Le 7 novembre 2001, le parlement israélien a voté la levée de l'immunité parlementaire d'Azmi Bishara, député à la Knesset depuis 1996, où il est l'unique représentant du parti qu'il a fondé et qu'il dirige: l'Assemblée Nationale Démocratique, dont le mot d'ordre est la transformation d'Israël en état de tous ses citoyens. Azmi Bishara est le porte-parole des citoyens arabes d'Israël, qui souffrent de discriminations constantes, bien qu'ils soient aujourd'hui un million, soit près d'un citoyen israélien sur cinq... Comité international pour la défense d'Azmi Bishara
Vous avez dit: démocratie israélienne ? Azmi Bishara (trad. de l'anglais) Voir le site pour la défense d'Azmi Bichara http://www.azmibishara.info La vie politique israélienne est régulée par des principes démocratiques basés sur les dogmes de l'idéologie sioniste. Les plus importants de ces dogmes sont: le caractère juif de l'Etat, la Aliya, ou absorption des Juifs de la diaspora et la citoyenneté israélienne, fondée sur des valeurs tel le service militaire, l'implantation et l'intégration. On reconnaît immédiatement dans cette structure des contradictions qui travaillent la culture politique d'Israël, aujourd'hui. La relative modernité de cette structure entre en contradiction avec l'impossibilité de la séparation entre l'Etat et la religion, car il est tout simplement impossible d'établir un distinguo entre la religion juive et la nation juive, ainsi qu'entre le droit à la citoyenneté et l'affiliation à une religion déterminée, en raison du "droit (juif) au retour". Historiquement, ce type de démocratie juive a été édifié sur les dépouilles du peuple palestinien et de son ordre social, et il est encore captif de ce paradoxe de nos jours. De plus, le paradoxe a été encore avivé par l'implication d'Israël dans une occupation qui abroge par la force le droit d'un peuple à l'autodétermination sur sa terre natale.Ces deux paradoxes ne font qu'un, avec un troisième, qui fera l'objet principal du présent article - paradoxe entre le sionisme de l'Etat, d'une part, et la prolifération de la démocratie et de l'égalité jusqu'à couvrir 20 pour-cent de citoyens arabes, descendants de la population indigène du pays restés sur place après la Nakba (la catastrophe de 1948). En termes de valeurs démocratiques occidentales, un tel paradoxe est encore plus dommageable pour la façade démocratique de l'Etat israélien que le fait qu'il occupe un autre peuple. Après tout, la plupart des démocraties occidentales ont traversé leurs propres périodes coloniales qui n'ont pas affecté de manière fondamentale les structures de leurs systèmes politiques. Bien que nous nous inscrivions en faux contre cette assertion, et même avec le simple fait d'établir une telle comparaison, un consensus démocratique s'est dégagé sur l'importance d'une égale citoyenneté garantissant de manière sine qua non la démocratie, ainsi que sur l'importance et le caractère sensible du problème des droits accordés aux minorités. Des sujets tels que ceux-ci ne sauraient trouver de solution acceptable dans une situation telle que celle que nous connaissons, qui voit l'Etat être défini tant, en même temps, comme un Etat juif qu'un Etat pour les Juifs (et non pas pour ses citoyens). C'est la raison pour laquelle Israël s'est attaché depuis toujours à maintenir un savant équilibre entre la discrimination contre les citoyens arabes qui lui est inhérente, d'une part, et son besoin d'éviter d'apparaître comme un Etat d'apartheid à l'intérieur de ses propres frontières internationales, d'autre part. Cet équilibre a été perturbé à plusieurs occasions, mais il a généralement été rétabli à l'avantage des citoyens arabes d'Israël, qui ont bénéficié d'une marge de droits en élargissement constant. D'une manière globale, les citoyens arabes ont bénéficié d'une amélioration de leurs droits, dans l'Etat juif, pour un ensemble de raisons, au nombre desquelles figurent le pouvoir croissant de l'élite dirigeante israélienne, la prospérité économique en voie de progression et le progrès social au sein de la communauté arabe elle-même, qui s'est montrée de plus en plus active à protester contre la fracture séparant ses conditions de vie de celles de la communauté juive. Néanmoins, en dépit de l'amélioration des droits des Arabes en comparaison du passé, en particulier d'avec l'époque durant laquelle les Arabes étaient soumis à un régime militaire direct, l’hiatus séparant le développement économique des citoyens arabes de celui des citoyens juifs s'est accru. De plus, le problème de la discrimination raciale n'a pas connu ne serait-ce qu'un commencement de traitement. De plus, les contradictions entre le statut des citoyens arabes et les politiques de l'Etat se sont accrues, en raison de la conscience nationale croissante parmi les citoyens arabes, pour un ensemble de raisons que nous allons maintenant développer. Si Israël n'a pas engendré de "nation israélienne", c'est parce qu'il a choisi de souligner l'identité juive de l'Etat. Au même moment, le pari sur une crise d'identité fragmentant les citoyens arabes, les marginalisant et les empêchant de s'organiser en groupe national ressortissant à la nation arabe et au peuple palestinien, ce pari a échoué. La démocratie juive peut tolérer des citoyens arabes qui soient des hôtes, pour peu qu'ils respectent les lois de l'hospitalité. En d'autres termes, Israël peut tolérer la présence de ces Israéliens-arabes qui acceptent de demeurer en marge tant de la société arabe que de la société israélienne. Coopter ces citoyens arabes qui acceptent de se transformer en hybrides moitié-israéliens, moitié-arabes, en opportunistes «caméléonesques» n'ayant aucune identité culturelle claire et qui tentent de plaire, à volonté, tantôt aux Israéliens tantôt aux Arabes, en tentant de gagner sur tous les tableaux après avoir perdu leur âme ; voilà qui ne pose aucun problème à Israël... Comme en réponse à ce phénomène (qui était en train de gagner en prégnance et allait devenir dominant dans le consensus social), nous avons essayé de proposer une alternative idéologique démocratique qui affirme une identité arabe palestinienne, prenant différentes nuances, bien entendu, mais en aucun cas demi-arabe. Notre proposition insiste sur le fait qu'une citoyenneté pleine et entière est la précondition de l'égalité et qu'il y a une contradiction entre une totale égalité et l'identité sioniste de l'Etat. Cette contradiction ne doit pas nous inciter à abandonner notre revendication de l'égalité ; elle ne fait que mettre l'accent sur le fait que l'égalité est incompatible avec le sionisme. Le problème, c'est le sionisme. Ce n'est pas l'égalité ! Cette thèse libérale-démocratique est considérée si radicale, en Israël, qu'elle viole presque les garde-fous légaux imposés à toutes les alliances partisanes candidates aux élections parlementaires. Dès lors que ce message a pris la forme d'un parti politique en compétition pour des mandats parlementaires, une rivalité d'un nouveau type s'est développée au sein de la communauté arabe (d'Israël), exigeant une affirmation plus énergique de son identité arabo-palestinienne et une égalité totale. Une campagne visant les membres arabes de la Knesset (et les Arabes, d'une manière générale), mettant en cause leur position vis-à-vis de la cause palestinienne, a connu une escalade depuis la prise de fonctions de Benjamin Netanyahu (en 1996). L'objectif de cette campagne a été de délégitimer les parlementaires arabes, au prétexte que leurs loyautés politiques entraient en contradiction avec leur citoyenneté (israélienne). Les provocations contre les parlementaires arabes à la Knesset allèrent croissant, durant l'Intifada, tirant partie d'une atmosphère d'hostilité forcée ainsi que de l'hystérie chauvine qui s'était emparée de la vie publique en Israël, et qui n'a cessé de la dominer depuis lors. Au cours de cette période, la décision fut prise de déclarer ouverte la guerre contre les parlementaires arabes. J'ai été personnellement blessé par balle à l'épaule par un policier israélien, en juin 1999, alors que je participais à une manifestation contre la destruction par les autorités israéliennes de maisons arabes à Lydda. L'affaire, toutefois, fut close sans suites pour cause d'"absence de preuves". Dans la même veine, des centaines d'extrémistes juifs s'en sont pris à mon domicile, en octobre dernier. Là encore, il n'y eut aucune arrestation, bien que la police ait été présente au moment des faits. En réalité, les assauts de la police contre des parlementaires arabes devinrent choses courantes. Il n'y avait plus aucune "immunité" digne de ce nom, à part celle, éminemment symbolique, dissuadant l'Etat d'assigner un parlementaire, fût-il arabe, en justice. Pour la première fois de l'histoire de la Knesset, un membre du parlement est déchu de son immunité pour avoir tenu certains propos politiques ; en l'occurrence: moi. J'ai été assigné en justice à deux motifs: 1 Des accusations ont été portées contre moi, pour des déclarations faites en deux occasions: au cours d'un meeting de protestation tenu, le 5 juin dernier, dans le village d'Umm al-Fahm, meeting où j'ai exprimé ma sympathie pour le Hizbollah libanais et mon estime pour son rôle dans le retrait de l'armée israélienne d'occupation. L'acte d'accusation énonce que ces propos "équivalaient purement et simplement à des actes terroristes". La deuxième occasion a été celle du premier anniversaire de la disparition du président syrien Hafez al-Assad, cérémonie au cours de laquelle j'ai exhorté le monde arabe à soutenir l'intifada palestinienne. L'acte d'accusation énonce que cette exhortation était une "incitation à l'usage de la violence à l'encontre de l'Etat d'Israël". 2. D'autres accusations faisaient état de mon entremise auprès des autorités syriennes afin de permettre à quelques citoyens arabes âgés de rendre visite à leur parentèle vivant en Syrie, dans des camps de réfugiés palestiniens, pour la première fois depuis 53 ans. Faisant un geste humanitaire hautement apprécié par les Arabes d'Israël, la Syrie accepta cette requête. Israël, de son côté, n'osa pas poursuivre des personnes âgées au motif du "crime" d'avoir rencontré des membres de leur famille vraisemblablement pour la dernière fois de leur vie. Alors il décida de poursuivre Azmi Bishara pour avoir "organisé des visites dans un pays hostile sans l'autorisation du gouvernement israélien". En dépit du fait que, mes collègues et moi-même, devions prendre ces assignations en justice avec le plus grand sérieux, et que je doive préparer une défense robuste afin de prouver mon innocence, nous avons conscience du fait que les accusations portées contre moi sont de nature politique, qu'elles ont des motivations politiques et des objectifs politiques. Ces accusations sont par essence politique, car elles sont basées sur le point de vue politique israélien qui considère une résistance légitime comme une forme de terrorisme. Le motif politique de ces motivations est fondé sur une conviction sioniste de droite selon laquelle le pluralisme démocratique doit être limité par l'allégeance à l'Etat israélien/sioniste. L'objectif politique d'Israël est de saper le parti de l'Assemblée nationale démocratique (Balad) en poursuivant en justice sa direction, et en terrorisant les citoyens arabes afin de les contraindre à ne plus le soutenir. C'est pourquoi notre procès doit être l'occasion d'une réaction publique qui exprime son soutien aux objectifs du parti Balad et montre à Israël que les Arabes ne sont pas susceptibles d'être ramenés au bercail de la soumission par la répression. Le procès doit être aussi l'occasion d'un débat politique autour de la distinction - à imposer - entre résistance légitime et terrorisme. Nous considérons que l'occupation constitue une forme de violence politique dirigée contre un peuple innocent. Il s'agit, en d'autres termes, ni plus ni moins que d'une forme de terrorisme. De la même manière, nous considérons que la résistance à l'occupation, à l'intérieur de certaines limites politiques et morales à ne pas dépasser, est partie constituante de la lutte contre le terrorisme. Israël va tout faire pour présenter mon procès à l'opinion libérale occidentale comme celui d'"une démocratie défendant son existence". Au-delà de ma position bien connue sur le genre de "démocratie" qu'est Israël en réalité, j'affirme que cette prétention est non fondée, dans mon cas. La réalité est même rigoureusement inverse. C'est nous qui, en réalité, représentons la démocratie en lutte pour sa survie contre un assaut lancé par des forces par définition antidémocratiques. La majorité qui s'est prononcée, à la Knesset, en faveur de la levée de mon immunité parlementaire, était constituée de mouvements et de forces qui ne sont ni libéraux, ni démocratiques. Parmi ces mouvements, des partis d'extrême-droite et des partisultra-orthodoxes. Généralement, c'est contre des partis de cette nature que les démocraties luttent pour leur survie. Le procès à venir, par conséquent, offrira une rare opportunité de montrer quel étrange simulacre de démocratie est en réalité Israël. Dans cette saga, la soi-disant gauche sioniste a non seulement montré à quel point elle est impuissante, mais aussi sa faillite morale. Afin de démontrer que leur parti est non moins patriotique que le Likoud (droite, ndt), de nombreux membres du parlement Travaillistes ont voté en faveur de la levée de mon immunité parlementaire. Les rares législateurs qui ont voté contre (tel le député Yossi Sarid), ont toutefois justifié leur position en déclarant qu'ils avaient voté en faveur de la liberté d'expression, après avoir lancé à mon encontre une campagne éhontée de mensonges et de calomnies, bien pire que ce qu’à quoi ne s'était encore jamais abaissée la droite elle-même. La gauche israélienne déforme nos positions, tente de dresser l'opinion publique contre nous, puis elle tente d'apporter une preuve de sa prétendue supériorité morale en défendant la "liberté d'expression dans la société israélienne". La bataille ne porte pas sur la liberté d'expression: la gauche israélienne ne croit pas aux principes de Voltaire. Mes déclarations seraient passées inaperçues, et nous n'aurions pas été assignés en justice, si nous n'avions pas représenté une force politique authentique, et s'il n'y avait pas eu volonté délibérée de saper la représentation politique arabe. La bataille, par conséquent, a pour enjeu la représentation des Arabes. Il s'agit de notre droit, en tant qu'Arabes, à nous organiser, de notre droit à travailler en liaison avec notre peuple en train de souffrir de l'occupation israélienne et, enfin, de rendre le Sionisme compatible avec la démocratie et l'égalité. Haut de page Retour
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