Asie centrale Kazakhstan. Les travailleurs/euses face aux réformes libérales et aux transnationales. Depuis quelques années, l'Asie centrale constitue un des centres de redéploiement de l'impérialisme américain. Les régimes qui règnent dans divers pays sont rarement analysés; encore moins la situation des salarié.e.s. Une fois de plus le Messager Syndical (voir ci-dessous) nous offre une analyse minutieuse et des informations sans égales. réd. Le président du Kazakhstan, Narsoultan Nazarbaiev, est à la tête du pays depuis 1986, d'abord en tant que président du Conseil des Ministres, ensuite, à partir de 1989, en tant que premier secrétaire du comité central du parti communiste, et enfin, depuis 1991, en tant que président élu au suffrage universel avec 99% des voix. Il a ensuite par deux fois dissout le Parlement kazakh, en 1994 et 1995, fait passer par référendum, en 1995, la prolongation du mandat présidentiel à 7 ans. Sa réélection a donc eu lieu en décembre 1998, avec cette fois "seulement" 82% des voix. Les dernières élections législatives, quant à elles, datent de 1999, et a amené au pouvoir des députés entièrement contrôlés par le président. Enfin, dernière pièce à ce tableau autocratique, Nazarbaiev a fait adopter, en 2000, la "loi sur le premier président", qui lui assure personnellement une retraite paisible, tant du point de vue financier que politique. La loi lui laisse un grand nombre de pouvoirs, notamment celui d'opposer son veto aux lois proposées par le Parlement. Le débat politique dans le pays se concentre actuellement autour de la question de savoir si le Kazakhastan va évoluer ou non vers un régime autocratique de type clanique. La vie politique se réduit à des luttes pour des postes et pour le partage de la propriété privée, ces affrontement étant surdéterminés par les divisions claniques. En juillet 2002, le pouvoir en place a fait adopter une nouvelle loi sur les partis politiques. Désormais, ne peuvent prétendre au statut de parti que les organisations qui sont présentes dans la moitié des régions du Kazakhstan et qui regroupent au total 50 000 membres (rappelons que la population totale est de 14 millions!). Ces critères très restrictifs sont redoublés par la difficulté pratique que rencontrent les partis politiques pour faire enregistrer leurs sections régionales. Cela explique qu'à l'heure actuelle, seulement trois partis ont été enregistrés, tous pro-présidentiels. Même le parti communiste (héritier de l'ex-PCUS) ne parvient pas à se faire reconnaître officiellement comme un parti. Les prochaines élections législatives (prévues en 2003), qui seront sans doute organisées selon le principe exclusif du scrutin de liste, vont donc offrir au président un parlement encore plus sur mesure. La pente autoritaire du régime se manifeste aussi par les nombreuses arrestations de militants associatifs, syndicaux ou politiques, accusés sur des prétextes fallacieux de "terrorisme" ou "d'atteinte à la dignité du président", et emprisonnés pour des mois, voire des années. Autoritarisme et ultra-libéralisme Au Kazakhstan les réformes vont bon train, mais à un rythme plus rapide, et dans un sens encore plus autoritaire et libéral qu'en Russie. En effet, l'opposition parlementaire y est encore plus faible et la pression des compagnies étrangères est très forte. L'aspect libéral des réformes s'illustre tant par les privatisations massives, y compris des voies ferrées, des télécoms et de la poste, que par la réforme du code du travail, opérée dès la fin de l'année 1999. La législation du travail actuelle est très proche de celle que V. Poutine a fait passer en Russie. Alors que la mobilisation de certains syndicats en Russie a fait reculer le gouvernement sur certains points, les syndicats kazakhs n'ont, dans leur majorité, pas mené le combat, et le nouveau code du travail est très rétrograde socialement. Le droit des syndicats à s'exprimer sur les licenciements, y compris de leurs membres et dirigeants, est aboli. Sont levées toutes les limites régulant l'usage du contrat à durée déterminée. Est légalisé le droit des chefs d'entreprise au lock-out (renvoi massif des grévistes dès le premier jugement reconnaissant une grève illégale). Le droit de grève ne figure même pas dans la loi, et l'ancienne loi régulant la grève est de fait remise en question. Les femmes enceintes sont privées de tous les droits dont elles bénéficiaient auparavant. Enfin, la semaine de travail passe à 56 heures sans autres limitations que l'obtention de "l'accord du salarié". Les conditions de travail sont très dures, en particulier dans les entreprises étrangères et dans le secteur "informel", très développé au Kazakhstan. Comme un seul salaire ne permet pas de (sur)vivre, la plupart des salariés travaillent dans deux ou trois endroits différents. Les petites firmes privées ne déclarent pas leur main d'oeuvre, elles peuvent licencier à n'importe quel moment, payer (ou ne pas payer) le salaire qu'elles veulent. Elles ne paient aucun impôt sur les salaires et ne supportent presque aucune charge sociale, privant leurs salariés de toute protection sociale. La situation est encore pire pour les chômeurs, les allocations de chômage étant quasi inexistantes. Les richesses nationales offertes aux multinationales Quant à la forte présence des compagnies étrangères, elle constitue sans doute l'aspect le plus spécifique du Kazakhstan, à tel point qu'il est possible de parler de colonisation rampante par les compagnies transnationales. Celles-ci ont commencé à s'installer dans le pays au milieu des années 90 et détiennent aujourd'hui près de 90% des grandes entreprises et des gisements du pays, les 10% restant appartenant au président et à ses proches. La plupart des centrales électriques et des usines de traitement de l'eau étant privatisées, les nouveaux propriétaires ont toute liberté de relever les tarifs. Cela a pour conséquence le fait que le coût des charges communales dépasse depuis longtemps le niveau supportable pour la population, en proie à des coupures régulières d'électricité et d'eau courante. L'installation d'une multinationale va de paire avec l'instauration d'une politique ultra-répressive à l'égard des syndicats, avec des licenciements massifs, avec la détérioration des conditions de travail. Et, la plupart du temps, les firmes étrangères, maniant avec dextérité relations humaines et bakchichs, reçoivent le contrôle des morceaux les plus juteux de l'économie kazakh à des prix largement sous-évalués. Le gisement de gaz condensé d'Aksaï (Ouest du Kazakhstan), deuxième plus grand gisement au monde, a ainsi été cédé pour 40 ans à un consortium de firmes étrangères (comprenant Adjip, British Gaz, etc.). Les grandes multinationales du pétrole se sont ruées vers l'or noir du Kazakhstan. Une firme britannique, Ispat-Karmet a racheté le combinat métallurgique de Karaganda pour seulement 1 million de dollars. Elle a licencié plus de 10000 salariés depuis son arrivée, en 1996. La productivité a été multipliée par deux, sans que les salaires n'augmentent d'un centime (le salaire mensuel tourne autour de 200$). Cette même firme a racheté la plupart des mines de charbon de la région. Les luttes sociales Le mouvement syndical et ouvrier, par certains aspects plus radical et dynamique qu'en Russie, tente de s'opposer à la politique du pouvoir présidentiel et des multinationales, mais il a à faire à forte partie. Ainsi le mouvement ouvrier "Solidarnost" a organisé plusieurs grèves, meetings et manifestations contre les agissements de la direction du groupe "CC Saipen", une compagnie italienne de construction chargée de l'aménagement du site gazier d'Aksaï. Celle-ci n'emploie les salariés que sur des contrats de trois mois, renouvelables. Elle inflige aux salariés des amendes énormes pour la moindre faute ou tentative de résistance. Elle ignore superbement toutes les normes d'hygiène et de sécurité. La dernière grève, au cours de l'été 2002, a rassemblé 10000 salariés qui protestaient contre l'intoxication alimentaire massive provoquée par la mauvaise qualité des produits de la cantine. Face à cet arbitraire des transnationales, le Ministère d justice tout comme le Ministère du travail ne font rien, au nom du maintien du sacro-saint "climat favorable pour les investissements étrangers". De mars à juin 2002, les mineurs d'un bassin minier de la région de Karaganda, sous le contrôle de la firme britannique Ispat-Karmet, se sont mis en grève pour réclamer le paiement des salaires, non versés depuis six mois. Un meeting de plusieurs milliers de personnes a eu lieu en janvier 2002 dans le combinat métallurgique de Karaganda, appartenant à la même firme britannique, pour obtenir une augmentation de salaire de 20%. Cette firme, connue dans la région pour sa politique de prédation des ressources naturelles et de surexploitation de la main-d'oeuvre, concentre depuis longtemps le mécontentement de la population. En signe de protestation contre cette politique, Alexandre Shoupik, un membre du mouvement "Solidarnost" et de l'association des syndicats indépendants de Karaganda (ANP) a mené une grève de la faim du 24 février au 29 mars, exigeant la renationalisation des gisements, le licenciement des fonctionnaires et juges corrompus et la réembauche des mineurs licenciés injustement (lui-même a été victime d'un licenciement). Son action a été soutenue par des grèves dans les autres mines et entreprises de la région, par des meetings permanents du mouvement "Solidarnost" et par une campagne internationale de soutien. Suite à cette mobilisation, la direction de la compagnie a en partie cédé. Elle a réembauché quelques dizaines de mineurs au chômage et a augmenté de 10% le salaire de tous les mineurs de la région. Des conflits du même type ont lieu dans d'autres entreprises. Grèves et meetings (non autorisés par les pouvoirs locaux) à l'initiative du comité syndical FPK dans les raffineries du Sud, appartenant à la compagnie étrangère "Schnoss". Grèves dans la fabrique de volailles d'Almati, détenue par des Palestiniens où les femmes et les enfants employés dans l'usine sont forcés à à travailler 14 jheures par jour sans repos. Grèves dans des mines d'extraction de l'or, etc. Les organisations associatives, politiques et syndicales Il existe deux grandes confédérations syndicales: - la Fédération des Syndicats du Kazakhstan(FPK), héritière de l'ancienne confédération soviétique, dirigée par Moukachev, qui rassemble la moitié des travailleurs du secteur d'Etat et la moitié des syndiqués. Mais, en décembre 2001, neuf fédérations de branche (sur vingt deux) ont été exclues pour avoir critiqué la politique de compromis de la FPK à l'égard des réformes libérales du gouvernement (notamment l'acceptation de la réforme du code du travail). Il s'agit notamment des pilotes, des mineurs, du syndicat des transports, du syndicat de la métallurgie, etc. - la Confédération des Syndicats Libres du Kazakhstan(KSPK), dont le président est Solomine. Elle s'est formée autour du Syndicat Indépendants de Mineurs (NPG) qui s'était constitué à l'issue des premières grandes grèves de mineurs de la fin des années 80 (ces grèves avaient eu lieu dans tous les bassins miniers du pays). Jusqu'en 1995 la KSPK est une force syndicale importante. Mais, la direction de cette Fédération, soumise à des pressions du FMI et à une influence croissante de l'AFL-CIO a soutenu de plus en plus ouvertement les réformes, ce qui a provoqué de vives tensions au sein de la Confédération. En 2000 plusieurs fédérations régionales ont été exclues pour avoir exprimé leur opposition à la ligne de la direction. Parmi les syndicats qui ont quitté la KSPK il faut citer l'Association des Syndicats Indépendants de Karaganda (ANP). es syndicats de branche et de région exclus des deux principales confédérations ne se sont pour l'instant pas regroupés et conservent leur autonomie. Mais leur position commune à l'égard de la politique libérale du pouvoir et de la politique de sur-exploitation des multinationales devrait les amener au moins à coordonner leurs actions. Pour le moment, cette coordination est assurée essentiellement par le Mouvement Ouvrier "Solidarnost", organisation dont les orientation politiques sont fortement ancrées à gauche. Opposée aux réformes libérales, Solidarnost se bat pour la renationalisation des entreprises privatisées, et insiste sur l'importance et la nécessité des luttes collectives. "Solidarnost", fondé en 1989, rassemble aujourd'hui plusieurs milliers de membres: syndicalistes de tous bords, ex-membres du PC ou du Komsomol, militants n'appartenant à aucun parti. Très actif dans toutes les actions de protestation, les militants de ce mouvement font l'objet d'une dure répression de la part du pouvoir. Plusieurs de ses dirigeants ont passé des mois en prison. Outre son travail syndical, "Solidarnost" mène des actions avec les chômeurs, les mères de famille, les associations de quartier, les retraités, les habitants (sur les questions de l'accès à l'eau, au gaz et à l'électricité). Enfin, en mai 2002, a été créé une organisation de jeunesse du nom de "Jeune Garde du Kazakhstan", regroupant de jeunes syndicalistes, des militants de "Solidarnost", des anciens membres du Komsomol. Elle compte actuellement environ 70 membres. Cette organisation, en collaboration avec un groupe d'intellectuels progressistes, travaille à la constitution d'une association "Initiative sociale" qui a pour projet de populariser les thèses du mouvement contre la mondialisation libérale. Cette association se propose de lutter en premier lieu contre l'emprise des multinationales et leur politique de surexploitation. Ses militants protestent également contre la dégradation de la situation écologique dans la Mer Caspienne et contre l'implantation de bases militaires américaines sur le sol kazakh (projet exprimé par le Département américain). En articulant leur mouvement avec le mouvement international contre la mondialisation libérale, ils visent à la fois à lutter contre le développement de courants nationalistes dénonçant en bloc l'Occident et à faire connaître la situation intérieure. **************** Quelques questions à Aïnour Kourmanov Ex-président du comité syndical de l'usine métallurgique de la ville d'Ouralsk, co-président de "Solidarnost", membre fondateur de l'association "Jeune Garde" Aïnour Kourmanov n'a que 26 ans mais a déjà derrière lui un long passé militant. Il travaille depuis 1993 comme tourneur dans l'usine métallurgique d'Ouralsk. Il a adhéré en 1994 à "Solidarnost" et a participé à toute les grèves qui ont eu lieu dans l'usine depuis cette époque. Il a passé six mois en prison en 1997, pour "injures au président" à cause de graffitis dessinés sur un mur de l'usine avec un copain. M.S: Comment les grèves étaient organisées, quelles étaient les revendications? A.K.: Elles étaient très largement spontanées, provoquées par le ras-le-bol des ouvriers. Mais le Comité syndical (FPK) les prenait en charge, en collaboration avec "Solidarnost". Elles concernaient surtout le non-paiement des salaires. Plus récemment, nous avons organisé plusieurs meetings contre la hausse des tarifs de l'eau et de l'électricité dans la ville. M.S: Comment es-tu devenu président du comité syndical si jeune? A.K: Le militantisme et le dynamisme ne se mesurent pas à l'âge. Les gens ont vu que j'étais de toutes les actions, que je prenais des responsabilités dans l'organisation et dans les négociations. Ils m'ont élu à la tête du comité syndical en février 2000. Nous sommes ensuite entrés en grève en septembre 2000, pour obtenir le paiement des salaires non versés depuis six mois. Et nous avons gagné. Les salaires ont été payés. Mais la direction de la FPK a commencé à me regarder de travers, à me trouver trop radical et trop oppositionnel. Ils m'ont démis de mes fonctions au printemps 2002. En fait, aujourd'hui la place est vacante, il n'y a plus de président du comité syndical. On peut même dire qu'il n'y a plus de comité syndical. Il a été détruit par la direction, qui menait en fait l'usine à la faillite. C'est ce qu'elle a presque obtenu aujourd'hui. Sur 3500 salariés, il n'en reste plus que 200. Je suis, de fait, licencié. M.S: Quel est ton avis sur la situation des luttes sociales au Kazakhstan? A.K: Je considère que le dynamisme est plus grand qu'en Russie. Les ouvriers, surtout, sont prêts à se mobiliser. Il faut dire qu'ils n'ont plus grand chose à perdre depuis que les privatisations à outrance et les réformes libérales leur ont tout enlevé. L'effritement des deux principales confédérations syndicales qui développait une politique de collaboration avec le pouvoir, nous permet d'espérer une reconstruction d'un mouvement syndical fort et radical. Bien sûr, nous faisons face à une répression musclée. Mais les réactions du pouvoir et en particulier la répression des militants ouvriers traduisent paradoxalement la faiblesse de ce pouvoir, où les clans proches de Nazarbaïev s'affrontent violemment pour le fauteuil présidentiel. De plus, la politique économique d'exploitation des matières premières commence à donner des signes de faiblesse, la dette extérieure augmente et les revenus des concessions aux étrangers s'amenuisent. Dans ce contexte, il est décisif que les travailleurs s'organisent et se mobilisent pour faire reculer ce pouvoir, d'autant plus autoritaire et répressif qu'il est confronté à de sérieuses difficultés. M.S: Un message aux syndicalistes occidentaux? A.K: Dans les conditions de l'arbitraire policier et juridique, nous avons besoin urgent de la solidarité internationale. Surtout, nous essayons de rompre le blocus de l'information qui entoure les agissements criminels des multinationales et de leur complice Nazarbaïev contre le peuple du Kazakhstan.
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