Irak-Etats-Unis Les plans d'attaque contre l'Irak avancent Anthony Shadid et Robert Schlesinge, Article paru dans le Boston Globele 18 août 2002 Malgré les divisions internes et l'insistance du président Bush à affirmer qu'il n'a pris aucune décision d'action militaire contre l'Irak, selon des membres de l'administration et des analyses, l'administration Bush a accéléré ses plans militaires pour une invasion, a accentué sa rhétorique pour justifier cette initiative et a accru sa campagne diplomatique pour préparer la situation potentielle de bourbier qui pourrait s'ensuivre. Les spéculations sur le calendrier des opérations militaires bouillonnent parmi les diplomates, l'opposition irakienne et au sein de l'administration Bush elle-même. Toutefois, même sans une date - et le gouvernement américain insiste qu'une décision n'a été prise à propos d'une attaque contre l'Irak -, les éléments sont graduellement mis en place pour pouvoir effectuer une invasion. «Plus vous planifiez», affirmait Phebe Marr, un spécialiste des affaires irakiennes qui a témoigné devant la commission du Sénat et qui avait conseillé l'administration de George Bush père lors de la guerre du Golfe, «plus les choses se mettent en place, plus vous examinez les difficultés, et plus vous êtes préparés à dire: ok, ce sera pour le 3 décembre, ou une date quelconque.» Certains spécialistes suggèrent que ce type de planification représente une «planche savonnée», qui rend beaucoup plus difficile de faire marche arrière, suite à chaque pas effectué en direction de la guerre. Cela semble avoir alarmé des opposants à une action militaire, y compris au sein des cercles républicains. Faisant écho au souci de membres importants du Congrès, Brent Scowcroft, conseiller aux questions de sécurité nationale sous la présidence de George H. W. Bush père, a mis en garde, dans un article d'opinion publié le jeudi 15 août dans le Wall Street Journal, contre les risques de mettre en question et même de détruire la campagne antiterroriste de l'administration (de Bush fils), et y compris de provoquer une guerre plus large entre Israël et les Etats arabes. «Je pense que nous glissons vite vers un affrontement», affirme Laith Kubba, un spécialiste de l'Irak travaillant pour la National Endowment for Democracy à Washington. «Les aiguilles de la montre avancent rapidement vers un affrontement.» Malgré les fuites ayant trait aux possibles plans de guerre, le Pentagone a insisté sur le fait que les mouvements de troupes et de matériel dans la région relèvent de la routine. Toutefois, les photographies fournies par des satellites commerciaux démontrent qu'entre janvier et juin 2002 l'armée américaine a renforcé sa base aérienne d'Al-Udeid au Qatar, en terminant une piste d'atterrissage pour des bombardiers de très grande envergure. Les photographies montrent aussi la construction d'abris renforcés pour les avions, des centres de commande et de contrôle sophistiqués et une vraie ville de tentes pouvant recevoir des milliers de soldats sur un terrain brûlé par le soleil. Les analystes soulignent que cela pourrait constituer une infrastructure alternative à celle de l'Arabie saoudite qui a affirmé qu'elle ne permettrait pas l'utilisation de son territoire pour lancer une attaque contre l'Irak. Le général Tommi Franks, qui est à la tête de l'état-major général, a affirmé que cette base avait été développée pour «des périodes de crise». John Pike, qui est à la tête d'une organisation spécialisée dans la politique militaire (GlobalSecurity.org), a affirmé que les Etats-Unis avaient aussi mis en place un équipement pour deux divisions dans la Méditerranée, dans le golfe persique et dans les régions du Pacifique Sud, divisions qui pouvaient être dans un temps relativement restreint dirigées vers le Koweït, pays voisin de l'Irak. La petite île de l'océan Indien de Diego Garcia [dont l'armée américaine a chassé la population], où l'armée américaine dispose de grandes réserves de matériel et d'un centre d'écoutes, a suffisamment d'équipement pour une brigade d'infanterie et une brigade de la marine et avec trois brigades on forme une division. La marine dispose de suffisamment d'équipement pour une brigade sur ses navires qui croisent en Méditerranée. Une autre brigade est basée à Saipan dans le Pacifique. Pike ajoute que l'armée dispose de l'infrastructure pour une brigade au Koweït et une autre au Qatar. Dans l'hypothèse où Bush donnerait l'ordre d'une attaque, soit un jour après les élections sénatoriales, «vous pourriez avoir toute l'infrastructure et toutes les troupes nécessaires pour quatre divisions d'assaut, qui pourraient être rassemblées fin novembre à Koweït et qui pourraient être à Bagdad le 7 décembre», affirme Pike. Le commandement militaire américain a confirmé, la semaine passée, un jour après l'avoir pourtant infirmé, qu'il avait loué des cagots commerciaux pour transporter des hélicoptères et des équipements militaires depuis l'Europe jusque dans la région dépendant du commandement central et qui recouvre une aire allant de l'Egypte à l'Afghanistan, incluant l'Irak. Les militaires décrivent ce mouvement à travers la mer Rouge comme relevant de la routine. Al-Hayat, un journal de langue arabe très connu, édité à Londres, a rapporté ce mois même que des forces militaires américaines étaient en train de surveiller la rénovation d'un champ d'aviation dans le nord de l'Irak contrôlé par des forces kurdes. Les travaux ont commencé il y a deux mois, selon ce journal, qui citait des témoins et des chauffeurs de camions qui avaient transporté du matériel, y compris des installations de radar et d'équipement de surveillance électronique. La CIA s'est refusée à tout commentaire. Le Pentagone a dénié que de tels travaux soient en cours. Une partie de cette préparation peut être interprétée comme une façon de donner du poids aux menaces de l'administration et non pas comme une préparation pour une guerre. D'ailleurs, des représentants officiels de l'opposition irakienne divulguent l'idée que tout ce qu'ils entendent de la part de l'administration américaine concernant une action militaire relève probablement de la désinformation qui a pour but de mettre le dictateur irakien, Saddam Hussein, en déséquilibre. Et peu de personnes contestent que l'Irak, au cours des dernières semaines, semble avoir pris au sérieux les préparatifs de l'administration Bush. Toutefois, des représentants significatifs du gouvernement américain ont insisté sur le fait que, bien qu'aucune décision d'attaquer l'Irak ait été prise, Saddam Hussein devrait être renversé. Cette option a été défendue avec le plus de vigueur par Condoleezza Rice, la conseillère de Bush pour la sécurité nationale, dans un interview accordé à la BBC (chaîne anglaise de télévision), au cours de la deuxième semaine du mois d'août. Elle caractérise Saddam Hussein comme un «homme du mal» et insiste sur «le très puissant argument moral qui existe en faveur d'un changement de régime». Elle continue ainsi: «Nous ne pouvons pas nous payer le luxe de ne rien faire.» Moins mises en relief sont les déclarations ayant trait à la forme d'un Irak post-Saddam Hussein. Les groupes d'opposition irakiens, avec le soutien des Etats-Unis, affirment leur appui à une structure politique fédéraliste, qui serait une façon d'assurer une autonomie aux Kurdes du nord de l'Irak sans fracturer le pays. Le Département d'Etat a commencé aussi à exposer ses vues à ce propos. Il rejette explicitement l'idée que Saddam Hussein pourrait trouver un remplaçant issu des sommets de l'armée ou du parti Baas, même si ce dernier servait les intérêts américains. Le Département d'Etat qu'il vise à établir un Irak démocratique, c'est-à-dire un Irak «qui ne menace plus ses voisins, qui renonce au développement et à possession d'armes de destruction massive et qui maintient l'intégrité territoriale du pays». Le signe le plus visible des préparations engagées par l'administration réside dans l'appui donné à l'opposition irakienne fort divisée depuis longtemps. Durant les mois passés, des différences apparaissaient entre la CIA, le Pentagone, le Département d'Etat sur la stratégie à adopter face à l'opposition irakienne. Les différences sont apparues jusqu'au mois de juin. Au cours des dernières semaines, que ce soit du côté de l'opposition irakienne ou l'administration américaine, les différences semblent s'effacer. L'administration s'engage à soutenir une conférence de l'opposition réunissant 50 à 60 personnes que les différentes fractions de l'opposition irakienne envisagent de convoquer le mois prochain (en septembre) en Europe, peut-être en Hollande. A partir de là, les représentants de l'opposition irakienne espèrent pouvoir mettre en place un comité de coordination qui pourrait créer les fondements d'une administration de transition. Un représentant de l'opposition irakienne résidant à Londres déclare: «Alors que les conférences antérieures avaient pour but d'unifier l'opposition et ses activités, la conférence à venir doit être considérée comme un premier pas dans la mise en place d'une structure administrative pour un Irak post-Saddam Hussein.» Le Département d'Etat américain a de même engagé sa propre planification pour mettre en place ce qui pourrait se passer après la chute de Saddam Hussein. Les thèmes abordés jusqu'à maintenant incluent: la justice, l'amnistie, les crimes de guerres commis par les membres du gouvernement de Saddam Hussein, ainsi que les questions économiques et budgétaires de l'après-guerre. Dès septembre, un groupe d'experts d'une quinzaine de personnes devrait examiner des questions telles que la santé publique, le travail humanitaire, l'agriculture, l'eau, l'environnement et les principes démocratiques. Ce tout premier projet qui coûtera 1,5 million de dollar devrait aboutir fin octobre-début novembre selon des membres de l'administration. Ces derniers affirment que ces plans devraient pouvoir être appliqués immédiatement après la chute de Saddam Hussein. Alors que des interrogations persistent sur les perspectives d'une invasion militaire, que ce soit dans les sommets du Département d'Etat ou dans les échelons inférieurs, il existe un consensus que l'effort fait dans la phase suivant le renversement peut être plus efficace, Washington ayant tiré des leçons des expériences en Afghanistan, au Kosovo, au Timor-Oriental et ailleurs. «Toute personne qui connaît la région sait que rien ne peut être garanti, affirme un représentant de l'administration Bush. «Il n'y a rien de sûr, dit-il. Nous pouvons préparer tout, nous pouvons disposer des gens les plus dynamiques et les plus engagés, avoir toute la communauté internationale derrière nous et il restera toujours des choses imprévisibles. Je pense que plus nous préparons, plus l'effort fait est meilleur, plus le soutien que nous disposerons dans le monde est grand, plus grandes seront les chances que quelque chose de bon sorte de tout cela.» Puis cet officiel conclut: «Mais qui peut le savoir vraiment?» Haut de page
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