Irak-Etats-Unis L'amertume des Irakiens est considérée comme une menace plus dangereuse que le terrorisme Douglas Jehl, avec David E. Sanger* Cet article du New York Times met en relief combien, aujourd'hui, existe une résistance nationale, au sens d'un «ressentiment des Irakiens ordinaires» - avec des expressions politiques et militaires certes très différentes, pour autant qu'une partie d'entre elles soit l'expression directe de ce «ressentiment» - face à l'occupation américaine, britannique, polonaise, italienne et espagnole de l'Irak et face au pouvoir autocrate de Bremer. On est loin de la propagande de l'administration Bush, relayé par des journalistes béotiens ou complaisants, quand ce n'est pas les deux à la fois. réd. Selon des fonctionnaires du Département de la Défense [des Etats-Unis], de récents rapports des services de renseignement avertissent que l'ennemi le plus redoutable en Irak au cours de ces prochains mois pourrait être le ressentiment des Irakiens ordinaires, qui sont toujours plus hostiles à l'occupation militaire américaine. Cette appréciation, qui est partagée par la hiérarchie militaire en Irak, s'inscrit en faux contre les récentes déclarations des responsables de l'administration Bush, dont celles du secrétaire à la Défense Donald H. Rumsfeld, qui prétendait encore aujourd'hui que seuls "des jusqu'auboutistes, des terroristes étrangers et des bandes de criminels" s'opposaient encore à l'occupation américaine. Ces fonctionnaires du département de la Défense n'ont accepté de s'exprimer que sous couvert d'anonymat, car ils craignent des représailles s'ils s'écartent de la ligne officielle. Ils ont estimé que c'était une erreur de la part de l'administration de ne pas tenir compte du rôle des Irakiens ordinaires, qui n'ont pas grand-chose à voir avec les groupes cités par Donald Rumsfeld. En effet, la colère provoquée par la présence américaine pourrait les inciter à éprouver de la sympathie à l'égard de ceux qui attaquent les forces Américaines. D'autres fonctionnaires d'Etat du gouvernement des Etats-Unis pensent que ces préoccupations ont été motivées par un sondage effectué récemment en Irak par le service des renseignements du Département d'Etat. Les résultats de ce sondage, restés secrets, font état d'une importante hostilité à l'égard de la présence américaine. Les fonctionnaires expliquent que les signes de cette hostilité se manifestent bien au-delà du centre sunnite de l'Irak où se sont déroulées la plupart des attaques contre les forces américaines, et s'expriment y compris au sud du pays, à dominante chiite, où la population, pourtant plus favorable à la présence militaire américaine, a également élevé de vives protestations contre des raids et autres actions américaines. Les mêmes officiels expliquent que l'irritation des Irakiens suite à la pénurie d'électricité et d'autres services de base depuis le déclenchement de la guerre a été aggravée par des facteurs d'ordre culturel qui transforment en hostilité la colère provoquée par la présence militaire étrangère. "Pour beaucoup d'Irakiens, nous ne sommes plus les gars qui ont vidé Saddam, mais plutôt ceux qui enfoncent des portes et font irruption auprès de leurs épouses et leurs filles" avançait l'un d'entre eux. Cela n'a pas empêché Condoleeza Rice, la tête du Conseil de Sécurité Nationale et très proche du du président Bush, de rejeter l'idée que la présence de troupes américaines aurait suscité un important mécontentement parmi les Irakiens. Dans un entretien, elle a déclaré que les Etats-Unis faisaient des progrès même dans des régions comme Bagdad et Tikrit, où se trouvent les principaux centres de résistance, et ajoutait: "Même dans ces régions il y a des progrès. Les gens ont pu passer leurs examens, l'orchestre symphonique Irakienne joue à nouveau et organise une tournée au nord du pays. Les enfants sont retournés à l'école." Certains fonctionnaires américains indiquaient que selon les rapports des services de renseignement, l'opposition aux forces américaines en Irak allait probablement s'accroître avant de diminuer. D'autres trouvaient qu'il était imprudent de se lancer dans de telles prédictions, et d'autres encore énuméraient des éléments qui leur semblaient aller dans le sens d'une amélioration de la situation en matière de sécurité. Mais alors que le président Bush et les cadres de son administration décrivent le conflit en Irak principalement comme un champ de bataille dans la lutte contre le terrorisme, ces fonctionnaires d'Etat précisaient que les récents rapports des services de renseignements tendaient à décrire ce conflit surtout comme une insurrection dans laquelle les Irakiens ordinaires sont les principaux protagonistes. Un des fonctionnaires du gouvernement précisait encore: "Si les infrastructures ne s'améliorent pas et si les troupes américaines continuent à être partout, on voit mal comment climat dans la population pourrait s'améliorer avec le temps". Un autre, tout en acceptant les évaluations pessimistes des rapports des renseignements, disait être en désaccord avec certaines de leurs conclusions. Selon lui, le fait que les récompenses offertes en Irak pour mener des attaques contre les Américains ont augmenté récemment, atteignant $5'000, tend à démontrer que les opposants à l'occupation américaine ont plus de peine à recruter des complices. Il ajoutait que la quantité de renseignements et autres informations utiles fournies aux forces américaines étaient en augmentation, indiquant que de larges secteurs du public Irakien étaient prêts à coopérer. Pour contribuer à apaiser la colère contre les forces d'occupation menées par les Américains, M. Rumsfeld a répété aujourd'hui que les Etats-Unis espéraient accélérer la délégation des responsabilités concernant la sécurité en Irak à des officiers de police, des gardes frontière, des forces de défense civile et des soldats Irakiens entraînés par les Etats-Unis. Il a expliqué aux journalistes lors d'un rapport au Pentagone, que presque 60'000 irakiens sont actuellement en uniforme et que l'administration espère bientôt accroître leur nombre à environ 70'000, y compris plus de 10'000 ex-soldats irakiens qui suivent un entraînement pour pouvoir s'intégrer aux nouvelles forces de défense civile. Mais comme le soulignent les fonctionnaires de la Défense, l'assassinat lundi d'un officier de police irakien de rang élevé a mis en évidence les difficultés liées à cet effort, puisque les Irakiens travaillant avec les forces américaines risquent de devenir des cibles en tant que collaborateurs. Certains de ces fonctionnaires du Département de la Défense disent aujourd'hui que le rôle joué par des extrémistes étrangers, y compris des membres du groupe de résistance libanais Hezbollah, est de plus en plus inquiétant. Ils ajoutent que l'indication la plus importante de l'implication étrangère est apparue la semaine passée lorsque les forces américaines menées par la 101 Air Assault division près de la frontière Saoudienne ont arrêté, au cours de deux raids distincts, quelque 80 combattants étrangers, dont des Saoudiens, des Jordaniens et des Soudanais, munis d'argent et d'armes à feu. Mais ils ajoutent que les forces Américaines ont des difficultés à dépister et à venir à bout de ces combattants, tout comme des partisans de l'ancien dirigeant Irakien, à cause du soutien qu'ils trouvent au sein de la population. Selon Mme Rice, il serait "simplement naïf" de croire que l'Irak abrite aujourd'hui davantage de terroristes qu'avant la chute de Saddam Hussein. "C'est un peu comme si on imaginait que ces gens passaient leur temps à se réunir pour s'occuper de leurs petites affaires en buvant du thé" et qu'ils auraient tout à coup décidé de venir en Irak après l'entrée des militaires américains à Bagdad. "Ces gens sont des combattants, des djihadistes. Ils étaient certainement en train de se battre quelque part. Peut-être dans le Golfe, ou en Asie du Sud-est. Peut-être étaient-ils en train de se battre ou d'essayer de se battre aux Etats-Unis". Pendant une bonne partie de l'été, alors que les attaques contre les forces américaines en Irak se poursuivaient, M. Rumsfeld et d'autres cadres du Pentagone ont réfuté l'idée que les Etats-Unis avaient affaire à une guerre de guérilla en Irak. Ils n'ont cessé de s'opposer à cette désignation qu'après que le général John P. Abizaid, le nouveau commandant des forces américaines dans la région, eu publiquement parlé de ce conflit comme une "campagne classique de type guérilla". Les Américains constituent la très grande majorité de la coalition qui occupe actuellement l'Irak, et M. Rumsfeld et le général Abizaid ont dû publiquement admettre que cette prépondérance américaine pose un problème militaire puisqu'il fait des Etats-Unis une cible pour le mécontentement des Irakiens ordinaires. Les mêmes fonctionnaires concluaient qu'à moins d'un retrait rapide des forces américaines de l'Irak, hypothèse exclue par l'administration, les récents rapports des services de renseignement laissaient peu d'espoir que la résistance s'apaiserait à court terme. "Ça va être dur, et l'on voit mal quand il y aura des embellies, à supposer qu'il y en ait" commentait l'un d'entre eux. Plus de 70 personnes appartenant aux forces militaires américaines ont été tuées par des tirs hostiles depuis le 1er mai, date à laquelle l'administration a déclaré la fin des opérations de combat. * Publié dans leNew York Timesdu 17 septembre 2003. Haut de page Retour
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