Irak-Etats-Unis La malhonnêteté du soit-disant dossier de Blair sur l'Irak Robert Fisk,The independent,25 septembre 2002 Le «dossier» sur l'Irak de Tony Blair est un document choquant. Une personne honnête qui le lit ne peut que ressentir de la honte et être outragé. Les pages de ce dossier sont la preuve définitive - si leur contenu est exact - qu'un crime massif contre l'humanité a été commis en Irak. En effet, si les détails publiés au sujet de la fabrication par Saddam Hussein d'armes de destruction massive sont exacts - je reviendrai sur les «si», les «mais» et les «pourrait» - cela signifie alors que notre politique brutale et massive de sanctions et d'embargo de l'ONU a totalement fait faillite. Ou, en d'autres termes, qu'un demi million d'enfants irakiens sont morts par notre faute - pour rien. Revenons au 12 mai 1996: ce jour-là, Madeleine Albright, secrétaire d'Etat américaine, nous expliqua que les sanctions fonctionnent et qu'elles empêchaient Saddam de produire à nouveau des armes de destruction massive. Notre gouvernement [britannique] conservateur approuva et Tony Blair ne s'écarta pas de cette ligne. Ce 12 mai, Mme Albright intervint sur la chaîne de télévision [américaine] CBS, Leslie Stahl, la journaliste qui l'interviewait, lui demanda: «Ona entendu dire qu'un demi million d'enfants sont morts [en Irak]. C'est plus de morts qu'à Hiroshima. Est-ce que qu'un tel prix en valait la peine ?» A l'étonnement du monde entier, Mme Albright répondit: «Je pense que c'est un choix très difficile, mais nous pensons que ce prix en vaut la peine.» Maintenant nous savons - si M. Blair nous dit la vérité - que ce prix n'en valait pas la peine. Un prix payé par les vies de centaines de milliers d'enfants. Mais qui ne valait pas un clou. Le «dossier» Blair nous dit que, malgré les sanctions et l'embargo, Saddam a été capable de produire des armes de destruction massive. Toutes ces absurdités au sujet de la technologie duale, l'embargo sur les crayons pour enfants - parce qu'ils pouvaient faire l'objet d'un usage militaire - et notre refus de laisser l'Irak importer des équipements pour remettre en état de fonctionner ses usines de traitement d'eau détruites par les bombardements de la guerre du Golfe, tout cela était du toc. Cette conclusion terrible est la seule moralité qui peut être tirée des 16 pages censées détailler les horreurs chimiques, biologiques et nucléaires que la Bête de Bagdad a mises de côté pour nous. Il est difficile de savoir, en lisant tout ce rapport, s'il faut rire ou pleurer. Le degré de tromperie et de duplicité dans sa production en dit long sur la fourberie du gouvernement Blair, y compris dans son traitement des membres du Parlement. Ce «dossier» contient certes quelques potins qui sonnent juste. La nouvelle usine produisant du perchlorate d'ammonium, fournie illégalement par une compagnie indienne - qui, bien sûr, a rompu ce merveilleux embargo de l'ONU - est un petit détail terrifiant. De même que la nouvelle installation pour tester des fusées, à l'usine al-Rafah. Mais ce matériel est à ce point submergé dans un océan de subterfuges et de filouteries que son inclusion dans le rapport perd toute valeur. Voici un exemple de la malhonnêteté de ce «dossier». A la page 45, on nous dit - dans un long chapitre consacré aux atteintes aux droits de la personne humaines perpétrées par Saddam - que «le 1er mars 1991, dans le sillage de la guerre du Golfe, des émeutes (sic) ont éclaté dans la ville du Sud Basra, s'étendant rapidement aux autres villes du sud del'Irak à dominante shiite. Le régime répondit en tuant des milliers de personnes.» Ce qui ne va pas avec ce paragraphe, c'est le mensonge que contient l'usage du terme «émeute». Ce n'étaient pas des émeutes. Ce qui s'est passé s'inscrivait dans une rébellion de masse, à laquelle avaient appelé le père du président Bush Jr et la radio de la CIA installée en Arabie Saoudite. Les musulmans shiites d'Irak obéirent à l'appel de Bush Sr. Et ils ont été abandonnés à leur sort par les Américains et les Britanniques, qui leur avaient pourtant donné toutes les raisons de penser qu'ils viendraient à leur aide. Pas étonnant dès lors qu'ils moururent par milliers. Mais cela, le «dossier» de Blair ne nous le dit pas. Toute personne lisant les ambiguïtés qui parsèment l'ensemble de ce texte ne peut qu'avoir de profonds doutes au sujet des bases pour lesquelles la Grande-Bretagne s'en va en guerre. Le programme d'armement irakien cherche «presque certainement» à enrichir de l'uranium. Il «semble» que l'Irak cherche à acquérir une chaîne de production magnétique. Il y a des indications que l'Irak a essayé d'acquérir des tubes d'aluminium spéciaux (utilisés pour l'enrichissement de l'uranium), mais «il n'y a pas d'information définitive» démontrant que cela soit pour un programme nucléaire. «Si» l'Irak acquiert du matériel fissile, l'Irak pourrait produire des armes nucléaires dans un délai de un à deux ans. Il est «difficile de juger» si des missiles Al-Hussein (d'une portée de 650 km) sont disponibles pour une utilisation. Les efforts pour relancer le programme irakien de production de missiles ont «probablement» débuté en 1995. Et ainsi de suite. Cela dit, peut-être que Saddam a relancé un programme de production d'armes de destruction massive. Répétons-le, 20 fois: Saddam est un tyran brutal et malfaisant. Mais est-ce que des «presque certainement», «semble» «probablement» et autres «si» sont vraiment des raisons pour envoyer nos troupes dans les déserts de Kut-al-Amara ? Ce «dossier» ne tarit pas de louanges à propos des inspecteurs de l'ONU. Mais il y de nouvelles fourberies dans ce chapitre important. On y trouve une citation du Dr Hans Blix, le président de la Commission d'inspection de l'ONU, où il déclare que, en l'absence d'inspections (après 1998), il est impossible de vérifier le respect par l'Irak de ses engagements en matière de désarmement. Mais, le 18 août dernier, le même Dr Blix déclarait à l'Assciated Press qu'il ne pouvait pas affirmer avec certitude que Bagdad possédait des armes de destruction massive. Bien entendu, cette dernière citation a été supprimée dans le «dossier» de Blair. Nous en sommes donc là. Si ce tissu de ruses est basé sur des «probablement» et autres «si», nous n'avons pas de raison d'aller en guerre. Si tout ce qui est dit est vrai, alors nous avons assassiné un demi-million d'enfants irakiens. Comment qualifier un tel crime de guerre ? Robert Fisk Haut de page
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