Argentine, une rébellion populaire (20 mars 2002)
La chaîne d'informations argentine "la TV AZUL" résume l'information la plus importante de ce jour, mercredi 20 mars: «Tous les chemins mènent au FMI a déclaré le secrétaire d'Etat à l'économie» du gouvernement argentin de Duhalde.
Ce commentaire fait suite aux déclarations, le même jour, du président des Etats-Unis, George W. Bush. Un avertissement lancé avant son voyage au Mexique et sa tournée rapide en Amérique latine. Le propos de (doubleyou) Bush est clair: «soit l'Argentine s'ajuste, soit elle ne recevra aucune aide».
Traduisons. Soit le gouvernement assure le service de la dette et ouvre des négociations avec les banques créancières, protège les investisseurs étrangers (qui ont acheté le pays), renforce l'austérité au niveau fédéral comme à celui des provinces et limite l'imposition sur le capital. Soit aucun crédit minimum ne lui sera accordé (car, pour l'essentiel, la prétendue aide du FMI ne fait que revenir dans les caisses du FMI et de quelques créanciers importants). Quasiment jamais dans l'histoire de l'Argentine, un président des Etats-Unis n'est intervenu publiquement aussi précisément pour dicter à son partenaire junior ses «devoirs». Cela indique le degré de subordination dans lequel l'économie et le pouvoir politique argentins sont tombés après quelque 20 ans d'ajustement..aux exigences des économies impérialistes, celle des Etats-Unis, mais aussi celles de l'Europe.
Pourquoi celles et ceux (du Parti socialiste à diverses ONG) qui demandaient que la politique de la Suisse au FMI ne suive pas aveuglément celle des Etats-Unis se taisent-ils? la réponse est simple: parce que les élites dominantes de la Suisse impérialiste partagent le point de vue de Bush.
Les autres nouvelles de la TV Azul permettent de sonder la rébellion populaire qui bouleverse le pays depuis le 19-20 décembre. Des groupes de piqueteros (chômeurs) bloquent les voies d'accès à la Capitale fédérale et réclament à Mar del Plata la libération d'une des figures emblématiques d'une aile (Courant classiste combatif) de ce mouvement, Emilio Ali. Un jour avant, le ministre de la Défense, Horacio Juanarena, lançait à la cantonade que le «financement de groupes de piqueteros pouvait venir des FARC (Forces armées colombiennes)». Une accusation gratuite faite pour légitimer une répression et inclure une répression possible contre le mouvement social argentin dans le contexte de la «guerre contre le terrorisme». Et le gouvernement argentin, captant les demandes de Washington, a offert des cours de formation aux pilotes militaires colombiens, «afin de lutter contre la guérilla».
Puis les nouvelles donnent la parole à des épargnants qui manifestent contre le «corralito» (non accès libre à leur épargne, entre autres en dollars) devant le siège du Banco de Boston, une banque réputée ayant son siège à Buenos Aires. Ensuite, des retraités occupent le siège d'une société dans la province, par crainte de perdre ce qui reste de leur retraite...Pendant ce temps se réunissent des assemblées populaires. Selon une enquête récente, un habitant sur trois a participé à une Assemblée populaire ou à un cacerolazo dans l'agglomération de Buenos Aires (quelque 14 millions d'habitants sur un total de 37 dans le pays). C'est ainsi que se ré-invente une démocratie directe qui traduit l'entrée en politique de larges secteurs de la population.
Manifestations, assemblées populaires et piquets (visant à résoudre des problèmes de la vie quotidienne), cacerolazos, occupations d'usines en faillite..toutes ces initiatives venant «d'en bas» constituent une véritable école qui pourra permettre aux salarié·e·s de faire face à une crise économique catastrophique (le 20 mars: un dollar vaut 2,58 pesos; en février la production industrielle a baissé de 15%; le prix du lait, de la farine...a augmenté de quelque 30% au cours des trois dernières semaines).
«Prendre leur avenir en main», voilà ce que font une majorité de salarié·e·s d'Argentine. La solidarité avec eux/elles consistera aussi à apprendre cette façon de demander des comptes et de mettre en question, à la racine, un système économique et politique qui a abouti à exproprier un pays (par les entreprises et banques d'Europe, des Etats-Unis, de Suisse) et exproprier ses habitants. Se réappropier la vie politique, la vie de la société, voilà le sens d'une rébellion qui ouvre la voie vers un socialisme partant d'en-bas.réd.