Irak-Etats-Unis Les occupants de l'Irak soupçonnés de perdre contact avec la réalité Robert Fisk* La culture du secret gagne les autorités anglo-américaines d'occupation de l'Irak. Elles ne veulent effectuer aucun dénombrement des pertes civiles irakiennes quotidiennes. Dans The Indpendent on Sunday (p.13, 21 septembre 2003)), Robert Fisk écrit: «Au moins, 10000 civils irakiens ont été tués depuis que Bagdad a été «libéré» le 9 avril». Le 23 septembre, la BBC annonçait que le nombre de militaires américains (hommes et femmes) rapatriés aux Etats-Unis pour cause de blessures graves s'élevait à 6000. Les autrotiés américaines ne veulent faire aucun commentaire sur le fait qu'un soldat américain a tué l'un de leurs interprètes irakiens jeudi 18 septembre 2003 - victime d'un tir mortel sous les yeux du diplomate italien qui était conseiller officiel auprès du nouveau ministre irakien de la culture. Et elles ne peuvent expliquer comment il est possible que le général Sultan Hashim Ahmed, ancien ministre irakien de la défense et criminel de guerre potentiel, puisse être à l'heure actuelle présenté par l'un des plus anciens officiers américains en Irak comme «un homme d'honneur et d'intégrité.» Jeudi dernier, à la suite d'une triple embuscade qui démolit un camion militaire et un véhicule tout terrain américain à cent-cinquante kilomètres à l'ouest de Bagdad, il a été fait état qu'au moins trois soldats américains avaient été tués et trois blessés. Les Irakiens sur place affirment qu'il y eut huit morts. Toutefois, quelques heures plus tard, les autorités d'occupation affirmaient qu'il y avait eu exactement le même nombre de tués et de blessés au cours d'une attaque d'envergure contre des Américains à Tikrit. Seuls deux soldats furent blessés dans l'attaque précédente, dirent-ils. Et hier, pour la seconde journée consécutive, le système de téléphonie mobile utilisé par MCI pour les forces d'occupation a lâché, ce qui eut pour effet d'isoler l'Autorité intérimaire de la Coalition (CPA) de ses ministères et des forces américaines. Un nombre croissant de journalistes présents à Bagdad soupçonne maintenant le proconsul Paul Bremer [le patron de la CPA] et ses centaines d'assistants - confortablement installés sous très haute garde dans l'ancien palais présidentiel de Saddam Hussein - d'avoir tout simplement perdu le contact avec la réalité. Bien qu'une enquête sur la mort [suite à un tir d'arme légère] de l'interprète irakien ait été promise hier, certains détails de l'incident laissent penser que les troupes américaines ont maintenant carte blanche pour ouvrir le feu sur des véhicules civils irakiens, sur simple soupçon d'hostilité potentielle de leurs occupants. Pietro Cordone, le diplomate italien que Bremer avait engagé comme conseiller spécial du ministre irakien de la culture, se rendait à Mossoul avec sa femme Mirella quand leur voiture s'est approchée d'un convoi américain. Selon M. Cordone, il semble qu'un soldat qui disposait d'une mitrailleuse et se trouvait dans le véhicule assurant la fermeture du convoi ait fait signe au chauffeur de M. Cordone de ne pas essayer de doubler la colonne. Le chauffeur ne le tenta pas. Cependant le soldat tira sur la voiture un seul coup qui traversa le pare-brise et toucha l'interprète assis dans le siège du passager avant. Quelques minutes plus tard, l'homme mourait dans les bras de M. Cordone. Le diplomate italien rentra plus tard à Bagdad. Néanmoins, l'incident fut seulement rapporté parce que M. Cordone se trouvait être dans le véhicule. Tous les jours des civils irakiens sont blessés ou tués par des militaires américains en Irak. Il y a tout juste cinq jours, une femme et son enfant ont été tués à Bagdad par un soldat américain après que les forces états-uniennes ont ouvert le feu sur une cérémonie mariage, à l'occasion de laquelle [selon la tradition] des coups de feu étaient tirés en l'air. On rapporte qu'un garçon de 14 ans a été tué au cours d'un incident similaire il y a deux jours. Puis jeudi après-midi, plusieurs civils irakiens ont été blessés par des soldats américains après que les Américains se sont mis en embuscade à la sortie de la ville de Khaldiya. Deux véhicules au moins furent détruits et des témoins ont rapporté avoir vu des fragments humains sur la route après l'embuscade. Pourtant, 12 heures plus tard les autorités dirent que les Américains n'avaient eu que deux blessés - bien qu'il ait été tout d'abord fait état de trois morts américains et que des témoins aient dit que le nombre des morts s'élevait à huit. Puis arriva l'embuscade de Tikrit - pratiquement identique s'il faut en croire les autorités - pour laquelle fut donné exactement le même bilan: trois morts et deux blessés. A cette occasion-là, l'incident fut en partie filmé grâce à une caméra vidéo. Au cours d'un raid armé aux alentours de la ville natale de Saddam, les guérilleros attaquèrent non seulement les Américains qui menaient l'opération, mais également deux de leurs bases le long du Tigre. C'était selon un porte-parole américain une attaque «coordonnée«contre des soldats de la 4° division d'infanterie états-unienne. Jusqu'à 40 hommes «d'âge militaire» furent alors arrêtés. Au cours de ce qui doit être l'un des épisodes les plus extraordinaires de cette journée, le général Sultan Ahmad, ancien ministre de la défense irakien, est allé se livrer au major général David Petraeus - responsable du Nord de l'Irak - après que le commandant américain lui eut envoyé une lettre le décrivant comme «un homme d'honneur et d'intégrité». En contrepartie de sa reddition - du moins selon ce que déclare l'intermédiaire kurde qui avait arrangé son transfert vers les forces américaines - les Américains avaient promis d'effacer son nom de la liste des 55 Irakiens [le célèbre jeu de cartes] proches de Saddam les plus recherchés. J'ai vu le corpulent général Ahmed pour la dernière fois en avril 2003, brandissant une kalachnikov peinte en or, au ministère de l'information à Bagdad. Il faisait v™u de guerre éternelle contre les envahisseurs américains de son pays. C'est Ahmed qui a convaincu le général Norman Schwarzkopf, maintenant à la retraite, d'autoriser les forces irakiennes défaites d'utiliser des hélicoptères militaires pour les «affaires officielles», après le cessez-le-feu conclu à Safwan en 1991 entre les USA et l'Irak. Ces hélicoptères furent, par la suite, employés dans la brutale répression des rébellions des Chiites musulmans [au sud de l'Irak] et des Kurdes contre Saddam. Ces rébellions avaient été encouragées par le père du président Geoge Bush. Après, on a beaucoup parlé de poursuivre le général Ahmed pour crimes de guerre, mais le général américain Petraeus semble avoir jeté cette idée à la poubelle. Sa lettre tellement extraordinaire à Ahmed - qui a précédé la reddition du général irakien et fut révélée par l'agence Associated Press - dépeignait le criminel de guerre présumé comme «le haut responsable militaire le plus respectable résidant actuellement à Mossoul» et promettait qu'il serait traité avec «la dignité et le respect les plus grands». Dans la même lettre - qui peut être étudiée par ceux qui enquêtent sur les crimes de guerre avec un mélange d'horreur et d'incrédulité - l'officier américain dit que «bien que nous nous trouvions dans des camps différents dans cette guerre, nous avons véritablement certains traits en commun. En tant que militaires, nous suivons les ordres de nos supérieurs. Il se peut que nous ne soyons pas nécessairement d'accord sur ce qui touche à la politique et l'administration, mais nous comprenons l'unité de commandement et le soutien à nos dirigeants dans une cause commune et juste.» Les Américains en sont actuellement arrivés là pour se concilier les hommes qui peuvent avoir de l'influence sur les combattants armés [guérilleros] irakiens qui tuent maintenant des soldats américains en Irak. Ce qui, à ce qu'on présume, est censé être perçu comme une geste de compromis, doit être compris, de manière beaucoup plus vraisemblable, comme un signe de faiblesse militaire - ce que c'est évidemment - et l'histoire aura à décider de ce qui se serait produit si des lettres semblables avaient été envoyées aux dirigeants militaires nazis avant la reddition allemande en 1945. Les historiens devront également méditer sur les implications du sens de «soutenir nos dirigeants dans une cause commune et juste.» Est-ce que Saddam et Bush sont censés être parmi ces «dirigeants»? 19 septembre 2003 *Robert Fisk est un des journaliste-essayiste les plus connus mondialement pour ses articles sur le Moyen Orient. Robert Fisk, qui vit au Liban, écrie régulièrement pour le quotidien britannique The Independent. Haut de page Retour
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