Irak-Etats-Unis Drop Bush, not bombs Le 15 février 2003, dans le monde, quelque 10 millions de personnes ont manifesté contre la guerre voulue par l'administration Bush, avec l'aide du gouvernement travailliste de Tony Blair. Le quotidien américain «de référence» pour les élites, le New York Times, le 16 février, devait reconnaître que «les manifestants du 15 février sont issus d'un spectre politique beaucoup plus large[qu'à l'époque de la guerre du Vietnam des années 60]: des collégiens, des couples d'âge moyen, des familles avec des petits-enfants, des personnes âgées qui avaient déjà marché pour les droits civiques[contre la ségrégation des Noirs américains au cours des années 60], ainsi que des groupes représentant des organisations syndicales, écologistes, religieuses, civiques et autres.»En gros, à New York comme à Berne, ces manifestations étaient l'expression d'un profond refus d'une guerre pour le pétrole, pour la prise en main directe par les Etats-Unis d'une région stratégique, et cela au prix de dizaines de milliers de morts comme de centaines de milliers de réfugié·e·s. Un tout récent sondage de l'hebdomadaire américain conservateur, pro-républicain, Timefait la preuve de l'opposition grandissante aux diktats du gouvernement américain. Sur 500000 personnes, 87% estiment que le gouvernement américain constitue «la plus grave menace pour la paix dans le monde», loin devant la Corée du Nord (5,6%) et à l'Irak (6,6%). En conclusion: c'est la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale qu'une telle opposition massive, aux Etats-Unis comme à l'échelle internationale, s'exprime avec force avant le déclenchement d'une guerre. Malgré cela, Bush et Blair accélèrent leur marche vers la guerre. Ainsi, ils expriment leur mépris pour la démocratie (dont ils se réclament)... un mépris comparable à celui de dirigeants de grandes firmes qui licencient massivement après avoir truqué les comptes. La mobilisation contre cette guerre n'est donc pas si éloignée de celle des jeunes salarié·e·s d'Orange qui refusent, en Suisse, d'être traités comme des pantins. Une mort lente et planifiée Si elle a lieu, cette guerre sera conduite d'abord contre le peuple irakien. Comme l'embargo a d'abord infligé souffrances et morts à ce peuple, et non pas aux dignitaires du régime. Dès lors, une question élémentaire se pose: dans quel enfer est déjà plongée, aujourd'hui, la population d'Irak? Certes, elle subit le régime dictatorial de Saddam Hussein. Mais elle souffre aussi des effets durables de la première guerre de 1991, de la campagne de bombardements de 1998 (opération «Renard du désert») et des bombardements permanents sur tout le sud (zone dite d'exclusion). Le grand reporter John Pilger vient de consacrer une longue enquête, dans le prestigieux quotidien The Independent on Sunday(23 février 2003), à la situation de la population dans le sud de l'Irak. Il rapporte les paroles d'un spécialiste du cancer, formé en Grande-Bretagne et qui pratique dans l'hôpital de Bassorah: «Avant la guerre du Golfe, nous avions seulement trois ou quatre morts par mois du cancer. Maintenant, il y en a 30 à 35 qui meurent chaque mois et cela juste dans mon service... Nos enquêtes indiquent que 40 à 48% de la population dans cette région aura le cancer... Dans ma propre famille, la majorité souffre du cancer. Et, pourtant, cette maladie n'est pas un facteur héréditaire dans notre famille... Nous suspectons fortement que ce sont les effets de l'uranium appauvri qui a été utilisé par les Américains et les Britanniques au cours de la guerre du Golfe[munitions faites avec des métaux «enrichis» à l'uranium appauvri]. Quelle que soit la cause exacte, ici c'est comme à Tchernobyl. Les effets génétiques sont tout à fait nouveaux pour nous. Les champignons deviennent énormes, les poissons dans ce qui était auparavant une rivière magnifique sont immangeables. Même les grappes de raisins dans mon jardin ont muté et ne peuvent être mangées.» Une femme pédiatre indique à John Pilger: «J'ai étudié ce qui s'est passé à Hiroshima. C'est à peu près la même chose ici. Nous constatons un accroissement important des malformations congénitales, une augmentation des leucémies, des tumeurs cérébrales...»Or, comme l'indique Pilger, «sous l'effet de l'embargo économique imposé par le Conseil de sécurité des Nations unies, l'Irak se voit interdire tout équipement spécialisé pour décontaminer les régions touchées par la guerre du Golfe en 1991». Denis Halliday contre Micheline Calmy-Rey Denis Halliday, qui a travaillé durant trente-quatre ans à l'ONU, qui fut assistant du secrétaire général, qui a été jusqu'en 1998 coordinateur pour la politique humanitaire de l'ONU en Irak et qui a démissionné, précise à John Pilger: «J'ai reçu l'instruction[par le Conseil de sécurité de l'ONU] d'appliquer une politique qui correspond à la définition de génocide: c'est-à-dire une politique délibérée qui a effectivement tué bien plus qu'un million de personnes, enfants et adultes.» Le successeur de Denis Halliday, Hans von Sponeck, est arrivé à la même conclusion. Et il a renoncé à son poste. Jutta Burghardt, responsable du programme pour l'alimentation mondiale de l'ONU en Irak, a fait de même, en disant qu'elle ne pouvait «plus tolérer ce qui était infligé à la population d'Irak». De telles démissions sont tout à fait exceptionnelles dans l'histoire de l'ONU. Après un tel bilan, on se demande comment il est possible de présenter lesdites «initiatives humanitaires» de Micheline Calmy-Rey comme relevant de bonnes intentions pacifiques. D'autant plus qu'elles interviendraient après une nouvelle guerre contre le peuple irakien. C'est soit de l'ignorance, soit de l'hypocrisie, soit les deux, qui peuvent être synthétisées par le terme: la bêtise collégiale. On est bien loin des réactions dignes d'un Denis Halliday ou d'une Jutta Burghardt. Une tradition: le mensonge impérial Bush a invoqué la nécessité d'une «guerre préventive» parce que l'Irak menacerait les Etats-Unis. Contre vents et marées, il reprend ce thème. Plus personne ne gobe cette propagande. De plus, il est difficile de cacher que deux des principaux alliés des Etats-Unis dans la région disposent d'armes de destruction massive: le Pakistan et Israël. L'hebdomadaire américain Newsweekvient de publier un article qui révèle combien ont été déformées et utilisées pour la propagande lesdites révélations du beau-fils de Saddam Hussein, Hussein Kamel. Ce dernier avait fui en Jordanie en 1995, puis était rentré en Irak en 1996, avant d'être exécuté par le dictateur. Hussein Kamel était censé avoir révélé tout le potentiel d'armements chimiques et biologiques de l'Irak. Powell a encore cité, devant le Conseil de sécurité, le 4 février 2003, les «confessions» de Hussein Kamel à la CIA et aux services secrets anglais comme preuve de la production massive d'armements biologiques et chimiques par l'Irak. Or, la transcription des déclarations de Hussein Kamel montre que ce dernier insistait sur la destruction de cet armement suite aux premières inspections de l'ONU. Ces récentes informations se trouvent sur le site de l'universitaire de Cambridge Glen Rangwala, qui avait démontré que le fameux dossier de Tony Blair sur l'armement de l'Irak était pour l'essentiel un bricolage de copier/coller d'une thèse d'un étudiant américain (www.casi.org.uk/info/unscom950822.pdf). Au travers de ce qui peut apparaître un détail, voilà l'illustration d'une politique impérialiste traditionnelle. Pour camoufler les intérêts économiques et politiques qui déterminent le déclenchement d'une guerre, les officines de propagande mélangent mensonges ou demi-vérités et invocations de «la défense de la liberté et de la démocratie». Non à la guerre, avec ou sans le Conseil de sécurité de l'ONU Plus de 260000 soldats américains et 45000 soldats britanniques sont massés aux frontières de l'Irak. Bush et Blair veulent cette guerre. Ils veulent occuper l'Irak, s'approprier ses ressources pétrolières et en faire une base stratégique pour remodeler toute la région. A la lumière de cette politique, trois éléments méritent d'être soulignés: 1° La «communauté internationale», comme le dit la presse, n'est qu'une formule qui cache la volonté d'hégémonie de l'impérialisme américain. Cela apparaît aujourd'hui avec évidence. A tel point que Bush n'utilise plus la formule... alors que les médias continuent à le faire. 2° Les Nations unies ne sont pas le siège d'une autorité impartiale. La structure de l'ONU donne un pouvoir déterminant à cinq puissances, les membres permanents du Conseil de sécurité. Parmi les trois pays qui se présentent comme opposés à la politique de Bush, tous mènent des opérations répressives. La Russie en Tchétchénie, la France en Côte d'Ivoire et dans d'autres pays africains, la Chine au Shenyang, au Tibet et contre les mouvements revendicatifs de paysans et d'ouvriers. Une guerre contre le peuple irakien avec l'accord du Conseil de sécurité n'est pas plus légitime qu'une guerre sans son accord. Or, le gouvernement helvétique est prêt à couvrir sans réserves une guerre qui aurait le feu vert du Conseil de sécurité... autrement dit de pays qui constituent pour l'industrie et la finance helvétiques des partenaires importants. 3° L'annexion de territoires (l'Irak envahissant le Koweït en1990) a servi à justifier la guerre et l'embargo contre l'Irak. Pourtant, l'annexion de territoires par Israël à l'encontre des résolutions de 1947 et de 1967 n'a jamais suscité de réactions militaires des Etats-Unis ou de l'ONU. Il en est allé de même pour l'annexion de deux tiers de Chypre, en 1974, par la Turquie ou de l'ouest du Sahara par le Maroc dès 1975. Dès lors, il ne s'agit pas de déléguer au Conseil de sécurité la décision d'une prétendue guerre «légalisée» contre le peuple irakien. Le New York Timesdu 25 février soulignait bien le rôle d'un mouvement de masse contre la guerre: «Avec les larges manifestations antiguerre... M. Bush est aussi conscient que plus dureront les inspections, plus croîtra le risque d'un déclin du soutien du public aux Etats-Unis même... Dans ce cadre, tout affaiblissement de l'appui [à l'administration Bush] au sein des Etats-Unis ne ferait que se répercuter dans un monde déjà imprégné par une opposition montante à la guerre.» Des mobilisations internationales simultanées, comme celles qui se font ce 5 mars, placées sous le thème: «Des livres, pas de bombes», sont un instrument bien plus efficace contre la guerre que les illusoires ballets diplomatiques. Et la résistance à la guerre aux Etats-Unis va de pair avec l'opposition à la politique sociale de Bush dont les effets sont visibles: pour le seul mois de décembre 2002, le nombre de sans-logis à New York a augmenté de 25% (38039 personnes). Une mesure humanitaire d'urgence: lever l'embargo Développer le mouvement contre la guerre le plus large, le plus actif, le plus diversifié possible est un élément nécessaire pour stopper une guerre, pour créer les conditions afin que le peuple d'Irak puisse choisir son avenir. Les différences entre la France et les Etats-Unis portent avant tout sur des oppositions concernant le contrôle des ressources pétrolières et les influences dans le Moyen-Orient. Ni Bush ni Chirac ne remettent en cause la transformation de l'Irak en une nouvelle colonie, en un nouveau protectorat géré, directement ou indirectement, par les grandes puissances occidentales. Les droits de la population de l'Irak, les droits du peuple kurde ne les intéressent pas. La population irakienne ne doit pas déranger leurs plans d'acquisition et d'exploitation des ressources de la région. Un mouvement contre la guerre est donc aussi un mouvement pour que le peuple irakien puisse décider, lui-même, de son avenir. Pour cela, la première mesure à prendre est de lever immédiatement l'embargo et de supprimer la dette inique, à hauteur de plus de 350 milliards de dollars, imposée à l'Irak et gérée depuis l'UNCC (Commission d'indemnisation) qui a son siège à Genève. Si la conseillère fédérale «socialiste» Micheline Calmy-Rey voulait développer une politique humanitaire, la priorité consisterait à envoyer des avions chargés de vivres et de médicaments à Bagdad, adressés à des ONG présentes sur le terrain. L'espace aérien devrait être interdit totalement à l'aviation américaine et le commerce d'armes avec les Etats-Unis (3e pays pour les exportations suisses en 2002) ou l'Angleterre (5e pays) immédiatement interrompu. - MPS, 5 mars 2003 Haut de page
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