Palestine

Ce qu'on dit à Gaza

Amira Hass*

Des Palestiniens entourent la carcasse calcinée de la voiture du leader du Hamas Abdel Aziz Rantisi après l'attaque par un hélicoptère Apache israélien, le 10 juin, à Gaza. Rantisi a été blessé, mais deux passants, dont une fillette de 8 ans, ont été tués par cette tentative d'assassinat.

Deux jours avant la tentative d'attentat contre Abdel Aziz Rantisi, trois Palestiniens armés ont tué quatre soldats israéliens à un poste militaire, dans la zone industrielle d'Erez, au nord de la bande de Gaza. Au cours du combat, les trois hommes armés ont aussi été tués, dans cette opération que trois organisations ont revendiquée: le Hamas, le Jihad Islamique et le Fatah. Certains estiment qu'il y a un lien direct entre l'attaque contre ce poste militaire et la décision d'assassiner un haut dirigeant du Hamas; alors qu'il est clair pour toute personne sensée que cela va ouvrir un nouveau cycle de vengeance.

La douleur collective israélienne à l'occasion de la mort au combat de soldats ne peut pas être moindre que la douleur suscitée par la mort de civils assassinés lors d'attentats. Mais à en juger par des propos d'hommes politiques [israéliens], par ce qui s'écrit dans la presse [israélienne], par les opérations immédiates de destruction lancées par l'armée israélienne dans le nord de la bande de Gaza - qui désorganisent le peu qui ne l'était pas encore dans la vie des milliers d'habitants de Beit Hanoun - et par la tentative d'attentat elle-même, il est clair que tuer des soldats à l'intérieur d'un poste militaire, dans un territoire conquis par Israël en 1967, est en tout point considéré, en Israël, comme une action terroriste. L'attaque contre le poste est qualifiée d'«attentat terroriste», et les assaillants de terroristes. Les mêmes mots, exactement, qui ont été utilisés, le lendemain, pour décrire l'attentat-suicide de Jérusalem.

C'est l'approche israélienne telle qu'elle est répandue: des soldats israéliens sont toujours impliqués dans un «combat», même lorsqu'ils bombardent un camp de réfugiés. Des Palestiniens sont toujours des terroristes, même face à des chars, même lorsque leur objectif ce sont des soldats dans une garnison israélienne dont la mission est, en partie, de surveiller que les territoires conquis par Israël en 1967 soient habités sans problème par des Juifs.

Il est clair que les Israéliens ne peuvent pas partager le sentiment palestinien de fierté lié au fait que trois jeunes gens - qui ne sont pas passés par un entraînement au sein d'une glorieuse armée et qui savaient qu'ils avaient toutes les chances d'être tués - ont réussi à s'infiltrer dans une zone très surveillée et à attaquer une cible militaire. Mais quand on ne fait pas de distinction entre une opération qui prend pour cible des soldats et une autre qui vise des civils, et quand on qualifie une attaque militaire d'«attentat terroriste», on agit en fait selon la même logique que de nombreux Palestiniens qui pensent que, dans le cadre de la lutte contre l'occupation, une attaque contre des civils est aussi légitime qu'une attaque contre des soldats.

La discussion - de savoir s'il y a une différence - se déroule en permanence dans le public palestinien. Une infime minorité considère qu'il y a une interdiction morale à attaquer des civils. Une minorité plus importante justifie la nécessité de s'abstenir d'attaques contre des civils à l'intérieur de la Ligne verte, à partir de considérations tactiques. Mais il leur est difficile de résister face aux arguments qui leur sont opposés: la majorité des Palestiniens tués sont des civils; il n'y a pas de différence entre une bombe d'une tonne visant une maison d'habitation et une bombe humaine; «tout civil [israélien] a été ou sera un soldat»; «ils tuent nos mères aussi».

Cette semaine, à Gaza, les gens demandaient: «Qui en Israël s'intéresse à la manière dont a été tué Rafat al-Zaanin, 30 ans, dimanche passé?» Des témoins visuels ont rapporté ceci: aux alentours d'une heure du matin, des habitants de Izbat Beit Hanoun ont aperçu des soldats circulant à pied. Al-Zaanin était officiellement membre de la police. Il apparaît maintenant qu'il appartenait aussi au bras armé du Fatah. Mais là, selon eux, il ne partait pas au combat: il était sorti dans la cour où était entré son voisin qui craignait de rester seul et il l'avait invité à entrer chez lui. Alors qu'il le suivait, il a été touché d'une balle à la jambe. Il semble que le projet n'était pas d'emblée d'attenter à sa vie, sinon il aurait été visé à la tête. Un de ses frères s'est précipité vers lui et a, lui aussi, été atteint d'une balle. Quand le tir s'est un peu calmé, des frères et des voisins ont porté les deux blessés sur 700 mètres, jusqu'à une clinique proche. Mais al-Zaanin avait déjà perdu trop de sang et il est mort.

A Gaza, on demande aussi: «Qui sait, en Israël, que, lundi soir, Amal al-Jarusha est morte des suites de ses blessures, une fillette de 8 ans dont le seul crime était de se trouver pas loin de la voiture de Rantisi, au moment où des soldats de la force aérienne israélienne tiraient sept missiles dans sa direction?»

* Publié dans le quotidien israélien Haaretz du mercredi 18 juin 2003

 

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