Palestine


Edward Saîd
1935 - 2003

Dignité et Solidarité

Edward Saïd

Nous publions ici, en hommage à Edawrd Saïd, un de ses derniers articles, publié en langue anglaise dans Al-Ahram Weekly (on line), daté du 21-27 août 2003. Sur le site de A l'encontre nous avons traduit et porté à connaissance de nos lecteurs et lectrices de nombreux articles d'Edward Saïd, dont la disparition, représente une perte et une douleur pour toutes celles et pour tous ceux qui ont, à travers lui, pu comprendre le sens effectif de la lutte de libération du peuple Palestinien. Edward Saïd a permis à beaucoup de personnes de comprendre que la dignité de la lutte du Peuple Palestinien ne devait pas, obligatoirement, s'accompagner d'une myopie et d'un illétrisme politique sur ce que représentaient l'orientation et la base sociale de l'Autorité Palestienne. Dans cet article, Edward Saïd révèle sa lucidité et cette sensibilité humaniste qui touchait tous ceux et toutes celles qui, une fois, l'avaient rencontré. Sa longue bataille, silencieuse, contre la maladie ne faisait qu'exacerber les traits les plus forts de son message, intelligent tout simplement. Nous publierons sur ce site un article-hommage qui lui a été rendu par Alexander Cockburn, aujourd'hui même, le 26 septembre 2003. réd

Au début du mois de mai, je donnais des cours à Seattle pour quelques jours. Pendant mon séjour, j'ai dîné un soir avec les parents et la  súur de Rachel Corrie, qui étaient encore sous le choc du meurtre de leur fille, le 16 mars, à Gaza par un bulldozer israélien.

M. Corrie m'a dit qu'il a lui-même déjà conduit des bulldozers, quoique celui qui a tué délibérément sa fille, parce qu'elle essayait vaillament de  protéger de la destruction une maison palestinienne de Rafah, était un mastodonte de soixante tonnes spécialement conçu par Caterpillar pour la démolition de maisons, une machine beaucoup plus grosse que tout ce qu'il n'a jamais vu ou conduit.

Deux points m'ont frappé au cours de ma visite chez les Corrie. L'un d'entre eux est l'histoire de leur retour aux états-Unis avec le corps de leur fille. Ils ont  immédiatement pris contact avec leurs sénateures, Patty Murray et Mary Cantwell, toutes deux démocrates. Ils leurs ont conté leur histoire et ont perçu les expressions attendues: le choc, l'indignation, la colère et des promesses d'enquête.

Après que les deux femmes sont retournées à Washington, les Corrie n'ont pas reçu d'autres nouvelles de leur part et l'enquête promise ne s'est simplement pas concrétisée. Comme il était prévisible, le lobby israélien leur aura expliqué les réalités et les deux femmes auront simplement opiné du bonnet.

Une citoyenne  états-unienne, tuée volontairement par des soldats d'un état ami des états-Unis, sans qu'il y ait le moindre regard inquisiteur ni même  l'enquête de rigueur promise à sa famille.

Cependant, pour moi, le second "et le plus important point "de l'histoire de Rachel Corrie est l'action elle-même de la jeune femme, héroïque et pleine de dignité. Née et éduquée à Olympia, petite ville à une centaine de kilomètres de Seattle, elle a rejoint l'International Solidarity  Movement [ISM, cette ONG organise des missions civiles dans les territoires occupés] et est allée à Gaza pour soutenir des êtres humains souffrants avec lesquels elle n'avait jamais eu de contact auparavant.

Les  lettres qu'elle a envoyées à sa famille sont des documents vraiment remarquables témoignant de son humanité simple. Leur lecture est très difficile et émouvante. Particulièrement lorsque Rachel décrit la gentillesse et la sollicitude exprimées à son égard par tous les Palestiniens qu'elle rencontrait, qui l'accueillaient clairement comme une des leurs car elle vivait leur quotidien, partageant leur vie et leurs  préoccupations autant que les horreurs de l'occupation israélienne et ses effets terribles, frappant jusqu'au plus petit des enfants.

Elle comprenait le sort des réfugiés et ce qu'elle nommait l'insidieuse tentative de commettre une sorte de génocide de la part du  gouvernement israélien, en faisant en sorte qu'il soit presque impossible de survivre pour un groupe d'humains.

Sa solidarité est tellement émouvante qu'elle a inspiré un réserviste israélien du nom de Danny qui a refusé de servir et lui a écrit: «Tu fais une belle  action. Je t'en remercie.»

Ce qui ressort de toutes ses lettres, qui ont été publiées par la suite dans le quotidien londonien The Guardian, est la résistance incroyable du peuple palestinien, des êtres humains ordinaires, englués dans la plus terrible situation de souffrance et de désespoir tout en continuant à  vivre malgré tout.

Nous avons tant entendu parler récemment de la «feuille de route» et «des chances de succès pour la paix» que nous en  avons oublié le plus élémentaire des faits, qui est que les Palestiniens ont refusé de capituler et de se rendre, même sous le poids du châtiment collectif qui leur est imposé par la puissance combinée des états-Unis et d'Israël.

C'est ce fait extraordinaire qui est la raison  de l'existence de la «feuille de route» et des nombreux autres prétendus plans de paix qui l'ont précédée,. Et non pas le fait que les  états-Unis et Israël ainsi que la communauté internationale aient été convaincus que les tueries et la violence doivent cesser pour des raisons humanitaires. Si nous ne comprenons pas cette vérité de la puissance de la résistance palestinienne (par quoi je ne veux pas du tout dire  les attentats suicides, qui font plus de tort que de bien), malgré tous ses échecs et ses erreurs, nous ne comprenons rien.

De prétendues solutions ont été constamment proposées pour minimiser le  problème au lieu de le résoudre. La politique officielle israélienne - peu importe qu'Ariel Sharon prononce ou non le mot «occupation» ou qu'il démantèle ou non une ou deux tours rouillées et inutilisées - a toujours été de ne pas accepter la réalité du peuple palestinien en tant qu'égal, ni même de reconnaître que ses droits ont été scandaleusement violés depuis le début par Israël.

Tandis que quelques  courageux Israéliens, au fil des ans, ont essayé de mettre en lumière et de s'affronter à cette histoire dissimulée, la plupart des Israéliens et ce qui semble être la  majorité des Juifs aux états-Unis ont fait tout ce qui leur est possible pour dénier, éviter ou nier cette réalité palestinienne. C'est pour  cela qu'il n'y a pas de paix.  

Qui plus est, la «feuille de route» n'évoque pas la justice ni même le châtiment historique imposé aux Palestiniens depuis de trop nombreuses décennies. Cependant, ce que le travail de Rachel Corrie à Gaza reconnaissait était précisément la gravité et la densité de  l'histoire vécue du peuple palestinien en tant que communauté nationale et non pas en tant que simple ramassis de réfugiés dépossédés. C'est avec cela qu'elle était solidaire.

Nous devons nous rappeler que ce genre de solidarité n'est dorénavant plus confiné à un petit nombre d'âmes intrépides ici et là, mais qu'elle est plutôt visible partout dans le monde. Au cours des six derniers mois, j'ai donné des  conférences dans quatre continents, devant des milliers de gens. C'est la Palestine qui les réunit et la lutte du peuple palestinien qui est maintenant devenue une métaphore de l'émancipation et de l'édification, malgré tous  les dénigrements répandus par leurs ennemis.

Dès qu'on porte les faits à l'attention des gens, il y a une reconnaissance immédiate et une expression de la plus profonde solidarité avec la justesse de la cause palestinienne et avec la lutte vaillante du peuple palestinien. Il est remarquable que la Palestine ait été, au cours de  cette année, un sujet central autant du Sommet altermondialiste de Porto Alegre que des sommets de Davos (World Economic Forum) et d'Amman (organisé aussi par le WEF), représentant les deux pôles du spectre politique mondial.

Parce que nos concitoyens sont soumis à un régime atrocement marqué par l'ignorance et la désinformation cultivées par les médias. On y fait référence à l'occupation par l'entremise de sinistres descriptions d'attentats-suicides, alors que le  mur de l'apartheid de huit mètres de haut, d'un mètre et demi de large et des trois cent cinquante kilomètres de long qu'Israël construit n'est  jamais montré sur CNN et les TV par câble (ou bien on y fait référence qu'en passant, au travers de la prose inanimée de la «feuille de route»). Les crimes de guerre, les destructions gratuites et les humiliations, les blessures, les démolitions de maisons, les ravages de l'agriculture et la mort imposée aux civils palestiniens ne sont jamais montrés tels qu'ils sont, c'est-à-dire en tant qu'épreuve quotidienne, tout à fait routinière. Il ne faut donc pas être surpris si les Américains ont dans leur ensemble une opinion très mauvaise des Arabes et des Palestiniens.

Après tout, rappelez-vous que tous les principaux organes des médias institutionnels, de la gauche libérale jusqu'à la droite marginale, sont unanimement anti-arabes, anti-musulmans et anti-palestiniens.

Regardez la pusillanimité des médias durant l'escalade vers une guerre illégale et injuste contre l'Irak et observez combien peu de reportages ont traité des dommages immenses vécus par la société irakienne à cause des sanctions et combien peu de comptes rendus il y a eu au sujet de l'immense effusion d'opinions contre la  guerre à travers le monde.

Peu de journalistes, exceptée Helen Thomas [ cette ancienne resposanble du Bureau de la maison Blanche est appelée The First Lady of the Press; elle a condamné ouvertement, lors de Conférence de presse, l'administration Bush] ont défié l'administration face aux mensonges outrageux et aux «faits» fabriqués qui ont été déversés au sujet de l'Irak en tant que menace militaire imminente pour les états-Unis avant la guerre. De même, aujourd'hui, les mêmes propagandistes gouvernementaux, dont les «faits» cyniquement inventés et manipulés au sujet des armes de destruction massive sont maintenant plus ou moins oubliés ou rejetés comme sans fondements, ne sont pas inquiétés par les poids lourds des médias en évoquant la situation horrible, littéralement inexcusable, dans laquelle est plongé le peuple de l'Irak: Une situation que états-Unis ont, de manière irresponsable, créée par eux-mêmes.

Peu importe ce qu'on peut penser de Saddam Hussein - et c'était un tyran haineux, violent - il avait fourni au peuple irakien les meilleures infrastructures et services (comme l'eau, l'électricité, la santé et l'éducation) de tout le monde arabe. Plus rien de cela n'est en place.

Il n'est donc pas surprenant - avec la peur extraordinaire de sembler antisémite en critiquant Israël pour ses crimes de guerre quotidiens à  l'encontre de civils palestiniens innocents et non armés, ou d'être qualifié d'«anti-américain» en critiquant le gouvernement états-unien pour sa guerre illégale et son occupation militaire horriblement conduite - que la campagne vicieuse des médias et du gouvernement contre la société, la culture, l'histoire et la mentalité arabe, menée par des publicistes et orientalistes néandertaliens tels que Bernard Lewis et Daniel Pipes, ait amené beaucoup trop d'entre nous [Américains] à croire que les Arabes forment vraiment un peuple sous-développé, incompétent et condamné. Et qu'avec tous leurs échecs de démocratie et de développement, les Arabes sont les seuls dans ce monde a être attardés, en retard sur leur temps, arriérés et profondément réactionnaires.

Voilà pourquoi la dignité et la pensée critique historique doivent être mobilisées afin d'éclaircir les faits et de démêler la vérité de la propagande.

Personne ne nierait que la plupart des pays arabes sont dirigés par des régimes impopulaires et qu'un grand nombre de jeunes Arabes, pauvres et lésés, sont exposés à des formes de fondamentalisme religieux impitoyables. Pourtant, il est tout à fait mensonger de  dire, comme le fait régulièrement le New York Times, que les sociétés arabes sont totalement contrôlées et qu'il n'y a pas de liberté d'opinion ni d'institutions civiles ni de mouvements sociaux fonctionnels par et pour le peuple.

Nonobstant les lois sur la presse, on peut aujourd'hui se rendre dans le centre ville d'Amman et y acheter un journal d'un parti communiste autant qu'un journal islamiste. L'égypte  et le Liban fourmillent de journaux et de revues qui suggèrent beaucoup plus de débat et de discussion que ce qui est crédité à ces  sociétés. Les chaînes satellites se multiplient avec des opinions diverses d'une variété vertigineuse. Les institutions civiles - ayant à faire à plusieurs niveaux avec les services sociaux, les Organisation de défense des droits de l'Homme, les syndicats et les instituts de recherche - sont bien vivantes partout  dans le monde arabe.

Beaucoup doit être fait avant d'avoir un niveau approprié de démocratie, mais nous sommes sur la bonne voie.

Rien qu'en Palestine, il y a plus d'un millier d'ONG, et c'est cette vitalité et ce type d'activité qui a permis à la société de poursuivre son chemin, malgré tous les efforts états-uniens et israéliens pour la dénigrer, l'arrêter et la mutiler dans sa quotidienneté. Dans les pires circonstances, la société palestinienne n'a pas été défaite et ne s'est pas complètement effondrée. Les enfants vont encore à l'école; les docteurs et infirmières prennent encore soin de leurs patients; les hommes et les femmes vont au travail; les organisations tiennent leurs  réunions et le peuple continue à vivre. Cela semble être une injure pour Sharon et les autres extrémistes qui veulent simplement l'emprisonnement des Palestiniens ou leur expulsion.

La solution militaire n'a jamais réussi et ne réussira jamais. Pourquoi est-ce si  difficile pour les Israéliens de le voir? Nous devons les aider à la comprendre, non pas avec des attentats-suicides, mais avec des arguments rationnels, la désobéissance civile de masse, les manifestations organisées, ici et partout.

Ce que j'essaie d'expliquer ici, c'est que nous devons voir le monde arabe en général et en Palestine en particulier, de façon plus comparative et critique que ne le font des livres superficiels et méprisants tels que «What Went Wrong» de Lewis et les déclarations ignorantes de Paul Wolfowitz, parlant d'apporter la démocratie au monde arabe et islamique.

Au-delà de tout ce qui est vrai à propos des Arabes, il y a une dynamique active en action, parce qu'en tant qu'êtres humains réels, ils vivent dans une société réelle avec toutes sortes de courants et contre-courants qui ne peuvent être aisément caricaturés sous les traits «d'une masse bouillante de violence et de fanatisme.»

La lutte palestinienne pour la justice est particulièrement un aspect avec lequel on doit exprimer sa solidarité au lieu de critiques sans fin et de  découragement exaspérant et frustrant et de discorde paralysante.

N'oublions pas la solidarité ici et partout en Amérique latine, en Afrique, en Europe, en Asie et en Australie et rappelons-nous également qu'il y a une cause dans laquelle plusieurs personnes se sont  engagées, sans tenir compte des difficultés et des terribles obstacles. Pourquoi? Parce que c'est une cause juste, un idéal noble, une quête morale pour l'égalité et les droits de l'Homme.

Je voudrais maintenant parler de la dignité, qui occupe, bien sûr, une place spéciale dans toute culture connue des historiens, des anthropologues, des sociologues et des humanistes. Je devrais commencer en disant, dès le début, qu'il est une proposition orientaliste, et en fait  raciste, radicalement fausse, qui veut que, contrairement aux Européens et Américains, les Arabes n'aient pas le sens de l'individualité, aucune attention pour la vie individuelle ni valeur qui exprime l'amour, l'intimité et la compréhension. Ces dernières seraient soi-disant la propriété exclusive de cultures comme celles de l'Europe et des états-Unis qui ont eu une Renaissance, une Réforme et les Lumières. Parmi tant d'autres, c'est le vulgaire et fade Thomas Friedman [éditorialiste au New-Yorks Times], qui colporte ces sottises. Il a été choisi par des intellectuels arabes tout autant  ignorants et s'abusant eux-mêmes - inutile de mentionner ici des noms - qui ont vu dans les atrocités du 11 septembre un signe que les  mondes arabes et islamiques sont en quelque sorte plus malades et dysfonctionnels que tout autre et que le terrorisme est un signe d'une plus grande déformation qu'il ne le semble.

On peut mettre de côté le fait qu'à eux deux, l'Europe et les états-Unis soient responsables du plus grand nombre de morts violentes au cours du XXème siècle. Derrière tout le non-sens trompeur de l'idée de civilisations bonnes et mauvaises, se cache l'ombre grotesque du grand faux prophète Samuel Huntington [l'auteur du «Choc des civilisations»] qui a mené beaucoup de gens à croire que le monde peut être divisé en civilisations distinctes qui se battront entre elles jusqu'à la fin des temps.

Or, Huntington se trompe sur tout. Aucune culture et civilisation n'existe par  elle-même; aucune n'est faite de tels concepts que l'individualité et les Lumières qui lui seraient complètement exclusives; et aucune n'existe sans les attributs humains fondamentaux que sont la communauté, l'amour, la valorisation de la vie et tout le reste.

Suggérer autre  chose relève du racisme pur, de la même catégorie que ceux qui prétendent que les Africains ont des cerveaux naturellement inférieurs ou que les Asiatiques sont réellement nés pour la servitude ou que les Européens forment naturellement une race supérieure. C'est là une  sorte de parodie de science hitlérienne aujourd'hui dirigée uniquement contre les Arabes et les Musulmans. Et nous devons être très fermes en refusant ne serait-ce que d'essayer d'argumenter contre cela. C'est du pur radotage.

Par contre, il y a une affirmation bien plus sérieuse et crédible selon laquelle, comme tous les autres exemples humains, la vie arabe et musulmane possède une valeur et une dignité, exprimées par les Arabes et les Musulmans dans leur propre style culturel. De telles expressions ne doivent pas nécessairement  ressembler ni être la copie d'un modèle approuvé par quelqu'un et convenant à tous.

Toute argumentation sur la diversité humaine repose sur le fait qu'à la fin c'est une forme de profonde coexistence entre différents styles  d'individualité et d'expérience, qui ne peuvent être réduits à une seule forme supérieure. Ce genre d'argument, faux, nous est refilé par des  pontifes qui se lamentent sur le manque de développement et de savoir dans le monde arabe. Il suffit d'observer l'immense  variété de littérature, de cinéma, de théâtre, de peinture, de musique et de culture populaire produite par et pour des Arabes, du Maroc jusqu'au Golfe. Assurément, cela doit être pris en considération comme une indication du développement réel ou non des Arabes et non  pas seulement sur la façon dont, un tel jour, des tableaux statistiques de production industrielle indiquent un niveau approprié de développement  ou un échec.

Le thème le plus important que j'essaie cependant de faire ressortir est qu'il y a aujourd'hui un écart très grand entre nos cultures et sociétés et le petit groupe de gens qui dirigent présentement ces sociétés. Un tel pouvoir a rarement été concentré, historiquement, sur un  petit groupe formé des divers rois, généraux, sultans et présidents qui dirigent les Arabes.

Ce qu'il y a de pire dans ce groupe, presque sans exception, est qu'ils ne représentent pas le meilleur de leur peuple. Ce n'est pas seulement une question de manque de démocratie.  C'est qu'ils semblent se sous-estimer eux-mêmes radicalement, ainsi que leur peuple, d'une manière telle que cela les enferme, les rend  intolérants et craintifs face aux changements. Et qu'ils craignent de s'ouvrir à leur peuple. Par-dessus tout, ils sont terrifiés à l'idée de fâcher «Big  Brother», c'est-à-dire les états-Unis.

Au lieu de voir leurs citoyens comme la richesse potentielle de la nation, ils les regardent comme  des coupables conspirateurs qui envient le pouvoir du dirigeant.

Voilà le vrai échec: comment, durant la terrible guerre contre le peuple irakien, aucun dirigeant arabe n'a eu la dignité et la confiance de dire quelque chose sur le pillage et l'occupation militaire d'un des plus importants pays arabes?

Certes, c'est une excellente chose que le  régime terrifiant de Saddam Hussein ne soit plus, mais qui a nommé les états-Unis pour être le mentor des Arabes? Qui a demandé aux  états-Unis de s'emparer du monde arabe, soi-disant au nom de ses citoyens, et de lui apporter quelque chose nommé «démocratie»,  particulièrement au moment où le système scolaire, le système de santé et toute l'économie des états-Unis dégénèrent à des niveaux  jamais vus depuis la Dépression de 1929?

Pourquoi la voix collective arabe ne s'est-elle pas levée contre la flagrante intervention illégale  des états-Unis, qui a fait tant de mal et infligé tant d'humiliation à l'ensemble de la nation arabe? Voilà vraiment un manque colossal de cran, de dignité et de solidarité avec les siens.

Avec toutes les invocations de l'administration Bush indiquant qu'elle est guidée par le Tout-puissant, n'y a-t-il pas un seul dirigeant arabe qui  aurait le courage de dire seulement que, en tant que grand peuple, nous sommes guidés par nos propres lumières et traditions et religion? 

Mais rien, pas un mot, alors que les pauvres citoyens d'Irak vivent les plus terribles épreuves et que le reste de la région tremble, chaque pays pétrifié, à l'idée d'être le prochain. Combien malheureuse a été l'étreinte de Georges Bush, l'homme dont la guerre vient de détruire  gratuitement un pays arabe, par la direction combinée des principaux pays arabes, ce mois-ci.

N'y avait-il là personne ayant le cran de  rappeler à George W. ce qu'il a fait pour humilier et porter encore plus de souffrances au peuple arabe que ne l'a fait quiconque avant lui. Et doit-il toujours être accueilli avec des embrassades, des sourires, des baisers et des révérences?

Où est le soutien diplomatique, politique et économique nécessaire pour soutenir un mouvement contre l'occupation israélienne en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza? En lieu et place, tout ce qu'on entend est que les ministres des affaires étrangères demandent aux Palestiniens de choisir leur voie, d'éviter la  violence et de rester dans le cadre des «négociations de paix», même s'il est évident que l'intérêt de Sharon pour la paix est nul.

Il n'y a pas eu de réponse concertée des Arabes à l'égard du mur de séparation ni des assassinats ni du châtiment collectif, seulement un ramassis de clichés usés, répétant les formules rebattues autorisées par le Département d'état.

Ce qui me frappe, à propos de l'incapacité arabe à saisir la dignité de la cause palestinienne, est exprimé par l'état actuel de l'Autorité  palestinienne. Abou Mazen [Abou Abbas], une figure subordonnée avec peu de support politique au sein de son propre peuple, a été choisi pour  l'emploi par Arafat, Israël et les états-Unis. Et cela précisément parce qu'il n'a pas de base, n'est pas un orateur ou un grand organisateur ou quoi  que ce soit excepté un aide soumis à Yasser Arafat.

Ils le voient comme un homme qui exécutera les ordres d'Israël. Mais comment  Abou Mazen lui-même a-t-il pu se tenir là, à Aqaba [rencontre d'Abou Mazen avec Sharon et Bus. début juin 2003; les trois reçus par le roi de Jordanie], prononçant les mots écrits pour lui, comme la poupée d'un ventriloque, par un  quelconque fonctionnaire du Département d'état. Abou Mazen ly parlé a parlé d'une manière louable des souffrances juives, Mais, il n'a  ensuite pratiquement rien dit de la souffrance de son peuple aux mains d'Israël? Comment peut-il accepter un rôle si indigne et manipulé et comment peut-il oublier sa propre dignité de représentant d'un peuple qui s'est battu héroïquement pour ses droits depuis plus d'un siècle, seulement parce que les états-Unis et Israël lui ont dit qu'il le devait?

Et quand Israël affirme simplement qu'il y aura un état palestinien temporaire, sans la moindre contrition pour l'horrible quantité de dommages qu'il a causés, les innombrables crimes de guerre, l'humiliation véritablement sadique et systématique de tout Palestinien, homme, femme et enfant, je dois avouer une absence complète de compréhension pour ce qui  a trait à la raison pour laquelle un dirigeant ou représentant de ce peuple souffrant, depuis longtemps, n'en prend  même pas note.

A-t-il totalement perdu tout sens de la dignité? A-t-il oublié qu'il n'est pas simplement un individu, mais aussi le garant  du destin de son peuple à un moment particulièrement crucial?

N'y a-t-il personne qui n'ait été amèrement déçu par cet échec total d'être à la hauteur et de se tenir avec dignité - la dignité de l'expérience  de son peuple et de sa cause - et témoigner de sa fierté, et sans compromis, sans ambiguïté, sans le ton à moitié embarrassé, semi-excusé que prennent les dirigeants palestiniens lorsqu'ils mendient une petite gentillesse de la part d'un père blanc totalement indigne de  confiance?

Mais cela a été le comportement des dirigeants palestiniens depuis Oslo - et en fait depuis Haj Amin [Haj Amin al-Husseini, 1893-1974, Mufti de Jérusalem mis en place par les Britanniques en 1921] - une combinaison de défiance  juvénile déplacée et de supplication plaintive. Pourquoi donc croient-ils toujours qu'il leur est absolument nécessaire de lire des scripts écrits pour eux par leurs ennemis?

La simple dignité de notre vie en tant qu'Arabes de Palestine, à travers le monde arabe et ici en Amérique, est que nous sommes nous-mêmes, avec un héritage, une histoire, une tradition et par-dessus tout une langue qui est plus qu'adéquate pour représenter nos réelles aspirations, aspirations qui trouvent leur source dans l'expérience de dépossession et de  souffrance qui a été imposée à tout Palestinien depuis 1948.

Pas un seul de nos porte-parole politiques - ce qui est valable pour les  Arabes depuis le temps d'Abdel Nasser - ne parle avec respect de soi et dignité de ce que nous sommes, de ce que nous voulons, de ce que  nous avons fait et où nous voulons aller.

Lentement, toutefois, la situation change et le vieux régime des Abou Mazen et Abou Ammar [nom d'Arafat] passe et sera graduellement remplacé par un nouvel ensemble de dirigeants émergents un peu partout dans le monde arabe.

Les plus prometteurs sont les membres de l'Initiative Nationale Palestinienne (NPI). Ce sont des militants populaires dont l'activité principale n'est pas de pousser un crayon ni de jongler avec des comptes bancaires, ni de surveiller des journalistes. Ils viennent des rangs des professions libérales [médecins avant tout], des classes laborieuses et de jeunes intellectuels et militants. Ce sont des enseignants, des médecins, des avocats et des ouvriers qui ont gardé la société sur ses roues tout en parant les attaques quotidiennes israéliennes. Deuxièmement, ce sont des gens attachés au type de démocratie et de participation populaire inimaginable pour l'Autorité palestinienne, pour qui l'idée de démocratie signifie la stabilité et la sécurité pour eux-mêmes. Finalement, ils offrent des services sociaux aux sans-emploi, des soins de santé aux non-assurés et aux pauvres, une éducation laïque adéquate à une  nouvelle génération de Palestiniens à qui on doit apprendre les réalités du monde moderne et non pas seulement la valeur extraordinaire  du vieux monde. Pour de tels programmes, la NPI stipule que se débarrasser de l'occupation est la seule voie en avant et que pour cela, une direction nationale unifiée et représentative soit élue librement pour remplacer les vieux copains, les désuets et les incapables qui ont empoisonné la direction palestinienne au cours du dernier siècle.

Seulement si nous nous respectons en tant qu'Arabes et Américains et si nous comprenons la véritable dignité et justice de notre lutte, seulement à ce moment-là nous pourrons apprécier pourquoi, presque malgré nous, tant de gens à travers le monde, incluant Rachel Corrie et les deux jeunes gens blessés, comme elle, de l'ISM, Tom Hurndall et Brian Avery:Ils ont cru possible d'exprimer leur solidarité  avec nous.

Je conclus avec une dernière note relavant d'une ironie de l'histoire. N'est-il pas surprenant que tous les signes de solidarité populaire que la Palestine et les Arabes  reçoivent ne soient pas accompagnés par des signes comparables de solidarité et dignité envers nous-mêmes, que d'autres nous admirent  et respectent plus que nous le faisons nous-mêmes? Ne serait-il pas temps que nous rattrapions notre propre statut et que nous nous assurions que nos représentants, ici et ailleurs, réalisent, en premier lieu, qu'ils se battent pour une cause juste et noble et qu'ils n'ont pas à s'excuser pour rien, pas plus qu'à être embarrassés? Au contraire, ils devraient être fiers de ce que leur peuple a fait, et fier de le représenter.

 

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