Irak-Etats-Unis

Les abris antiaériens de Bagdad sont un mausolée
pour les morts, pas un refuge sûr pour les vivants

Suzanne Goldenberg*

Sous le ciel jaune de la tempête de sable qui approche, les Irakiens se recroquevillaient hier en prévision d'un long siège imprévisible, obsédés par une seule certitude: quoi qu'il arrive, ils ne mettront pas les pieds dans les abris antiaériens de la ville.

Au milieu de l'atmosphère d'appréhension à Bagdad, ses 34 abris antiaériens sont des oasis de calme, aux portes desquels déchets et débris divers s'accumulent. Certains sont même dotés de gardiens résidents, mais il n'y avait aucun signe d'Irakiens qui y chercheraint refuge ni de symptômes de panique. La structure de ces abris est impressionnante, des murs de béton et d'acier de deux mètres d'épaisseur dépassant du sol, équipés de systèmes de ventilation et d'air conditionné, de lits superposés par trois, génératrices électriques, douches et nourriture pour 2000 personnes.

Ces abris avaient été commandés à la Finlande dans les années 1980, pendant la guerre contre l'Iran, avec des portes d'acier épais construites pour résister à des bombes conventionnelles, à des armes chimiques et également aux retombées radioactives d'une attaque nucléaire.

Les Irakiens les considèrent comme des pièges mortels. "Pourquoi devrions-nous aller là -dedans?", demande Lena qui habite à environ 300 mètres d'un abri. "Voulez-vous nous voir suffoquer et brûler?".

La confiance dans la défense civile de la ville s'est évaporée en une seule nuit durant la guerre du golfe de 1991 quand une bombe guidée par laser s'est percé un chemin à travers le toit de béton de l'abri de Amariya dans la partie ouest de Bagdad et y a incinéré les plus de 400 Irakiens qui s'y étaient réfugiés. 14 seulement ont survécu.

L'abri d'Amariya a été transformé en un mausolée pour honorer les victimes. Il a été remis à neuf ces dernières semaines alors qu'un nouveau bombardement par les Etats-Unis menaçait, et un guide fait visiter en signalant les taches sombres sur le béton marquant l'emplacement des personnes tuées.

"Elles datent d'il y a 12 ans, mais le sang est resté frais jusqu`à aujourd'hui parce que ce sont des martyrs", nous dit Intesar al-Samarie.

Les souvenirs en tout cas sont restés vivaces. Tandis que les riches claquent leur argent dans des chambres blindées portatives, recommandées par la publicité à la TV, les pauvres, eux, ne vont probablement pas surmonter leur terreur des abris malgré la tentation de la nourriture, de l'électricité et de l'eau dont ils sont dotés. "Personne ne va dans les abris,"nous dit Madame Samarie. "C'est tout à fait exclu. Beaucoup de gens pensent que Bush refera la même chose."

Alors que l'ultimatum de George Bush touche à sa fin, les gens s'activent frénétiquement pour préparer le nécessaire. Les profiteurs ont pu en profiter. En une nuit, le prix de l'eau minérale a doublé. Le rationnement du pétrole est entré en vigueur.

Les écoles et les universités ont fermé. Les rues sont vides, les magasins ont baissé leurs stores. Certains n'ont pas ouvert du tout mais ont été vidés pendant la nuit par des commerçants nerveux.

Les rares sourires qu'on peut voir, appartiennent aux changeurs qui font de fameuses affaires. Même les soldats en uniforme vendent leurs billets irakiens tout fripés faisant monter le prix du dollar de 2500 dinars il y a encore quelques jours à 2950 dinars.

Les quelques rares militants pacifistes restés à Bagdad distribuent des tracts pour une dernière manifestation. Les ministres du gouvernement irakien ont abandonné leurs élégants complets pour s'habiller en uniformes verts-olive.

Les chefs locaux du parti Baas ont été mis en service 24h sur 24, chargés de faire respecter le couvre-feu qui descend sur la ville à la tombée de la nuit. Des petits groupes de soldats sont postés aux carrefours et auprès des piles de sacs de sable installées par ci par là, semble-t-il plus pour faire respecter le couvre-feu que pour défendre la ville.

"Tous ceux qui ont une tâche de défense peuvent rester dehors, mais les autres gens doivent rester chez eux", nous dit Khalil Shia Ibrahim, un vétéran du Baas qui a la charge de 1000 foyers du quartier de Habibiya, soit près de 8000 personnes. "Entretemps, la plupart des gens devraient avoir accumulé des réserves de nourriture pour trois ou six mois. Ils n'ont donc pas besoin de sortir du tout."

Il nous a déclaré que les hommes de son district, un quartier pauvre situé dans la banlieue nord de la ville, étaient préparés à toutes les éventualités et que des Kalachnikovs avaient été distribuées aux membres sûrs de la section locale du Baas qui ont reçu une formation rudimentaire au combat rapproché.

Les adolescents ont été enrôlés pour distribuer des médicaments, apporter des premiers secours, et transporter des messages si le téléphone n'est plus utilisable.

Mais, tandis que Monsieur Ibrahim parcourait mentalement la liste des préparatifs qui lui incombent en tant que responsable de guerre de son quartier, il n'a pas pris la peine d'envisager de recommander de descendre dans les abris. -  20 mars 2003

* Suzanne Goldenberg couvre l'actualité pour le quotidien depuis Bagdad.

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