 1996-1998, les habitants des camps sont généralement plus pauvres que les habitants des villes et des villages. En Cisjordanie (les habitants des camps y constituent 6 % de la population), 19 % des habitants des camps vivaient en 1998 - une année plutôt prospère - en dessous du seuil de pauvreté, contre 16,5 % pour les habitants des villages et 10,4 % pour les résidents des villes. Le niveau de pauvreté grave était également plus élevé. De plus, les districts d'Hébron et de Jénine sont les deux plus pauvres des huit districts de Cisjordanie, avec, par exemple, trois fois plus de ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté qu'à Ramallah. Durant les 6 premiers mois de bouclage et de siège qui ont marqué la seconde Intifada [fin 2000-début 2001], le revenu moyen des ménages a officiellement chuté de 48 % à l'échelle nationale. On ne peut qu'en conclure que les familles du camp de Jénine luttaient déjà pour leur survie, avant même le début l'assaut israélien, et qu'elles doivent maintenant être plongées dans une grave misère. Les pauvres parmi les pauvres La situation est encore plus préoccupante pour les ménages survivant grâce à l'assistance pour les situations particulièrement difficiles de l'UNRWA et l'aide du Ministère des affaires sociales. Il s'agit avant tout de ménages avec des femmes (le plus souvent veuves) à leur tête ou des ménages dont le chef est âgé, handicapé ou chroniquement malade. En 1999, le Ministère des affaires sociales indiquait que 7,4 % des ménages du camp de Jénine (120 ménages) recevaient une assistance sociale. Quant à l'UNRWA, elle recensait 307 ménages (pour un total de 877 bénéficiaires) dans le camp de Jénine bénéficiant d'une assistance pour situation particulièrement difficile. Selon l'enquête réalisée en 1999 par l'Université de Bir Zeit, 20 % des ménages recevaient une aide de la part du Ministère des affaires sociales, de l'UNRWA ou d'ONGs, contre 2 % en ville de Jénine. Selon l'indice de richesse utilisé dans cette enquête, 47 % des habitants du camp de Jénine étaient pauvres, contre 23 % des habitants de la ville de Jénine dans cette catégorie (qui correspond, en gros, au tiers de la population avec les plus bas revenus). Seuls 3 % des habitants du camp possédaient des terres. Fait parlant, 70 % des personnes ayant répondu à l'enquête dans le camp de Jénine indiquent que la nourriture est la dépense la plus importante pour leurs enfants, contre 24 % en ville de Jénine. Un tel score est révélateur d'une vie où la satisfaction des besoins élémentaires continue à être une lutte, et cela avant même le début de la seconde Intifada. Il est hautement improbable que, dans les circonstances actuelles, le Ministère des affaires sociales soit encore en mesure de continuer son intervention. Quant à l'UNRWA, elle doit aussi faire face à de sérieux obstacles pour atteindre les plus pauvres parmi les pauvres, qui dépendent de ses versements mensuels pour survivre. Le camp de Jénine était aussi plus pauvre que la ville, si l'on compare la possession de biens de consommation durables. Ainsi, seuls 36 % des habitants du camp disposaient d'une ligne téléphonique et 14 % d'une voiture, contre 45 % avec une ligne téléphonique et 33 % avec une voiture en ville de Jénine. En temps de guerre, ces indicateurs de pauvreté sont aussi des indicateurs de vulnérabilité, les voies de communication et de fuite étant ainsi moins nombreuses. Education: bas taux aujourd'hui, fortes aspirations pour le futur Le recensement national de 1997 indique qu'un tiers (33,4 %) des femmes du camp de Jénine de plus de 12 ans sont illettrées ou n'ont pas de formation scolaire proprement dite mais seulement quelques rudiments. Cette proportion est de 20,9 % parmi les hommes du même âge. Comme c'est le cas à l'échelle nationale, l'illettrisme est plus important parmi la population âgée. Mais seulement 22 % des hommes et 18,9 % des femmes ont terminé une formation au niveau secondaire ou supérieur. L'enquête de 1999 menée par l'Université de Bir Zeit a également porté sur les projets pour les enfants, garçons et filles. Malgré le relativement bas niveau de formation de la population adulte - ou peut-être à cause de cela - les mères et les pères ont des objectifs élevés pour leurs enfants. 69 % souhaitent que leurs garçons terminent une formation à un niveau supérieur au secondaire, avec une licence [Bachelor] et près de 67 % souhaitent la même chose pour leurs filles. Les temps présents de guerre, de dispersion et de misère rendent la réalisation de ces aspirations encore plus difficiles. En même temps, elles sont encore plus importantes pour que la population du camp de réfugiés de Jénine puisse survivre, se développer et réaliser ses rêves de futur. Haut de page
case postale 120, 1000 Lausanne 20
fax +4121 621 89 88
Pour commander des exemplaires d'archive:
Soutien: ccp 10-25669-5
Si vous avez des commentaires, des réactions,
des sujets ou des articles à proposer:
|