Italie

Les origines de Fiat entre scandales, connivences politiques,
profits de guerre et poigne de fer avec les ouvriers

Giovanni Agnelli, «héros» capitaliste

La direction de Fiat vient de décider la mise à pied de 5600 salariés (20% des salariés de Fiat auto) dès le mardi 10 décembre. Les mobilisations des ouvriers de Fiat se développent dans l'ensemble du pays, de la Sicile à Turin. Une crise sociale majeure s'ouvre. La mise au chômage technique signifie une seule chose pour les travailleurs et travailleuses: ils ne retrouveront plus jamais un emploi à la Fiat.

Nous donnons ici à nos lecteurs les principaux éléments de l'histoire de la Fiat, qui est un concentré de l'histoire du développement du capital italien et des affrontements de classes qui vont de pair. - Réd.

Maria R. Calderoni

L'histoire des Agnelli et de Fiat n'est pas faite de cette matière dont sont faits les rêves, pour paraphraser Shakespeare. Mais de larmes et de sang, de canons et de mitrailleuses, de lock-out et de licenciements, de butin de guerre et de protectionnisme.

La saga des Agnelli, l'histoire centenaire de Fiat, est grande et terrible. Dans le bien et dans le mal, une histoire d'Italie. «Il n'y a pas de tournant dans notre histoire récente sans que l'on retrouve son nom [Agnelli], d'une façon ou d'une autre: depuis le nouveau cours réformiste de Giolitti [président du Conseil à de nombreuses reprises entre 1892 et 1921] au début du XXe siècle à la mobilisation militaire pendant la première guerre mondiale, de l'occupation des usines [en 1920 à Turin, Gênes, Milan] à l'avènement de Mussolini, du renversement du régime fasciste [1943] aux pressions anglo-américaines pour une restauration modérée [1943-1944] .»  (Valerio Castronovo, Giovanni Agnelli, Ed. Einaudi)

Fiat naît comme Fabrique Italienne d'Automobiles Turin [Fabbrica Italiana di Automobili Torino] le 1er juillet 1899, quatre ans avant que Henry Ford crée sa société à Dearborn dans le Michigan. Le fondateur est Giovanni Agnelli, grand-père de l'Avocat [l'actuel patron de Fiat], né à Villar Perosa, pas très loin de Pinerolo. Agnelli est l'héritier d'une famille de la haute bourgeoisie piémontaise, qui semblait destiné à une brillante carrière militaire. Mais cette Fiat née dans la dernière année du siècle et fondée avec le comte Emanuele Bricherasio di Cacherano - «un noble excentrique turinois à la recherche d'investisseurs» - devait représenter le tournant dans sa vie et dans son destin, de simple officier de cavalerie à capitaine d'industrie à la poigne de fer. En effet, à l'administrateur délégué Giovanni Agnelli ne manquaient ni absence de scrupules, ni talent, ni énergie, ni argent. La petite usine turinoise décolle immédiatement, «pratiquement depuis le début, Fiat devient fameuse pour le talent et la créativité de ses techniciens et les affaires ne tardent pas à prospérer», comme l'écrit Alan Friedman dans son Tutto in famiglia (Ed. Longanesi).

L'arrivée de Valletta

En 1903, la société produit seulement 103 petites voitures et avec des moteurs à capacité limitée; mais, déjà à partir de 1906, la production est multipliée par huit, 30 voitures sont déjà exportées en Angleterre. Giovanni Agnelli a pratiquement déjà phagocyté les autres associés, «en partie grâce à la sortie de ses ex-associés, en partie grâce à des manúuvres suspectes d'actionnaires».

En effet, en 1908, un gros scandale secoue Fiat, obligeant Giovanni Agnelli et tout le conseil d'administration à démissionner. Et pas pour des cacahouètes. «Le procureur de Turin accusait Agnelli et associés - c'est toujours Friedman qui raconte - d'une série de délits financiers, y compris la diffusion d'informations boursières faussement optimistes afin de faire remonter le cours des actions Fiat, manúuvres boursières frauduleuses, falsification du bilan de 1907, avec l'objectif de s'enrichir aux dépens des petits actionnaires.»

Un procès, naturellement sensationnel à l'époque, eut lieu: mais, bizarrement, Agnelli est acquitté en première et en deuxième instance; sa défense a été assurée par Vittorio Valletta, un nom dont par la suite on entendra beaucoup parler chez Fiat. Pour son acquittement, Agnelli (entre-temps nommé chevalier du travail par le même premier ministre en charge, Giolitti) est largement aidé par le gouvernement lui-même, dans la personne du ministre de la Justice Orlando. Ce dernier va jusqu'à envoyer une lettre au Parquet général de Turin en lui demandant d'accélérer l'instruction. De toute évidence, il s'agissait d'«une pratique insolite».

«Absence de délit», tel est le jugement définitif. Agnelli peut reprendre sa course. Et à pleine vitesse. Giolitti est son sponsor politique. Il y a une parfaite entente entre le fondateur de Fiat et le gouvernement: «nous les industriels­ - disait-il - nous sommes des ministériels par définition».

L'envol de l'industrie mécanique piémontaise est marqué du sceau Fiat. Il s'agit d'un groupe d'entrepreneurs dynamiques, sans scrupule, «modernes».

Le patron des forges

En 1906, principalement sous l'impulsion de Giovanni Agnelli, naît la Ligue industrielle de Turin [Lega industriale di Torino]. Elle comprend 250 entreprises associées avec déjà 40'000 salariés en 1907. Les industriels de l'automobile s'organisent, en vue des luttes ouvrières qui se profilent à l'horizon.

La plus importante représentation syndicale est la Fiom [Fédération des employés et des ouvriers de la métallurgie; elle existe encore aujourd'hui]. Dans les usines métallurgiques de la région de Turin et, surtout, dans les établissements de Fiat est concentrée une classe ouvrière politisée et fortement syndicalisée.

Mais le patronat n'est pas moins organisé. «En 1991, les neuf sociétés du groupe automobile - écrit Castronovo dans l'ouvrage cité - disposaient d'un capital de 23,475 millions de lires, dont 14 millions contrôlés par Fiat, qui absorbait de larges couches de la main-d'úuvre spécialisée. Les 6500 ouvriers qui avaient trouvé du travail dans les usines automobile, fils et neveux des anciens "arsenaux" ou des immigrés récents des vallées piémontaires voisines, représentaient environ un quart des ouvriers turinois occupés dans la mécanique; et, parmi eux, plus de la moitié était constituée par des salariés de la société de l'avenue Dante [l'avenue où siégeait Fiat].»

Voilà la situation à la veille des premières grandes luttes ouvrières. Même si les ouvriers bénéficiaient de salaires plus élevés par rapport à d'autres catégories et représentaient une élite «privilégiée», les conditions à l'intérieur de l'univers Fiat sont au-delà du supportable. Exploitation pure de la part des patrons des forges.

Giovanni Agnelli a les gants blancs et la poigne de fer. La Ligue industrielle - même si elle dispose de règles «assez efficaces» (par exemple le lock-out contre les grèves générales et l'interdiction d'embaucher les grévistes de la part des entreprises membres) - ne lui suffit pas. De sa propre initiative il crée, en 1911, le Consortium des usines d'automobiles, qui veut imposer un contrat fixant, entre autres, l'abolition des commissions internes des entreprises, la faculté de licencier sans préavis, la suppression de toute tolérance par rapport à l'horaire de travail. En échange des mains libres et du contrôle complet sur les ouvriers, le Consortium offrait une petite augmentation salariale, la réduction de l'horaire de travail hebdomadaire de 70 heures à 55 heures et demie et le "samedi anglais".

Grèves et lock-out

Les ouvriers n'acceptent pas, ils désavouent l'accord qui a été malheureusement signé par la Fiom. Le 18 janvier 1912, ils déclenchent une grève très dure, qui durera 64 jours. Elle se terminera par un compromis. L'année suivante, confronté à une autre grève déclarée le 13 mars 1913, Fiat, avec les autres patrons de la branche, décide «le lock-out de tous les établissements de l'industrie métallurgique et mécanique». Extrême dureté, conditions inacceptables. Fiat le peut.

En effet, les bonnes années ont déjà commencé. La guerre demande du sang, mais c'est de la manne pour les caisses de Fiat. L'attaque traîtresse contre la Libye [1911] - déclenchée tout particulièrement afin de permettre à Giolitti d'une position dans le concert des nations qui ont du poids - et marquée par le bombardement de Tripoli, des massacres d'Arabes et l'envoi à la mort des fusiliers alpins dans le sable du désert, tout cela constitue une magnifique occasion pour le seigneur de l'automobile.

Grâce à ses entrées auprès de Giolitti, les commandes de guerre à Fiat pleuvent: véhicules et équipements militaires et aussi, à cette occasion, e premier moteur d'avion de 50 chevaux.

Pendant que les civils arabes et les soldats italiens meurent sans en connaître les raisons, les camions légers de Fiat, particulièrement aptes pour le désert libyen, feront un joli effet: les modèles 15 bis, le 15 ter et 18 bl et, surtout, le 18 blr, destiné au transport du matériel nécessaire à l'organisation d'un siège et aux sections de l'artillerie lourde.

L'épreuve positive en Libye représente le viatique, le laissez-passer pour une place de premier rang dans l'industrie de guerre: la première guerre mondiale, considérée comme le plus grand massacre de l'histoire, est désormais imminente. Fiat en est le premier bénéficiaire. Particulièrement appréciée est sa production en matière d'explosifs et, surtout, de mitrailleuses (100 exemplaires déjà produits lors des premiers mois de 1915).

Fiat est une vraie machine de guerre. En effet, depuis septembre 1915, Fiat fait partie des établissements «auxiliaires», Turin et ses usines métallurgiques étant considérées zone de guerre. Fiat fonctionne donc à plein régime en produisant des canons et des mitrailleuses et en imposant de nouveaux et meurtriers rythmes de travail et des mesures de contrainte plus étroites. A sa tête, écrit l'Avanti! [quotidien socialiste], dans une note du 27 avril 1916, «le chevalier Agnelli, prototype du moderne capitaliste sans scrupule et téméraire».

Les bénéfices furent très importants. Lorsque la première guerre mondiale se termine en 1918, on compte en Europe 9 millions de morts et 6 millions de blessés. Mais, pour Fiat, cette période a été fantastique. En Italie sont appelés aux armes 5'900'000 hommes (600'000 morts, 6000 disparus, 1 million de blessés). Les dépenses de guerre correspondent à 76% du total des dépenses publiques. Douze mille pièces d'artillerie ont été produites, plus de 70 millions d'obus, 37'000 mitrailleuses et des millions d'avions. Le chiffre d'affaires de Fiat croît 80%; le nombre d'ouvriers se multiplie par dix (de 4000 à 40'000) et son capital passe de 17 millions en 1914 à 200 millions en 1919. A la fin de la guerre, la société de l'avenue Dante a passé de la trentième place à la troisième dans la hiérarchie des industries nationales.

Des gardes aux entrées

Le «butin de guerre» et les «surprofits de guerre» constituent aussi un chapitre de l'histoire de Fiat. Il y aura des scandales, des bruits dans la presse, des dénonciations et la tentative de mettre sur pied une commission d'enquête: mais Fiat s'en fiche (du reste, il y aura un providentiel acte d'amnistie). Fiat est désormais une puissance économique caractérisée par de fortes connotations «patriotiques», grâce à la meurtrière efficacité de ses nouveaux engins de guerre, sa mitrailleuse en premier lieu et l'avion rapide de reconnaissance, le «Dieu moteur qui nous amena sur Trento», comme célébrait le poète D'Annunzio.

«Battre sur la durée les Conseils ouvriers», tel est le mot d'ordre d'Agnelli à partir de 1919. Et il y arrivera. En 1920, il mobilisera les gardes blanches [milice privée] pour protéger les établissements Fiat. Les ouvriers et les syndicats sortent vaincus de la période des occupations des usines. Les escouades fascistes, financées par Agnelli et ses amis, ont déjà commencé à mettre le feu aux Chambres du travail [en 1922, Mussolini marchera sur Rome].

«Gigantesque appareil industriel, qui correspond à un petit Etat capitaliste..., et impérialiste, parce qu'elle dicte la loi à l'industrie métallurgique turinoise, parce qu'elle a la tendance, avec sa productivité exceptionnelle, à abattre et à absorber ses concurrents; un petit Etat absolutiste avec un autocrate: le commandatore Giovanni Agnelli, le plus audacieux et tenace des capitaines d'industrie italiens, un "héros" du capitalisme moderne.» (Gramsci, in L'Ordre Nouveau, mars 1920)

L'Empire frappe à nouveau

En mars 1923, Giovanni Agnelli - le grand-parent de l'Avocat - est nommé sénateur du Royaume, «seul parmi les grands industriels italiens à bénéficier du laticlave [la large bande de pourpre appliquée sur la tunique des sénateurs à l'époque romaine] lors de la première fournée du nouveau régime». Il semble bien avoir mérité ce titre du moment que «le "Duce" sait qui est l'honorable Agnelli», un qui «a donné beaucoup à la propagande fasciste en soutenant des journaux représentant la plus haute expression du fascisme».

En effet, pour Fiat, Mussolini sera un véritable homme providenciel. Désormais, le mouvement d'occupation (119 entreprises de tous les secteurs ont été occupées et dans presque 90 établissements avaient été créés des Conseils d'usine en 1920) vaincu (par Agnelli et les premières escouades fascistes), les commissions internes écrasées et 2600 ouvriers éjectés (communistes, socialistes, syndicalistes) par le biais des licenciements, la voie est désormais libre pour «le plus parfait établissement de style américain».

Quelques années plus tard, le Seigneur de l'Automobile dira: «Le temps sinistre de la subversion destructrice, qui chez nous culmina avec l'épisode tragique de l'occupation des fabriques, est révolu pour toujours. Pendant ces jours, on pouvait penser avoir construit sur le sable les édifices les plus solides du travail... Mais arriva Mussolini, le libérateur et le reconstructeur, et l'Italie qui ne pouvait pas mourir fut toute avec lui.»

La main du régime

Tout ce que Fiat demande au gouvernement, elle l'obtient. Rapidement, comme demandé par Agnelli et ses amis, la question délicate de la taxation des surprofits de guerre est laissée de côté. La «pacification» sociale, comme elle est appelée, peut se faire en prenant les contours d'une écrasante revanche des industriels, de la marginalisation des syndicats, de l'affirmation du corporatisme ayant pour fonction la rupture de l'unité de classe. Cette «pacification» peut procéder à l'intérieur de l'usine, jour après jour, en s'appuyant sur les licenciements et les réengagements à des conditions inférieures. Enterrées les mesures de confiscation des surprofits de guerre, abrogée la loi sur l'attribution nominale des titres mobiliers [avec les conséquences fiscales pouvant en découler] déjà à partir de novembre 1922, arrive peu après l'allègement des impôts sur la richesse mobilière. La collaboration entre le régime et les industriels est fixée dans le Pacte de Palazzo Chigi [du nom du palais où siège le gouvernement italien] à partir déjà du 19 décembre 1923. On ne perd pas de temps.

Agnelli a octroyé de l'argent et il a élargi la bienveillance au Faisceau local - et face à la crise politique liée à la répression de Matteotti [leader du Parti socialiste enlevé et tué par les fascistes italiens], il a lui aussi respecté de manière rigoureuse le «silence des industriels» - évidemment pas de façon gratuite. Parmi les bénéfices immédiatement réalisés par la maison turinoise grâce au nouveau régime, on peut citer (grosso modo): l'absorption de la Spa qui a lieu au courant du mois de septembre 1924; le projet d'électrification des chemins de fer de la ligne Milan-Gênes; la participation de Fiat à la Sip aussi dans le secteur téléphonique; la conclusion de négociations pour l'incorporation de la société aéronautique Ansaldo; et, surtout, la construction d'une autre grande aciérie Martin-Siemens.

On peut également citer «la bienveillante audience du gouvernement pour le traitement douanier de faveur dans le renouvellement du traité commercial italo-allemand; les négociations d'Agnelli avec Mussolini et Ciano [haut dirigeant fasciste] en février 1925 pour l'adjudication à Fiat des lignes de chemins de fer subventionnées de la Haute Mer Tyrrhénienne, déjà propriété d'Ansaldo; l'entrée du groupe turinois dans le Consortium des Forges Nationales protégé par des droits protectionnistes...».

Bref, un plus que rentable do ut des [forme d'échange dans l'Antiquité] Et c'est en date du 26 octobre qu'est constituée la Société d'Edition La Stampa, «le quotidien tombait ainsi sous le contrôle direct, politique et administratif, du sénateur [Giovanni Agnelli])».

Les affaires marchent donc très bien. Après la Fiat 501 sort la 509, un nouveau modèle d'automobile utilitaire. C'est l'année 1925 «et le chiffre d'affaires arrive en cette année à la somme de 1,260 milliard de lires, un chiffre d'affaires supérieur à celui de n'importe quelle autre entreprise mécanique européenne».

Mais la situation n'est pas rose pour tout le monde. Par exemple ne vont pas très bien - mais ce n'est pas une nouvelle - les 35'000 ouvriers de Fiat. Sur la toile de fond des manúuvres pour la réévaluation de la lire, pendant que le gouvernement fasciste décide par décret la diminution de 10% des salaires, Agnelli coupe dans les effectifs et réduit l'horaire de travail: le nombre des ouvriers baisse à 30'000, puis à 23'000. Cependant, les profits ne cessent d'augmenter. Pendant les mêmes années, Fiat empoche des centaines de millions de lires (de l'époque!) qui sont soustraits avec habileté au Trésor. Fiat obtient des réductions fiscales supplémentaires et, plus important, elle encaisse les bénéfices de la première grande mesure protectionniste.

En effet, il y a le danger réel que Ford débarque en Italie avec ses voitures. Agnelli prend donc des mesures: voilà que Mussolini en personne approuve une loi extraordinaire, laquelle, «en englobant l'industrie automobile parmi les activités d'intérêt national», empêche la vente de voitures qui n'ont pas été intégralement fabriquées en Italie.

Protectionnisme

Il ne s'agit là que d'un premier pas, l'intégralité du commerce extérieur deviendra un domaine corporatiste dans l'intérêt exclusif des grands groupes industriels, Fiat en tête. L'époque des primes à l'exportation et du strict contingentement des importations est inaugurée. Pour le profit maximum du Seigneur de l'Automobile, le modèle Balilla - qui sort au courant du mois d'avril 1932 - est gracieusement exempté de taxes (c'est-à-dire qu'elle ne paie pas la taxe de circulation) pendant plus d'une année. La première autoroute Turin-Milan, réclamée par Fiat, est construite même si elle saigne à blanc les caisses de l'Etat. Les taxes sur certains produits étrangers, par exemple les automobiles, montent jusqu'à 200%. De plus, Agnelli ne manque pas d'exprimer des remontrances à l'égard du gouvernement à cause de la relance promise des chemins de fer...

En définitive, en très peu de temps, le régime fasciste signifie pour Fiat la conquête d'une économie de monopole, la «cartellisation» forcée du marché.

Mais cette condition n'empêche pas Fiat de licencier et de comprimer les salaires (aussi par le biais de l'introduction du tristement célèbre système Bedaux, un outil d'exploitation très poussé). «A la fin de 1930, les salaires de tous les ouvriers italiens - écrit Valerio Castronovo - sont réduits de 8% d'autorité. Mais, déjà depuis quelques mois, Fiat avait procédé à des licenciements massifs. Avant la fin de l'année, 3000 ouvriers sont éloignés de la Section Automobiles, 400 autres de la Spa; et des noyaux pas moins importants subissaient le même sort dans d'autres établissements de la maison turinoise, contribuant à grossir les rangs du chômage, qui dépassera à Turin, en peu de mois, le chiffre de 30'000 personnes.»

Les mitrailleuses pour la campagne d'Abyssine [1934] remplissent les carnets de commandes. Au cours de cette campagne sont aussi employés les avions C32 et les tout nouveaux camions appelés, par la suite, les «autocars de la victoire». Ce matériel servira aussi à appuyer Franco pendant la guerre d'Espagne. La production matériel militaire pour la deuxième guerre mondiale, qui est désormais à l'horizon, fait tourner Fiat.

Déjà en septembre 1939, «Agnelli avait envoyé Valletta à Rome pour assurer le "Duce" que, dans l'éventualité de la mobilisation, la production de voitures de petite cylindrée aurait pu être intégralement convertie en production militaire d'ici à six mois».

«Paolo Ragazzi, qui a été le dirigeant de Fiat pendant l'époque fasciste et le proche collaborateur tant d'Agnelli que de Valletta - écrit Alain Friedman - a évoqué les rencontres avec des officiels de la Wehrmacht à Turin, les nombreuses visites dans l'Allemagne nazie, et l'importance que Fiat donnait à ces contacts. Mais, soulignait Ragazzi, Agnelli et Valletta cherchaient à faire des affaires avec tout le monde, depuis les nazis jusqu'aux Français. Et il est vrai que, pendant la guerre, Fiat garda des contacts avec les nazis, les fascistes, les alliés, la Résistance. Il n'y avait pas de temps pour les scrupules et les idéologies. Les affaires étaient les affaires, et rien n'était plus important que les profits de l'entreprise.»

Les affaires de guerre du genre «ciel, mer et terre»

Ce sont les ouvriers, soumis avec des horaires brutaux et des salaires de famine à la production de guerre, qui donnent le signal de la révolte. «Le matin du 5 mars 1944 à la Fiat Mirafiori [le site industriel «historique» de Fiat aussi au niveau des luttes ouvrières] commençait la grève. Dans tous les ateliers, le travail s'arrêtait et les ouvriers se regroupaient: "Nous voulons les indemnités de vie chère! Nous voulons vivre en paix!"» Puis, le 16 août, l'armée ouvre le feu contre les ouvriers de Fiat Grands Moteurs, lesquels avaient été les premiers à déclencher «la grève de la paix»: sept travailleurs sont blessés. Le jour suivant, 7000 travailleurs croisent les bras pour protester et ensuite les grévistes deviennent 35'000. Dans Turin occupée par les nazis, les travailleurs de Fiat font la grève aussi le 1erdécembre 1944, sous les fusils des hommes du général des SS Zimmermann qui menace de dures représailles. Une page glorieuse d'une grande classe ouvrière.

Le département «relégation»

Une fois la libération arrivée, Agnelli et Valletta subiront une sentence d'épuration [mise à l'écart ou emprisonnement des collaborateurs du régime fasciste] émise par le Cln [Comité de libération national]. Mais quelques mois après, sous la pression des Alliés, tout se termine en beauté. Agnelli et Valletta retrouvent leur place.

Les temps changent mais pas les méthodes. «Avec le début de l'année 1953 commencèrent à arriver des petits groupes d'ouvriers, et l'atelier eut son sigle, Osr [Atelier subsidiaire rechanges]. Ce qui frappait immédiatement était la couleur des nouveaux arrivés: tous rouges [tous de gauche], y compris les contremaîtres, en provenance des différentes sections de Fiat. Les journaux de gauche commencèrent à parler de l'Osr et la Chambre du Travail dénonça la création d'un "département de relégation", spécifique à l'entreprise.» L'histoire de l'Osr, Atelier subsidiaire rechanges, devient à partir de ce moment l'histoire de l'Osr [Officina Stella Rossa, par référence au secteur d'ouvriers qui à la fin de la guerre n'ont pas accepté la pacification  et l'union nationale imposées par le PCI]. Cet atelier symbolise la longue histoire de la chasse au communiste, au socialiste, au syndicaliste qui s'est faite derrière les grilles de l'Usine-Mythe. Trente-cinq plus tard, l'histoire se répéta: licenciements, ostracisme et mise en fiche des rouges; syndicat maison [dès le début des années 1950, le syndicat dominant est un syndicat lié à la direction]; mise au chômage technique en permanence pour moduler l'emploi et la production... Au cours des années 1960, 70 et 80, Fiat est devenu un empire. Un groupe qui contrôle un quart du total de la capitalisation boursière italienne. Le groupe Fiat compte 569 sociétés contrôlées, 190 associées et opère dans 50 pays. Fiat est spécialisé dans le domaine «privatisation des profits, socialisation des pertes».

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