Irak-Etats-Unis Bagdad: une clé pour le contrôle du Moyen-Orient La «Libération de l'Irak» en perspective Ahmad Faruqui* L'Irak - le berceau de la civilisation et le siège légendaire du califat abbasside - est sur le point d'être libéré pour la seconde fois en moins d'un siècle. La campagne militaire actuelle représente un tournant majeur dans son histoire et peut-être dans l'histoire du Moyen-Orient et aussi dans l'histoire mondiale. Les historiens futurs jugeront comment les Irakiens vont accueillir les nouveaux libérateurs. Toutefois, les historiens ont déjà établi leur jugement sur la première libération. Le 11 mars 1917, le lieutenant-général Sir Stanley Maude et son armée anglo-indienne sont entrés dans Bagdad. La campagne militaire pour envahir Bagdad s'effectuait dans le cadre de la première guerre mondiale. Elle semblait ne pas posséder d'objectifs stratégiques clairs, si ce n'est d'accomplir le désir du nouveau premier ministre de s'emparer de la cité légendaire des Mille et une nuits. Avec le recul, l'invasion de l'Irak a permis au gouvernement de Lloyd George [le premier ministre susmentionné] d'ouvrir la voie pour envahir la Palestine, la Syrie et le Liban. La campagne était le produit du cerveau de Sir Mark Sykes du Bureau des affaires arabes à White Hall [affaires étrangères de l'empire britannique], un novice ayant moins de deux ans d'expérience gouvernementale. Sir Mark demanda au général Maude de lire une proclamation remplie de «phrases ronflantes sur la libération et la liberté, sur le passé glorieux et la grandeur future», selon ce qu'écrit l'historien britannique David Fromkin (A Peace To End All Peace, Avon Books, 1989). Le commandement général rassurait ainsi le peuple d'Irak: «Nos armées n'arrivent pas dans vos villes et vos campagnes comme des conquérants ou des ennemis, mais comme des libérateurs.» Il continuait ainsi: «O peuple de Bagdad, rappelle-toi que pendant 26 générations tu as souffert sous le joug de tyrans étrangers qui se sont efforcés d'opposer un clan arabe contre un autre, afin qu'ils puissent profiter de vos oppositions.» (Cité par Stephen Fidler, Financial Times, 14 mars 2003.) Il s'est avéré difficile de gouverner l'Irak et le général Maude s'est trouvé placé dans la position malaisée de devoir prêcher en faveur d'un gouvernement propre [irakien], tout en minant pratiquement cette perspective. Il envoyait des télégrammes à Londres, expliquant que les conditions locales ne permettaient pas d'employer des Arabes à des postes de responsabilité: «Avant qu'une véritable façade [sic] arabe puisse être appliquée sur l'édifice, il semble essentiel que les fondations de la loi et de l'ordre puissent être bien et vraiment implantées.» Ce que le général Maude avait découvert, c'était que la Mésopotamie constituait une région où 75% de la population était tribale «avec aucune tradition préalable d'obéissance à aucun gouvernement» et aussi une région avec une longue histoire de combats pour le pouvoir entre chiites et sunnites. Des rumeurs permanentes, des troubles constants, des tueries répétées ont brisé les nerfs des Britanniques. Trois jeunes officiers de l'armée furent tués au Kurdistan en 1919. Un représentant expérimenté envoyé par le gouvernement des Indes pour les remplacer fut assassiné un mois plus tard. Six officiers britanniques furent tués au printemps 1920. Plus tard, deux administrateurs civils furent enlevés et assassinés. Le désert irakien offrait un terrain pour toutes sortes de razzias, et un officier britannique était conduit à croire que la seule façon de dompter les tribus rebelles était «un massacre d'ampleur». Le chaos ne cessa de croître dans les mois qui suivirent. Les postes militaires furent attaqués, des officiers britanniques tués, ainsi que leurs hommes de liaison, dans la région de l'Euphrate. Le colonel Gerald Leachman, un officier britannique de haut rang, reçut une balle dans le dos et fut tué sur les ordres d'un chef de tribu qui le recevait, à l'occasion d'une réunion des représentants de diverses tribus. La nouvelle de son assassinat provoqua une vague de soulèvements des tribus tout le long de l'Euphrate et au nord et à l'ouest de Bagdad. Au cours de l'été 1920, un ancien jeune officier du Bureau des affaires arabes au Caire, devenu une célébrité, le colonel T. E. Lawrence, faisait le commentaire sarcastique suivant: «Les Turcs avaient été de meilleurs dirigeants.» Il affirma que les Turcs avaient utilisé 14'000 conscrits locaux en Irak et avaient tué en moyenne annuelle 200 Arabes pour maintenir la paix. Par contre, les Britanniques avaient déployé 90'000 hommes, avec des avions, des chars blindés, des navires de guerre et des trains blindés, et avaient tué près de 10'000 Arabes au cours du seul soulèvement de l'été 1920. Le 7 août 1920, The Times [le quotidien impérial britannique] demandait de savoir: «Combien de temps encore des vies précieuses devront être sacrifiées pour l'objectif vain d'imposer sur la population arabe une administration élaborée et coûteuse qu'elle n'a jamais réclamée et dont elle ne veut pas!» La révolte fut écrasée en février 1921, mais la Grande-Bretagne comptait 2000 victimes, dont 450 morts. Plusieurs tentatives furent faites pour analyser la révolte mystérieuse qui s'était développée dans le désert d'Irak, cela dans la mesure où les Britanniques avaient reçu l'information selon laquelle les Arabes apprécieraient la domination britannique. Reconnaissant sa totale ignorance sur la population locale, un officiel affirmait que l'ennemi face auquel se trouvaient les Britanniques était «une anarchie, plus du fanatisme, sans aucun aspect politique». Les provinces mésopotamiennes de Bagdad et Bassorah furent les premières à être prises par les Britanniques à l'Empire ottoman. Au cours de l'automne 1917, le général Sir Edmund Allenby a envahi la Palestine et, le 11 décembre, lui et ses officiers sont entrés dans la ville sainte de Jérusalem par la porte de Jaffa. Le premier ministre Lloyd George considérait cela comme un cadeau de Noël et écrivit que la chrétienté avait repris «possession de ces lieux saints». Le général français Henry Gouraud entra à Damas en juillet 1920. Après avoir frappé sur le tombeau de Saladin, Gouraud s'écria: «Réveille-toi Saladin, nous sommes de retour. Ma présence ici consacre la victoire de la croix sur le croissant.» En quelques années, les Arabes se soulevèrent en Palestine et se rebellèrent en Irak, et cela à un moment très fâcheux, quand l'économie de l'empire britannique s'écroulait et lorsque les ressources et l'énergie de la Couronne devaient être mobilisées pour la soutenir. Un Winston Churchill exaspéré, qui avait repris la responsabilité de la politique coloniale britannique dans le Moyen-Orient, faisait savoir au gouvernement britannique qu'il était en train de dépenser des millions pour avoir le privilège de s'asseoir sur un volcan. Désolé par l'expérience britannique en Palestine, le «dernier lion» allait écrire: «Au début, c'était un escalier large et aux marches peu élevées, couvert d'un tapis, mais à la fin les pierres se délitaient sous leurs pieds.» Beaucoup de choses ont changé durant le dernier siècle. Une ancienne colonie de l'autre côté de l'Atlantique a éclipsé la Grande-Bretagne et est devenue le berceau d'un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais. Les armées de ce nouvel empire envahissent aujourd'hui l'Irak avec les armées de l'ancien empire dans leurs fourgons. Les soldats entrent en Irak pour faire don de la démocratie. Cependant, à la différence du général Maude, le général Tommy Franks ne rentrera pas à Bagdad sur un cheval, mais dans un véhicule blindé moderne, avec air conditionné et après avoir utilisé la force de frappe de cinq porte-avions pour envahir Bagdad. Les tactiques de libération ont changé, comme les empires ont changé d'emplacement [passé de la Grande-Bretagne aux Etats-Unis]. Mais les objectifs demeurent les mêmes. L'Irak reste le pivot du Moyen-Orient et qui contrôle Bagdad contrôlera le Moyen-Orient. Comme disait un Français: «Plus les choses changent, plus elles restent la même chose.» - 24 mars 2003 * Ahmad Faruqui est un économiste. 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