Irak-Etats-Unis

De New York à Melbourne, des protestations à la Guerre contre l'Irak 

Robert D. McFadden, 16 février 2003:

Nous publions ci-dessous une traduction d'un article du New York Times du 16 février 2006 qui indique combien, un des principaux journaux des cercles dominants américains a appréhendé l'accélération du mouvement anti-guerre. Cela donne encore plus de poids à l'échéance du 5 mars: Books not Bombs. réd.

Contre le compte à rebours de l'Amérique vers la guerre, des foules de manifestants ont convergé hier, en chantant et en déployant des banderoles, vers New York et plein d'autres villes des Etats-Unis, d'Europe et d'Asie. Ceci sous forme d'une immense chaîne globale de protestations pacifiques contre la menace de l'invasion de l'Irak décidée par l'Administration Bush.

Trois ans après que d'immenses foules se furent réunies dans le monde entier pour célébrer le nouveau millénaire, des millions de personnes se sont réunies à nouveau hier, dans une humeur cette fois plus sombre, pour empêcher un conflit, en formant un patchwork de manifestations qui, mises ensemble, forment la plus vaste mobilisation depuis la Guerre du Vietnam.

En un jour d'hiver glacial à New York, d'immenses masses de gens, empêchées de manifester par décret de justice, se sont rapprochées des Nations Unies, avec face à elles un lourd dispositif de sécurité. Les gens ont déployé aussi bien des banderoles de patriotisme que de dissentiment, et ont scandé les slogans d'un large et nouveau mouvement anti-guerre qui ne laisse pas de place à la moindre sympathie à l'égard de Saddam Hussein.

" Le Monde dit Non à la Guerre " proclamait une immense banderole déployée contre une estrade dans la Première Avenue, près de la  51ème Rue, le point focal d'où se sont déployées les foules qui ont rempli toutes les rues, depuis la 49ème jusqu'à la 72ème avenue et ont débordé sur des rues latérales, comme sur les Seconde et Troisième Avenues,  ainsi que sur l'Avenue de Lexington. Bloqués par les barricades de police, des milliers de gens n'ont pu rejoindre la manifestation qui se déroulait au loin.

Le nombre de manifestants est en général supérieur aux estimations sont politiquement orientées. Le commissaire de police Raymond W. Kelly a estimé la foule à 100'000, alors que les organisateurs ont compté eux 400'000 personnes. En considérant l'océan de visages s'étendant sur plus d'un mile le long de la Première Avenue et toutes les foules qui ont été empêchées de les rejoindre, il semblerait que la vérité se trouve à peu près entre ces deux chiffres.

Il y a eu également des manifestations, plus petites bien sûr, à Philadelphie, Chicago, Seattle, San Diego, Sacramento, Miami, Detroit, Milwaukee et plein d'autres villes américaines. Ces manifestations ont été organisées par une coalition de 120 organisations nommée " Unis pour la Paix et la Justice ".

A Londres, entres 500'000 et 750'000 personnes se sont rassemblées à Hyde Park, alors que 200'000 manifestants marchaient vers la Porte de Brandebourg à Berlin et des centaines de milliers d'autres à Paris, Amsterdam, Bruxelles, Barcelone, Rome, Melbourne, Cap Town, Johannesbourg, Auckland, Séoul, Tokyo et Manille. Beaucoup en dénonçant le fait que l'intérêt porté par l'Amérique à l'Irak avait plus à voir avec le pétrole qu'avec l'élimination d'un dangereux tyran.

Des protestations ont eu lieu dans plus de 350 villes dans le monde entier. Quel que soit le nombre de manifestants, la plupart des slogans étaient pacifiques. La police à Athènes a lancé des gaz lacrymogènes et s'est affrontée avec quelques manifestants qui ont lancé un cocktail Molotov, mais rien de grave ne s'est passé.

A New York, la police a procédé à au moins 295 arrestations, principalement pour " conduite désordonnée" ; elle a prétendu également qu'un député avait été attaqué puis conduit à l'hôpital et que deux chevaux  avaient été blessés. Mais à la fin de la journée, le Commissaire Kelly a dit: " Je pense que cela s'est bien passé. Par rapport au nombre de manifestants, il n'y a rien à dire. L'immense majorité des gens ont été coopérants ".

Les manifestations ont été le point culminant d'une campagne globale qui a été menée depuis des semaines par une opposition grandissante à la menace de guerre, avec des milliers de marcheurs, de pétitions, de récoltes d'argent, d'articles dans les journaux et sur Internet, de coalitions diverses de célébrités comme de simples citoyens.

Contrairement aux clichés sortis de l'époque de la guerre du Vietnam sur des opposants anarchistes " crades ", fumant des pétards et brûlant des drapeaux, les manifestants du 15 février sont issus d'un spectre politique beaucoup plus large: des collégiens, des couples d'âge moyen, des familles avec des petits enfants, des personnes âgées qui avaient déjà marché pour les droits civiques, ainsi que par des groupes représentants des organisations syndicales, environnementales, religieuses, civiques et autres.

Le Président Bush était le bandit en chef, considéré  par certains comme étant la victime de son obsession de la guerre du Golfe de 1991, menée par son père, et de l'incapacité de celui-ci à se débarrasser de Saddam Hussein. D'autres cibles étaient le Vice-Président Dick Cheney, le Secrétaire à la Défense Donald H. Rumsfeld ou le Secrétaire d'Etat Colin L. Powell.

" Je suis venue à la manifestation pour faire partie de la voix globale s'élevant contre la guerre en Irak ", a dit Mary Baxter, 31 ans, employée dans une compagnie d'informatique à Cambridge, dans le Massachussetts, et dont la tranquille détermination était celle de beaucoup de manifestants. Elle a ajouté: " Je pense que l'Administration actuelle a exagéré et destabilisé les choses. Je suis déçue que Colin Powell s'aligne sur Bush, Cheney et les autres ".

Angela Tsang, 21 ans, étudiante au Collège Barnard et qui fait partie d'un groupe appelé " La Coalition Anti-guerre de l'Université de Columbia ", a dit que son groupe pensait qu'une attaque menée par les Etats-Unis contre l'Irak ne pourrait apporter que mort et injustice.

" Nous considérons la guerre contre l'Irak comme injuste ", a-t-elle déclaré. " Nous ne croyons pas à la rhétorique de Bush. Je ne pense pas qu'il soit en train d'agir dans l'intérêt du peuple américain. Nous sommes en train de risquer la vie de centaines de soldats Américains et d'innombrables autres personnes vivant au Moyen-Orient. La guerre ne résoudra pas non plus le problème du terrorisme. Cela me dégoûte. Je ne peux accepter cela. "

Au-delà des critiques contre M. Bush et ses lieutenants, beaucoup de protestataires ont avancé des arguments nuancés sur le conflit, et ils sont d'accord sur le fait que le Président Hussein ne devrait pas être autorisé à détenir des armes de destruction massive. Ils insistent cependant sur le fait que des mesures militaires préventives ne sont pas admissibles, qu'elles nuiront à l'économie, augmenteront le fossé entre l'Amérique et le monde arabe et mineront les alliances avec les Etats-Unis en Europe et en Asie.

Ce fut un jour rude pour une manif à New York. Le sol était gelé, le vent glacial et les manifestants marchaient par une température de moins 25 degrés qui leur écorchait le visage. Mais la foule était enthousiaste, applaudissant les intervenants, scandant des slogans contre la guerre et dressant des banderoles également sur des thèmes tels que la libération de la Palestine ou la libéralisation de la Marijuana à des fins médicales.

Les manifestants ont été rejoints par plusieurs personnes célèbres, telles que l'Evêque sud-africain Desmond Tutu, le chanteur folk Pete Seeger, ainsi que les comédiens Danny Glover, Susan Sarandon et Harry Belafonte. Des drapeaux américains et d'autres symboles de patriotisme étaient brandis parmi la foule.

Des enfants d'une école publique ont apporté une sphère gonflable représentant la terre. Celle-ci a été crevée en passant sous un pont et les élèves ont dû y coller une rustine. " Nous essayons de réparer le monde ", a commenté pince-sans-rire la petite Sonia Santzoord âgée d'à peine dix ans.

Le chanteur Richie Havens a donné le coup d'envoi de la partie officielle en chantant la chanson " Freedom " (Liberté) qu'il avait chantée 34 ans auparavant lors du Festival de Woodstock.

"La paix ! La paix ! La paix ! " a crié quant à lui un vétéran du mouvement de la paix, Desmond Tutu. " Laissez l'Amérique écouter le reste du monde ! Ce monde dit: "Laissez du temps aux inspecteurs ".

Martin Luther King III a dit à la foule serrée épaule contre épaule: "Ce n'est pas parce que vous possédez les plus gros fusils que vous êtes obligés de les utiliser ! "

L'un des visages dans la foule était celui de Michael Callandrillo, 53 ans, en enseignant de Dover, New Jersey, qui a dit: "J'ai été à des manifs dans tout le pays et souvent il y avait un petit quelque chose qui ne me convenait pas. Mais celle d'hier était  juste parfaite. Les gens sont informés. Les gens sont passionnés. Les gens ne veulent pas créer de troubles. Ils veulent juste être entendus ".

Tout au long de la matinée, des trains et des bus ont convergé vers Manhattan, amenant des groupes depuis le New Jersey, le Connecticut, le Massachusetts, le Vermont, la Pennsylvanie, l'Etat de New York, le Maryland et d'autres Etats encore. En se dirigeant vers la manif, des milliers de manifestants potentiels ont été bloqués par des barricades et une énorme présence policière. En frappant sur des tambours, et en scandant " A qui sont les rues ? A nous ! ", les foules sont descendues des trottoirs et ont marché sur  les rues embouteillées des  avenues de l'East Side. Certains se sont occasionnellement opposés à des officiers de police.

Par un arrêté de la cour suprême, les manifestants de New York ont été interdits de cortège, certains officiels de la ville prétextant que celui-ci pourrait être dangereux pour les manifestants eux-mêmes , ce qui les a d'ailleurs fait s'étrangler de rire. Au lieu de cela, ils ont été contraints de marcher derrière des barricades, ce qui donne un aspect moins puissant à la protestation , mais qui facilite les choses pour la police.

La police avait érigé des blocs sur tout un mile de la Première Avenue qui avait été consacré à la marche. A midi déjà, au tout début de la manif, ceux-ci étaient remplis et des milliers de manifestants ont été bloqués derrière des barricades sur des avenues et des rues de l'East Side et ils ont été empêchés de rejoindre la manif, ou en tout cas retardés.

Les frustrations ont alors grandi et des colères ont éclaté. Des dizaines de personnes ont été arrêtées, sous le prétexte d'une " conduite inadéquate ", au moment où elles ont essayé de forcer les lignes de police sur la Seconde Avenue, entre les 53ème et 54ème rues, là où beaucoup de gens étaient en train d'agiter des drapeaux palestiniens en scandant: " Libérez la Palestine".

A la Troisième Avenue et à la 52ème Rue, un cheval qui s'est cabré a fait chuter un officier le la police montée lorsque un manifestant  a allumé des pétards. Personne n'a été blessé, mais plusieurs manifestants ont été jetés au sol avec rudesse et arrêtés.

Les arrestations se sont semble-t-il mal passées et plusieurs des personnes détenues ont été laissées pendant des heures dans des bus avant d'être inculpées. " Des personnes sont assises dans des camionnettes gelées, sans nourriture ni toilettes ", a rapporté Donna Liebermann, directrice exécutive pour New York de l'Union pour les Libertés Civiles. " Certaines personnes sont soumises à une détention dans des conditions très dures. "

Les officiels de la police quant à eux ont déclaré le lendemain qu'en effet certains attendaient encore d'être jugés, mais ont affirmé que personne n'avait été maltraité.

Le détective Robert Price, un porte-parole de la police, a affirmé que toutes les personnes arrêtées avaient attendu dans des bus chauffés, qu'elles avaient été nourries et qu'elles avaient eu accès à des toilettes.

La police n'a pas donné de détails sur son opération de sécurité, mais a annoncé que 5'000 officiers avaient été mis sur le terrain. Il semblerait que la police n'ait pas anticipé la venue d'un tel monde. A 13 heures 45, Joseph J. Esposito, l'officier en uniforme de rang le plus élevé, a ordonné la plus forte des mobilisations existant dans l'Etat, une mesure rare qui a amené 1'000 officiers supplémentaires depuis des arrondissements extérieurs. Cette mesure fut utilisée pour la dernière fois en novembre 2001, lorsque le vol 587 de la Compagnie American Airlines s'écrasa dans les Rockaways.

 

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