Argentine

La famine

«Il ne sagit pas dune seule famille, mais de milliers denfants»

Par Horacio Cecci (article publié dans le quotidien Pagina 12, 25 avril 2002, Buenos Aires)

Lors d'une émission très suivie, animée par le journaliste La Nata, un témoignage d'une écolière de Tucuman sur la faim rampante parmi les élèves d'une école a secoué une partie des Argentins qui savaient mais ne voulaient pas voir la réalité sociale du pays. Pour les autres, ce fut une confirmation écrasante du drame qui frappe quelque 50% de la population argentine, et aussi de la capacité de riposte populaire existante. - Réd.

Dire que tout a commencé au moment où cette situation a été dénoncée [lors du programme télévisé susmentionné] serait comme prétendre que le pays est entré soudainement en crise le 19 décembre 2001 [date du renversement du gouvernement de De la Rua].

Mais il est vrai que la crise celle des élèves qui ont faim est devenue publiquement visible lorsque Miguel Galvan, le directeur de lécole Juan Luis Nougués, située au sud-ouest de la capitale de la province de Tucuman, près de la ceinture de «villas», a dénoncé le fait que les enfants sévanouissaient faute de nourriture.

Sa dénonciation a eu trois conséquences visibles. La première est que le gouvernement de cette province a promis que les rations alimentaires subventionnées pour les cantines scolaires seraient à nouveau disponibles ces prochains jours, même si elles ne suffiraient que pour une semaine. La deuxième est quen attendant, des dons de nourriture pour lécole de Nougués sont arrivés depuis tout le pays au point quil a fallu faire garder cette nourriture pour éviter quelle ne soit volée par des affamés. La troisième est que le gouvernement provincial a  réprimandé le directeur qui a dénoncé la situation, en laccusant davoir «monté un  show, davoir exposé les enfants dans leur souffrance».

«Il ne sagit pas dune seule famille en situation dramatique ni dune seule école , expliquait Galvan à Pagina12. Cette situation touche, dans la seule province de Tucuman, 160 mille enfants, qui vont aux quelque 600 écoles situées dans les zones critiques.» A lécole de Nougués, il y a 1775 enfants entre 5 ans (275 vont au jardin denfants) et 15 ou 16 ans, en dernière année décole primaire. La ration quotidienne calculée pour chaque élève 25 centavos [soit 13,75 centimes de FS] - est tellement minime que toute dévaluation [du peso par rapport au dollar] reviendrait à la supprimer. Et pourtant, jusquà ce que Galvan en parle, ces rations narrivaient plus.

«Le premier jour de classe [les classes ont recommencé en mars], trois enfants se sont évanouis, et nous avons dû faire venir un médecin pour une fillette du sixième degré. Les médecins ont dit que cétait à cause de la faim.»Cest seulement après cette dénonciation que le directeur de lAssistance scolaire, César Suédan, a admis cette carence, et quil a promis que les subsides seraient versés «au cours des prochains jours». Pour le cas où il y aurait des doutes, Suédan a expliqué que le problème venait du fait que les droits dinscription scolaires avaient augmenté entre 15 et 20%.

Tout le monde ne partageait pas le point de vue des autorités: lécole de Nougués a commencé à recevoir de grandes quantités daliments en boîtes, du lait en poudre, et même des habits. «Ces dons arrivaient du pays tout entier, expliquait Galvan, je viens de recevoir un appel dUshuaia [Terre de feu] me demandant de quoi nous avions besoin.»

Cette solidarité a atteint de telles proportions que Galvan a commencé à dévier les appels vers dautres écoles, aussi pauvres que la sienne. Les premiers jours, le rôle de lécole publique dans la crise a trouvé sa métaphore à Nougués: les aliments ont été stockés dans la pièce la plus disponible, dans la bibliothèque!

Mais ils envisagent maintenant de les transporter dans un hangar. En attendant, des policiers, des enseignants et même des parents ou des élèves ont organisé un tournus pour garder ce trésor. «Il y a tellement de gens qui ont faim que nous devons prévenir des vols», a déclaré Galvan.

«Pour le moment, nous avons une cantine pour le jardin denfants. Lannée passée, le reste de lécole a eu, sur les neuf mois de classe, trois mois avec un supplément qui consistait un jour en une pomme, un autre en une banane.» La dénonciation de Galvan a eu son écho. Mardi passé, ils lont cité à comparaître, non pas pour lui donner de la nourriture, mais pour laccuser davoir «exposé les enfants, davoir monté un show sur leur intimité».

 

Haut de page

Retour


Case postale 120, 1000 Lausanne 20
fax +4121 621 89 88
Abonnement annuel: 50.-
étudiants, AVS, chômeurs: 40.- (ou moins sur demande)
abonnement de soutien dès 75.-
ccp 10-25669-5