Palestine

La crise en Palestine

Stephen R. Shalom* (2 avril 2002)

Le problème de fond du conflit Israël-Palestine est aujourd'hui celui qu'il a été depuis des décennies: la dénégation du droit à l'autodétermination au peuple palestinien. Les Palestiniens vivent sous une occupation brutale et humiliante depuis 1967. Et aucune solution à la crise n'est envisageable sans offrir une réponse à cette réalité fondamentale.

Quelques Palestiniens ont choisi les actes terroristes comme une réponse. Prendre pour cible des civils est immoral et il est plus que probable que cela soit très contre-productif. Mais il n'est pas difficile de comprendre la rage qui motive ceux et celles qui commettent ces attentats suicides. Comme Karl W. Ford, Jr., l'assistant au Secrétariat d'Etat américain pour les affaires d'information et d'investigation, l'a affirmé lors de sa déposition le 6 février passé: «Beaucoup parmi ceux qui rejoignent les groupes qui pratiquent le terrorisme connaissent la vie du chômage et de la pauvreté. Souvent vivant sous des gouvernements oppresseurs avec peu de perspectives pour une meilleure vie, ces jeunes gens - spécialement ceux qui ont connu une certaine éducation qui les a rendus encore plus frustrés et amers - sont enclins à chercher une voie de sortie, peut-être en tentant d'émigrer, peut-être en rejoignant un mouvement qui leur promet un changement par la violence, peut-être en s'immergeant eux-mêmes dans la religion. Mais lorsque le chômage tourne autour de 40% et que presque 45% de la population est âgée de moins de 15 ans (ce qui est le cas en Cisjordanie et dans la bande de Gaza) les gens ont quelques difficultés à attendre un futur plus lumineux.»

Cette situation sous-estime certainement le taux de chômage des Palestiniens. L'Autorité palestinienne le situe à 51% de la population active.

Le 31 mars 2002, dans le New York Times,Thomas L. Fridman [un des journalistes-vedette du NYT] déclare que c'est un «énorme mensonge»de prendre en compte la désespérance comme un moteur des attentats suicides. Fridman prétend, en fait, que les Palestiniens pourraient avoir obtenu leur Etat sans avoir eu aucunement recours à l'actuelle Intifada; et cela parce qu'en juillet 2000, Clinton avait offert aux Palestiniens un plan de paix qui aurait mis fin à l'occupation, mais qu'Arafat a refusé ce plan. Cet argument est depuis longtemps mis en avant par Fridman, qui est imperméable aux témoignages opposés présentés par un membre de l'équipe de négociations de Clinton, Robert Malley (voir à ce propos Robert Malley et Hussein Hagha, «Camp David: la tragédie des erreurs», in New York Review of Books,9 août 2001).

Malley souligne tout d'abord le contexte. Le premier ministre israélien Ehud Barak est venu à Camp David, en juillet 2000, après avoir manqué à sa parole concernant de nombreux accords avec les Palestiniens et après avoir de façon importante accru le nombre de colons israéliens dans les Territoires occupés au cours de l'année où il était au pouvoir. Les Palestiniens étaient, de façon plus que compréhensible, circonspects face aux offres de paix d'Israël, étant donné que 6 ans après les Accords d'Oslo «il y avait plus de colonies israéliennes, moins de liberté de mouvement et des conditions économiques pires».Dès lors à Camp David, Barak offrait - mais jamais par écrit ni jamais en détail; en fait, selon Malley, «à strictement parler il n'y a jamais eu de proposition de paix israélienne»- de donner aux Palestiniens l'équivalent de 1% du territoire de la Cisjordanie (qui n'était pas géographiquement spécifié, mais qui devait être choisi par Israël) et en retour Israël obtiendrait 9% de la Cisjordanie, la surface de territoire qui est occupée par les colonies et qui divise la Cisjordanie en des régions séparées les unes des autres. Dans le New York Times du 8 juillet 2001, Malley écrivait qu'il était mythique de prétendre que «l'offre d'Israël répondait à l'essentiel si ce n'est à toutes les aspirations légitimes des Palestiniens. Le statut de mythe vaut également pour l'affirmation selon laquelle «les Palestiniens n'ont fait de leur part aucune concession».  

L'histoire officielle est la suivante: avec l'échec de Camp David, Arafat a opté pour la guerre. Mais considérons les éléments suivants. En septembre 2000, Barak a approuvé la visite provocatrice d'Ariel Sharon, alors membre du parlement, sur l'esplanade de la mosquée Al-Aqsa. Etant donné la colère montante des Palestiniens contre l'occupation, le résultat de cette provocation était tout à fait prévisible. Le jour suivant, des Palestiniens ont lancé des pierres et la police israélienne fortement armée et accrue en nombre a répondu avec des tirs meurtriers, tuant quatre personnes et en blessant des centaines. C'est ainsi qu'a commencé la deuxième Intifada.

La police et les soldats israéliens - placés sous l'autorité de Barak - ont continué à utiliser des méthodes meurtrières dans des situations où leur vie n'était pas en danger. Quelques Palestiniens ont commencé à s'armer eux-mêmes et la tuerie s'est développée avec des morts des deux côtés. Toutefois, les victimes palestiniennes étaient incomparablement plus nombreuses. Parfois, il est affirmé que les Palestiniens cherchent de façon intentionnelle à tuer des civils israéliens (ce qui peut être le cas pour certains), alors que les civils non armés tués par les Israéliens sont tous considérés comme des «dommages collatéraux» involontaires. Mais de nombreux rapports par des organismes internationaux (et israéliens) de défense des droits de la personne humaine démentent la version israélienne. Des rapports récents, par exemple, ont démontré que les forces de sécurité israéliennes tirent sur les ambulances, sur le personnel médical et empêchent des Palestiniens blessés de recevoir des traitements médicaux.

En décembre 2000 et en janvier 2001, les discussions entre le gouvernement Barak et Arafat ont repris, et une avancée considérable semblait avoir été faite. Le Yossi Beilin, le ministre de la Justice de Barak, résume ainsi ce qui s'en est suivi: «Au lieu d'accepter les discussions encourageantes qui s'étaient développées entre Israël et les Palestiniens... comme un pas vers un accord final, Ariel Sharon a décidé, après avoir été élu premier ministre, de mettre fin au processus de paix.»(New York Times,30 mars 2002) Ainsi, lorsque des commentateurs, comme le correspondant de la chaîne télévisée CBS au Proche-Orient, considéré comme un expert, Fouad Ajami, déclare que l'Intifada actuelle est une guerre d'Arafa, il déforme grossièrement la réalité.

On peut aussi éclairer la trame de l'escalade de la terreur. En novembre 2001, il y a eu une semaine de creux dans les affrontements. Sharon a alors ordonné l'assassinat du leader du Hamas Mahmoud Abou Hanoud qui, comme tout le monde pouvait le prédire, a abouti à une éruption d'attentats suicides que Sharon a utilisés à son tour comme justification pour des assauts répétés contre l'Autorité palestinienne. Le cas de Mahmoud Abou Hanoud est intéressant sous un autre angle. Malgré les affirmations israéliennes selon lesquelles Arafat refusait d'arrêter les terroristes ou ne les arrêter que pour les relâcher peu après, Hanoud s'est retrouvé dans une prison palestinienne. Il n'a pas été relâché. Par contre, en août 2001, un avion israélien F-16 a essayé de l'assassiner dans la prison. Le bâtiment a été détruit, 11 policiers tués... et Hanoud s'est échappé.

Aucun de ces éléments ne justifie une politique visant à tuer des civils avec des bombes. Divers intellectuels palestiniens - parmi lesquels Edward Saïd, Jonathan Kuttab et Mubarak Awad - ont argumenté de façon convaincante que, aux plans moral, politique et même pragmatique, la cause des Palestiniens serait mieux servie par une résistance non violente. Mais lorsque la non-violence est intimée à des Palestiniens par des personnes comme Thomas Fridman, qui au même moment appelle Israël à «infliger un coup militaire sévère pour démontrer que la terreur ne paiera pas», l'hypocrisie est des plus concrètes. Il ne fait pas de doute que certains de ceux qui commettent des attentats suicides suivent la même logique biaisée que Fridman, croyant que leur acte de terreur va limiter au lieu de provoquer la terreur infligée par la partie inverse.

Divers arguments ont été avancés pour expliquer les raisons pour lesquelles Israël ne pourrait pas se retirer des Territoires occupés. Aucun d'entre eux ne résiste. Un premier argument est le suivant. Le retour aux frontières de 1967 laisserait Israël dans une position militaire vulnérable. Cet argument, évidemment, est le même que celui qui était servi pour justifier qu'Israël ne pouvait pas quitter le Sinaï (Egypte) ou ne pouvait pas se retirer du Liban. Or, les deux retraits ont été faits sans qu'on puisse dire que la sécurité d'Israël a été affaiblie de quelque manière que ce soit. Il est vrai que les Accords d'Oslo, qui ont remis des bouts de territoire dispersés à l'administration palestinienne, n'ont pas amélioré la sécurité d'Israël. Mais Shimon Peres, un des architectes des Accords d'Oslo et actuellement ministre des Affaires étrangères de Sharon, reconnaissait que les Accords d'Oslo étaient distordus dès le début: «Aujourd'hui, nous découvrons que l'autonomie a placé les Palestiniens dans une situation pire.»La seconde Intifada, avec toutes ses souffrances, aurait pu être évitée, dit Peres, si les Palestiniens avaient disposé d'un Etat dès le début. «Nous ne pouvons pas maintenir 3,5 millions de Palestiniens dans une situation d'état de siège, sans revenus, opprimés, pauvres, dans des régions densément peuplées, près de la famine», continue Peres, en ajoutant que, «sans un horizon politique visible, les Palestiniens ne feront jamais la paix avec Israël»(Jason Keyser, «Peres Says Mideast Peace Process Flawed From Outset», AP, 21 février 2002). Il n'est tout simplement pas crédible que la plus puissante force militaire de la région (y compris en excluant son arsenal nucléaire) serait indéfendable sans occuper un territoire voisin. Et en prenant en compte la dernière déclaration de la Ligue arabe selon laquelle tous ses membres établiraient des relations diplomatiques avec Israël si ce dernier se retire sur les frontières de 1967, il est clair que rien ne pourrait mieux garantir au peuple d'Israël un futur de paix que le retrait des Territoires occupés. Toutefois, le gouvernement israélien a rejeté les propositions de la Ligue arabe et, le jour suivant, a lancé sa dernière offensive contre les villes palestiniennes.

Un second argument avancé contre le retrait est le suivant: les Palestiniens insistent sur le droit au retour qui, prétend-on, est une façon de détruire Israël. Permettre à des gens qui ont été expulsés de leur maison de disposer du droit au retour peut difficilement être considéré comme une revendication extrémiste. Evidemment, cela ne peut signifier jeter dehors des gens qui vivent dans ces maisons depuis de nombreuses années. La perspective du retour exige un plan complexe d'ensemble. Aussi bien Arafat que la Ligue arabe ont indiqué que, selon eux, le droit au retour devrait être appliqué de telle manière qu'il ne créerait pas un problème démographique pour Israël. Evidemment, on peut de façon raisonnable argumenter qu'un Etat juif [critère religieux] est problématique, ne serait-ce que sur une base de principe démocratique. Mais dans tous les cas, ni la Ligue arabe ni Arafat n'ont fait émis objection.

Un dernier argument contre le retrait des Israéliens consiste à dire que les Palestiniens considèrent ce retrait comme un premier pas pour éliminer Israël dans son ensemble. Le Hamas ne s'oppose pas seulement à l'occupation mais à l'existence effective d'Israël. Mais cette position du Hamas représente un sentiment clairement minoritaire parmi les Palestiniens qui est une communauté largement sécularisée et qui a adopté une position acceptant deux Etats. Certainement, le Hamas se renforce. Mais faut-il oublier que le Hamas, dans ses premiers moments, a été promu par l'appareil d'Etat israélien afin d'affaiblir l'OLP (voir Richard Sale, «Israël Gave Major Aid To Hamas», UPI, 24 février 2001). De plus, l'essentiel de la croissance du Hamas est le résultat de l'incapacité de l'Autorité palestinienne d'offrir des conditions de vie meilleures pour les Palestiniens. Si existait un Etat palestinien effectivement indépendant, on peut en déduire que le Hamas trouverait beaucoup moins de volontaires pour ses équipes faisant des attentats suicides. Toutefois, il doit être reconnu plus longtemps une terreur «mutuelle» existe, plus difficile il sera d'aboutir à une paix sur le long terme.

La situation présente est véritablement désolante. Le 31 mars, le Los Angeles Times a rapporté que cinq officiers palestiniens «semblent avoir été tués par une balle dans la tête ou dans la nuque, à bout portant. La chambre où leurs corps ont été trouvés était entachée de sang et les murs étaient criblés de trous de balles et d'obus. Des traînées de sang étaient répandues sur tous les murs à une hauteur correspondant à celle de la tête si ces personnes avaient été tuées en position assise.»Et maintenant, au moment où la presse internationale est expulsée de Ramallah et d'autres villes palestiniennes, les perspectives d'atrocités encore plus horrifiantes sont imminentes.  

Washington est peu enclin à freiner Sharon. L'attitude de l'administration Bush envers le conflit israélo-palestinien a été totalement opportuniste. Après le 11 septembre, lorsqu'il semblait nécessaire de réunir une coalition des pays musulmans, le secrétaire d'Etat Colin Powell [ministre des Affaires étrangères] déclarait que les Etats-Unis étaient favorables à un Etat palestinien. Mais lorsqu'il est apparu clairement que le soutien arabe n'était pas particulièrement nécessaire pour la guerre en Afghanistan, la bride a été lâchée de nouveau pour Sharon. Alors, au moment où les faucons de Washington envisageaient une guerre rapide contre l'Irak, les Etats-Unis pensèrent de nouveau qu'ils pourraient avoir besoin d'alliés arabes et il fut communiqué à Israël que ses orientations «n'étaient pas d'une grande aide». Mais une fois que la Ligue arabe manifesta son opposition claire à une attaque américaine contre l'Irak [ce qui complique une guerre contre l'Irak], le besoin pour Washington de calmer la situation en Palestine a diminué. Et de nouveau, Sharon a obtenu le feu vert. La tendance de Washington n'est pas à retenir Sharon. Mais des mobilisations et protestations de masse aux Etats-Unis - qui s'ajoutent à celles qui se développent dans le monde arabe - pourraient rendre politiquement impossible à l'administration Bush de continuer à soutenir la guerre d'Israël contre les Palestiniens. C'est cette mobilisation que nous devons construire.

* Stephen R. Shalom enseigne la science politique à l'université William Paterson dans le New Jersey (Etats-Unis). Il contribue au réseau d'information de ZNet.

Voir dans la rubrique Forum le texte de Yéhouda, «Palestine-Israël, une terre, un Etat».

 

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