Irak-Etats-Unis

Les difficultés pour Washington et Londres ne font que commencer

Gilbert Achcar,24 mars 2003

L'administration Bush s'est engagée dans cette guerre sans aucune certitude quant à son issue, en pariant à la manière d'un joueur de poker sur sa bonne étoile - ou sur la bienveillance divine, si l'on en juge par la dévotion religieuse qui est attribuée au président américain, un illuminé qui a tant de choses en commun avec Ousama Ben Laden.

Contrairement à la prudence élémentaire qui consiste à toujours prendre le pire en compte, Washington a fondé son action contre l'Irak, depuis le début, sur le pari arrogant d'une victoire facile, débouchant sur un contrôle du pays par des forces d'occupation accueillies en forces de libération. Une des clés de ce scénario, que la fraction pro-US de l'opposition irakienne a promis à qui voulait bien la croire, est un retournement de l'armée irakienne, qui deviendrait le point d'appui principal du nouveau régime inféodé à Washington.

Or les choses se sont déroulées bien différemment jusqu'à présent. La première raison en est que les difficultés politiques du tandem Bush-Blair, et surtout la formidable poussée du mouvement antiguerre sur le plan mondial, notamment en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, ont forcé Washington à retarder le déclenchement de l'offensive, et à renforcer encore plus son dispositif de peur d'une prolongation des combats. Le retard pris, notamment au regard des difficultés climatiques qui s'annoncent pour le mois d'avril, a précipité une offensive terrestre lancée presque simultanément avec les bombardements intensifs, alors qu'en 1991, Washington avait bombardé très intensivement l'armée irakienne pendant plus de cinq semaines avant d'engager les troupes au sol.

De ce fait, les forces du régime étaient encore disposées à combattre au moment où l'offensive terrestre a commencé - infiniment plus qu'en 1991, lorsque ceux qui avaient survécu aux bombardements étaient épuisés et hébétés, et se rendirent en masse aux troupes de la coalition. Pour sa part, la population irakienne a surpris les forces d'occupation par son attitude peu chaleureuse à leur égard, lorsqu'elle n'est pas franchement hostile. Ce que les dirigeants à Washington et Londres n'ont pas saisi, c'est que cette population qui a tant de raisons de haïr Saddam Hussein en a encore plus de les haïr: les Irakiens se souviennent de la façon dont la coalition les a livrés à Saddam Hussein en 1991 ; ils subissent encore les affres de douze années d'embargo génocidaire imposé par Washington et Londres, avec la complicité de leurs partenaires au Conseil de sécurité de l'ONU ; et comment pourraient-ils accueillir en libérateurs l'alliance du colonisateur britannique de la veille avec le sponsor de l'Etat d'Israël et principal oppresseur de la région… ?

La chute du régime de Saddam Hussein provoquera certainement le soulagement de beaucoup d'Irakiens, mais ils sont assez lucides pour se rendre compte du fait que l'occupation anglo-états-unienne n'est pas un sort enviable, et que Washington et Londres convoitent les ressources de l'Irak plutôt que de vouloir faire le bonheur de sa population. De ce fait, il sera probablement fort difficile à Washington de mettre en place un gouvernement irakien à sa dévotion, capable de maîtriser la situation intérieure irakienne au moyen de forces autochtones - même si les Etats-Unis établissent des bases militaires dans le pays pour une occupation à long terme, comme ils en ont l'intention. Et l'on sait à quel point il serait périlleux pour des troupes anglo-états-uniennes de stationner durablement à l'intérieur des villes.

Les difficultés pour Washington et Londres ne font que commencer. A nous, au mouvement antiguerre, de les aggraver considérablement de manière à faire payer très cher à George W. Bush, à Tony Blair et à tous leurs supporters, leur guerre d'agression. D'ores et déjà la bataille pour le retrait immédiat, total et inconditionnel des troupes de la coalition du territoire irakien s'annonce favorablement. Elle doit être combinée avec l'exigence d'élections libres et démocratiques, sans troupes d'occupation, pour la population irakienne, et de l'autodétermination pour la population kurde d'Irak - mais aussi d'Iran, de Syrie et de Turquie.

 

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