Palestine
Déshumanisation au quotidien Gideon Levy* Le mépris de tout respect humain à l'égard du Palestinien, comme aussi l'absence de toute considération pour ses biens sont devenus une routine vitale pour la poursuite et l'entretien de l'occupation. Ce processus a atteint tous les comportiments de la société israélienne. Bashir Uways agonisait à l'hôpital. Il était clair que c'étaient ses dernières heures. Il était étendu sans connaissance à l'hôpital Haemek, à Afoula, et personne de sa famille n'était à ses côtés. Uways était détenu à la prison de Megiddo. Il était âgé de 29 ans, originaire du camp de réfugiés de Balata à Naplouse, marié et père de deux enfants. Les conditions de sa mort font toujours l'objet d'une investigation. Ce n'est qu'après que l'un des médecins de l'hôpital a téléphoné secrètement - de crainte que cela ne se retourne contre lui - à l'Association des médecins pour les droits de l'Homme et qu'il leur a parlé du détenu agonisant dans la solitude, que les membres de l'association ont fait venir en toute hâte la mère et l'épouse à l'hôpital. Jusqu'alors, personne n'avait pensé à alerter la famille, comme on le ferait entre êtres humains. Même à l'hôpital, qui est un lieu où la compassion et l'humanité devraient être la seule valeur, un Palestinien n'est plus considéré comme tout autre être humain. Le processus de déshumanisation des Palestiniens a atteint tous les recoins de la société israélienne. Ce qui a débuté dans l'armée israélienne et les services de sécurité, et qui s'est poursuivi dans les autres organes du pouvoir et dans les médias occupés, depuis des années maintenant, à présenter essentiellement et délibérément le côté violent des Palestiniens, s'est diffusé maintenant partout. Ce n'est que comme ça, apparemment, qu'il est possible de maintenir l'occupation et l'oppression sans en être trop dérangé. La déshumanisation se caractérise par un émoussement de la valeur attribuée à la vie humaine. Au cours de ces derniers mois, il n'y a quasiment pas eu un jour sans que des Palestiniens soient tués, des dizaines chaque mois, dont une proportion non négligeable de personnes parfaitement innocentes, et ce y compris en période où il n'y a pas d'attentats. Tous ces meurtres étaient une question marginale dans l'agenda israélien. Cette même attitude se diffuse à l'égard de la dignité du Palestinien. C'est particulièrement éclatant en ce point de rencontre quotidien: le barrage. Les barrages de l'armée israélienne, principaux points de contact avec le Palestinien, sont malpropres, négligés, avec des amoncellements de déchets - parfois leur aspect rappelle une gare de transport de bétail. La négligence seule amènerait-elle l'armée israélienne à obliger toute personne souhaitant traverser un barrage à patauger dans la crasse, les détritus, avant de se retrouver devant le soldat? Celui qui passe un barrage est par avance condamné à être humilié et souillé. Aux barrages de l'armée israélienne, où des êtres humains sont condamnés à passer des heures et parfois des jours, il n'y a pas d'installations sanitaires, pas d'espaces ombragés ni de robinets d'eau. Pendant l'attente au barrage de Rafiah, qui peut durer des heures, il est interdit de sortir des voitures pour faire ses besoins. Au barrage de Jénine où l'attente est de cinq à six heures, j'ai vu, il y a quelques jours, un vieillard invalide faire ses besoins depuis l'intérieur de la voiture. La flaque qui s'est formée à ses pieds était éloquente. Tout ça n'a rien à voir avec la sécurité. Celui qui est arrêté pour contrôle, et il y en a beaucoup dans ce cas, est condamné à s'asseoir par terre, dans la pluie, dans le froid comme dans la chaleur, pendant des heures. Il n'y a pas un barrage dans les Territoires où vous ne verrez pas des gens assis par terre pendant des heures, certains ayant les mains liées. Cette même attitude se porte sur les biens et la propriété du Palestinien. Pas seulement les terres expropriées de manière unilatérale, les arbres coupés, sans rien demander, sans rien dire, comme s'il s'agissait d'un bien public, les maisons détruites par routine opérationnelle ou juridique, la clôture de séparation dont le tracé est fixé arbitrairement. Non, pas seulement tout cela, mais aussi de plus petites choses. Celui qui laisse sa voiture à un barrage, où il n'y a jamais d'endroit de stationnement réglé mais qu'il est interdit de traverser en voiture, se voit imposer une amende de 500 shekels. Il est très facile de confisquer la voiture. À tout barrage se trouvent des dizaines de voitures qui ont été confisquées. Leurs propriétaires ne savent pas toujours pourquoi. C'est le même mépris qui se voit lors des intrusions de soldats dans des maisons d'habitation, dans le comportement de ces soldats à l'intérieur, le même mépris encore qui se poursuit dans les opérations de l'armée israélienne au cours desquelles on rassemble tous les hommes dans les cours, le même mépris toujours qui s'exprime en fin de compte dans la longue attente de ces paysans et de ces étudiants, assis par terre, à côté des portes de la clôture de séparation, que le conducteur de la jeep - qu'ils attendent - leur ouvrira, le même mépris aussi dans l'attitude de la plupart des soldats et dans le style de leurs propos. Tout cela est devenu la routine. Ce n'est pas là de la méchanceté pour la méchanceté, mais une méchanceté vitale pour la poursuite et l'entretien de l'occupation. C'est pourquoi le pas le plus important dans le sens de quelque règlement que ce soit devra être une révolution perceptible qui restituera aux Palestiniens le respect dû à tout homme. Nous en sommes très loin. Un ancien soldat, Ron Furer, auteur du livre «Le syndrome du barrage», décrivait le comportement de ces soldats qui se fâchaient sur les Palestiniens qui avaient osé leur souhaiter le bonjour à un barrage. Ce n'est pas un hasard: avec leur courtoisie, ces habitants risquaient de faire une brèche dans le mur de la colère et du mépris, chez ces soldats. * Paru dans Haaretzle 21 décembre 2003 Haut de page Retour
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