France

Election présidentielle française

Petit traité de séismologie politique

Alain Bihr

(Alain Bihr est maître de conférences en sociologie à l'Université de Haute Alsace (Mulhouse). Il a notamment publié Pour en finir avec le Front national (Syros, 1992) L'actualité d'un archaïsme (Page 2, 1998), Le spectre de l'extrême droite. La France dans le miroir du Front national (Ed. de l'Atelier, 1998), Déchiffrer les inégalités (avec R. Pfefferkorn, Syros, 1999) et La reproduction du capital. Prolégomènes à une théorie générale du capitalisme (Page 2, 2001). Nous remercions Alain Bihr de nous avoir communiqué ces premières réflexions, écrites immédiatement après le premier tour de l'élection présidentielle en France.)

Une fois de plus, lors du premier tour de l'élection présidentielle qui vient d'avoir lieu, la (mauvaise) surprise est venue de l'extrême droite. Alors qu'on la pensait définitivement affaiblie par son éclatement début 1999, elle apparaît plus forte que jamais. En recueillant 4 805 307 voix et 16,9 % des suffrages exprimés, Jean-Marie Le Pen a réussi l'exploit de battre son record de 1995 (4 570 838 voix, 15,1 %), déjà en progression par rapport à son précédent score de 1988 (4 375 894 voix et 14,4 %). Si on additionne les voix qui se sont portées sur son nom et celles qu'a recueillies son ancien lieutenant et désormais rival, Bruno Mégret, l'extrême droite se retrouve avec un total de plus 5,5 millions de voix, représentant 19,2 % des suffrages exprimés. Ce qui signifie qu'en l'absence de scission, Le Pen aurait très bien pu se retrouver en tête au bout du premier tour ! Comment en est-on arrivé là ?

Il ne faut pas vendre la peau de l'extrême droite avant de l'avoir tuée !

Incontestablement les adversaires de l'extrême droite tout comme les analystes de la vie politique française ont surestimé les effets de la scission du FN intervenue au cours de l'hiver 1999. Les uns aussi bien que les autres ont cru que la concurrence fratricide qui s'ensuivit entre le FN maintenu et le MNR affaiblirait définitivement le camp national-populiste1. C'était sous-estimer la force de la dynamique socio-politique qui soutient ce dernier depuis près de vingt ans maintenant.

Certes, cette scission a incontestablement affaibli politiquement l'extrême droite dans un premier temps. Cela est apparu clairement lors des différentes élections qui l'ont suivie. Lors des européennes de juin 1999, en pleine tourmente intestine, l'extrême droite perdait ainsi en gros un tiers de son électorat par rapport aux consultations précédentes, en n'y totalisant que 1 576 000 voix, soit 9 % des suffrages exprimés (5,7 % pour Le Pen, 3,3 % pour Mégret). Et cet affaiblissement s'est confirmé lors des élections municipales du printemps 2001, tout d'abord par l'impossibilité dans laquelle se sont trouvés tant le FN que le MNR, en se faisant concurrence, de constituer des listes dans bon nombre de localités où l'extrême droite avait pourtant été présente lors des élections de 1989 et de 1995 ; ensuite par les résultats obtenus là où l'un ou l'autre a pu malgré tout se présenter: alors qu'en 1995, le FN avait été en mesure de maintenir ses listes au second tour dans 103 des 185 villes de plus de 30 000 habitants où se déroulait un second tour, les candidats lepénistes et mégrétistes n'ont alors pu figurer au que dans 41 occurrences de ce type sur 205.

Au-delà de ses scores électoraux en recul, la scission semblait avoir affaibli l'extrême droite en la privant, d'une part, de la figure d'un Chef charismatique incontestable, dont la présence joue un rôle de premier plan dans la structuration politique, symbolique et affective de cette famille politique ; d'autre part, de la cohérence d'un appareil politique, la scission ayant vu la majorité des ex-cadres du FN suivre Mégret. Si bien que l'on retrouvait d'un côté avec le MNR un état-major aux troupes clairsemées ; et de l'autre avec le FN un état-major avec des troupes sans doute plus fournies mais peu de moyens pour les encadrer.

Mais si ces facteurs ont incontestablement affaibli l'extrême droite dans un premier temps, ils n'ont pas mis fin et ne pouvaient pas mettre fin à son existence. Tout simplement parce que celle-ci ne se réduit pas à un phénomène purement politique et encore moins électoral2. Depuis plus de vingt ans, en effet, elle s'alimente à un ensemble de crises profondes que traversent la société française, comme d'ailleurs la plupart des sociétés ouest-européennes:

- crise du vieux bloc hégémonique qui, depuis l'établissement du régime républicain en France et pendant près d'un siècle, avait lié les classes possédantes, bourgeoisie, petite-bourgeoisie et paysannerie ;

- crise du mouvement ouvrier de tradition social-démocrate, dont l'effondrement du PC et la dérive social-libérale du PS, pour ne rien dire de l'atonie du monde syndical, ne sont que les symptômes les plus visibles ;

- crise de l'Etat-nation, l'Etat national se voyant progressivement amputé de ses pouvoirs et prérogatives sous la double pression de la transnationalisation de l'économie et de la montée en puissance des pouvoirs publics locaux mais aussi d'une société civile récusant la tutelle étatique ; ce qui rend l'Etat de moins en moins capable d'assurer l'unité et l'intégration en une même nation des différentes classes, régions, familles politiques et communautés religieuses ;

- «crise du sens» enfin, c'est-à-dire incapacité des sociétés occidentales contemporaines de proposer et encore moins d'imposer à leurs membres un ordre symbolique, un ensemble d'idées, de normes, de valeurs qui fassent sens pour eux, de manière à leur permettre de rendre intelligible le monde dans lequel ils vivent, d'hériter du passé et de se projeter dans l'avenir, de communiquer entre eux, de se construire et de maintenir leur identité individuelle et collective.

Dans les deux ouvrages que je cite en note, j'ai tenté de montrer comment ces différentes crises alimentent l'extrême droite, lui fournissent un terreau sur lequel elle peut prospérer, faire apparaître ces propres thèmes (le fétichisme de l'identité collective, qu'elle soit raciale, civilisationnelle, régionale, ethnique ou religieuse ; la valorisation de l'inégalité entre individus et groupes humains ; l'exaltation des vertus de la force et du combat) comme autant de réponses possibles à ces crises, ou plus exactement à la manière dont celles-ci sont vécues dans le désarroi, l'angoisse et le ressentiment. C'est ce qui lui permet de représenter une solution réactionnaire, à la fois régressive et réactive, à ces différentes crises. Et tant qu'on n'aura pas su élaborer et crédibiliser, par les luttes et des mouvements de masse, des solutions alternatives de nature progressiste, c'est-à-dire faisant essentiellement appel à l'intervention active de tous et de chacun, et à la reconquête par conséquent de l'autonomie individuelle aussi bien que collective, ces crises continueront à alimenter l'extrême droite, en France comme ailleurs en Europe, par delà les inévitables péripéties qui marquent la vie politique.

En un mot, on a beaucoup parlé, y compris récemment, du dernier score de Le Pen comme d'un séisme bouleversant le paysage politique français, en reprenant ce faisant une image qu'il avait lui-même employée pour qualifier son score de 1988, qui avait déjà surpris et jeté la panique parmi ses adversaires. Quitte à employer une métaphore, prenons-la au sérieux. La tectonique des plaques nous apprend en effet que tout séisme est la résolution brusque de tensions longtemps contenues, résultant de processus qui affectent en profondeur la croûte terrestre. Aussi, si l'on veut éviter d'être régulièrement stupéfait par les effets de telles manifestations, il serait temps de prendre au sérieux les analyses proposées des tensions et crises sociales profondes dont elles sont les expressions biaisées.

On préférera toujours l'original à la copie

Autre formule lepéniste qui a trouvé à s'illustrer au cours de ce premier tour des présidentielles. Car la seconde raison du succès remporté par le champion de l'extrême droite française, il la doit incontestablement à la campagne électorale... de ses principaux adversaires supposés.

Il est remarquable en effet que Le Pen ait à peine fait campagne. Jusqu'à la fin du mois de mars, il a savamment entretenu le suspens sur sa participation à ces élections, laissant planer le doute sur le fait d'être parvenu à réunir les cinq cents signatures d'élus nécessaires à sa candidature. Puis il s'est contenté de tenir une série de meetings. Pour le reste, on l'a à peine entendu dans les médias, lui qui pourtant avait su en monopoliser l'avant-scène des années durant avant 1999. Pas davantage n'aura-t-on vu une marée d'affiches, d'affichettes et d'autocollants envahir nos murs et les panneaux publicitaires. Le Pen a été le grand absent de cette campagne électorale au point de se faire oublier. Tout juste les sondages successifs ont-ils régulièrement pointé des intentions de vote à la hausse en ce qui le concernait.

En fait, Le Pen pouvait se dispenser de faire campagne. D'autres s'en sont chargés, en axant systématiquement leurs interventions sur le thème lepéniste par excellence qu'est l'insécurité. Thème propre à réactiver, capter et thématiser toutes les angoisses nées des différentes crises précédentes ; tout en leur trouvant une solution dans la désignation de boucs émissaires (les jeunes de banlieues, de préférence d'origine immigrée) et le recours à la répression (durcissement de la législation, renforcement des appareils judiciaires et policiers, etc.).

Ce fut d'abord le cas de Chirac et de l'ensemble de la droite. Le président sortant a trouvé là le moyen de faire oublier et l'absence de tout bilan positif d'un septennat qui restera comme un «modèle» en matière d'échec et de médiocrité ; et les nombreuses «affaires» qui le mettent en délicatesse avec la justice. Il retrouvait ce faisant un tropisme profond de la droite: c'est en effet elle qui, à la fin des années 1970, sous la conduite de Poniatowski et de Peyrefitte, alors respectivement ministre de l'Intérieur et ministre de la Justice, avait lancé la thématique insécuritaire, avant qu'elle ne soit reprise et amplifié par l'extrême droite lepéniste.

Mais ce fut également le cas de Jospin et de la quasi-totalité de la gauche plurielle (à l'exception des Verts et du PRG), dès lors qu'ils ont cru comprendre que c'était là un thème porteur... sans se demander qui il portait finalement, ni vers quoi il nous déportait. Au demeurant, «nos braves socialistes» et leurs alliés n'ont pas eu à se forcer beaucoup pour enfourcher la thématique insécuritaire. Ce faisant, ils ont eux aussi cédé à une tendance qui leur est devenue naturelle depuis qu'ils ont accédé aux responsabilités gouvernementales. N'est-ce pas eux qui ont réactivé le plan Vigipirate et fait voter la fameuse «Loi sur la sécurité quotidienne» (LSQ), loi liberticide, qui n'inquiéteront jamais aucun terroriste mais permettent d'accréditer l'idée que l'on vit dans un monde dangereux, en y étant heureusement protégé par nos gouvernants ? N'est-ce pas sous leur gouvernement que les expulsions de ces dangereux hors-la-loi que sont censés être les «sans papiers» se sont multipliés ? Et, dès avant la campagne électorale, tout au long des derniers mois, n'est-ce pas eux aussi qui se sont joints à la meute des loups hurlant à la mort pour accréditer la montée de ce phénomène qui n'existe que par la grâce d'une confusion intéressée, sous la même dénomination d'insécurité, d'actes totalement hétérogènes ?

Mais ce sont les médias qui portent ici la plus lourde responsabilité. Si le personnage de Le Pen ne fait plus leurs choux gras, la thématique lepéniste insécuritaire n'y aura jamais été aussi présente. En amalgamant crimes, délits, altercations et incivilités, ce sont eux qui, à longueur d'éditos, de «unes», de faits divers et de chroniques judiciaires, ont alimenté le fantasme de danger permanent d'agression des «bonnes gens» par des bandes de «nouveaux barbares». Si lepénisation des esprits il y a eu, c'est bien autour de ce thème et par ce canal, mettant ainsi en condition l'opinion publique (ce qui est représenté comme tel par les médias) et sous pression les responsables politiques, tenus de répondre à cette demande sociale de sécurité en termes de renforcement des moyens juridiques et policiers de maintien de l'ordre. Pain béni pour l'extrême droite et la droite extrême qui pouvaient faire cause commune sur ce terrain.

Tout camp qui se divise contre lui-même périra

C'est pour l'avoir oublié que la «gauche plurielle» vient de connaître l'une de ses plus cuisantes défaites ; et que Jospin a joué, de manière tout à fait inattendue, le rôle de cet énigmatique «troisième homme», lui que l'on voyait à coup sûr en premier ou, au moins, en seconde position. Ces divisions constituent ainsi la troisième raison du succès de Le Pen3.

En effet, Le Pen doit de se retrouver au second tour qu'à la dispersion des voix de gauche entre les cinq candidats issus de la «gauche plurielle» (Jospin, Mamère, Hue, Taubira et Chevènement). A eux cinq, ils totalisent en effet 32,5 % des suffrages exprimés. Une éventuelle candidature unique à gauche dès le premier tour aurait rendu impossible le scénario catastrophe qu'elle vient de connaître. Si cette candidature n'a pas vu le jour en définitive, ce n'est cependant pas seulement pour des querelles de personnes ou des rivalités d'appareils. Celles-ci ont sans doute joué, mais elles se sont trouvées alimentées par les tensions entre les différentes composantes de la «gauche plurielle» que l'orientation de plus en plus étroitement néo-libérale imposée par le PS aura exacerbé au cours des cinq dernières années. Au point de provoquer le départ et le cavalier seul de Chevènement ; de contraindre Hue à une candidature que la direction du PC savait pourtant hautement risquée ; et de rendre impossible un ralliement des Verts au PS dès le premier tour. Et il faut ici de surcroît incriminer l'arrogance d'un candidat PS qui a sans doute cru pouvoir se passer des voix de ses alliés au premier tour, sans avoir à passer de compromis à leur sujet, tout en étant assuré de pouvoir les récupérer au second tour. On connaît la suite...

Mais cette fracture «horizontale» entre composantes de la gauche plurielle pointe vers une fraction plus fondamentale, «verticale» cette fois-ci, entre l'ensemble de ces composantes elles-mêmes et une partie de leur base sociale, le «peuple de gauche», sociologiquement composée dans son immense majorité d'ouvriers, d'employés, de membres des professions intermédiaires salariées (techniciens, enseignants du primaire, assistantes sociales, infirmières, etc.) ainsi que de différentes catégories de cadres (notamment les enseignants). Autrement dit, précisément, tous ceux (en particulier les premiers nommés, ouvriers et employés) qui ont fait les frais, depuis plus de vingt ans, des politiques néo-libérales synonymes de développement du chômage et de la précarité, d'austérité salariale et budgétaire, d'aggravation des inégalités, politiques qui ne font qu'exprimer les intérêts du capital transnationalisé sous dominante financière.

Or c'est encore et toujours cette même orientation politique que la «gauche plurielle» aura suivie depuis 1997. Rien n'aura mieux illustré cela que les deux fameuses lois Aubry, dont l'impact en termes de création ou de sauvegarde de l'emploi aura été réduit ; tandis qu'elles auront à l'inverse favorisé la flexibilité des horaires, au point de dégrader les conditions de travail et d'existence dans de nombreux entreprises et services publics. Pour ne même pas évoquer davantage le fait que le gouvernement Jospin aura plus privatisé que les gouvernements Chirac (1986-1988), Balladur (1993-1995) et Juppé (1995-1997) réunis ; ou encore le fait que, avec la loi sur l'épargne salariale, il aura préparé la voie à l'introduction de fonds de pension et au démantèlement rampant du système public de retraites par répartition.

Comme en 1986 et 1993, pour cette même raison, son inféodation aux intérêts du capital transnational sous dominante financière via son orientation néo-libérale, la gauche vient de subir une troisième sanction de la part de sa propre base. Comme dans les deux cas précédents, mais d'une manière plus nette encore, cette sanction a pris une triple forme. Tout d'abord celle d'une aggravation de l'abstention: 28,40 % des inscrits n'ont pas estimé devoir se déplacer4 - du jamais vu lors d'un premier d'une élection présidentielle -, faute sans doute pour une part d'entre eux de se reconnaître précisément dans les options et programmes politiques qui leur étaient présentés, notamment par les formations de la «gauche plurielle. Cette abstention favorisait arithmétiquement les forces politiques capables, comme c'est le cas de l'extrême droite lepéniste, de mobiliser le ban et l'arrière ban de leur électorat, tout simplement parce que lui se retrouvait dans le discours et le programme qui lui était proposé.

Mais c'est aussi très directement que, d'autre part, la politique néo-libérale de la «gauche plurielle» a fait le jeu de l'extrême droite en poussant dans ses bras dans pans entiers du salariat populaire. C'est que non seulement cette politique a aggravé leurs conditions d'existence ; mais encore elle les acculés au ressentiment par le constat que ce sont précisément les responsables et les organisations partisanes mais aussi syndicales sur qui ils étaient censés pouvoir compter pour les défendre, les soutenir ou les pousser à la lutte... qui étaient devenus les ennemis ou qui leur prêchent la résignation à l'impitoyable loi du marché: plus d'un ouvrier sur quatre (26 %) qui a voté a donné sa voix à Le Pen contre moitié moins (12 %) à Jospin5.

Ces même raisons expliquent, enfin, l'affaiblissement clair du réflexe de «vote utile» de la part d'une partie de sa propre base sociale de la «gauche plurielle», qui l'a délaissée pour les trois candidatures trotskistes (Laguiller, Besancenot, Gluckstein) qui auront ainsi totalisé près de 11 % des suffrages exprimés, un score que l'extrême gauche n'avait jamais obtenu jusqu'alors en France. Quoi qu'on puisse penser des formations qui ont présenté ces candidats, il est incontestable que la partie du «peuple de gauche» qui ne se reconnaissait pas ou plus dans les orientations néo-libérales de la gauche gouvernementale, sans pour autant céder à la désespérance, aura trouvé, dans les deux premiers au moins de ces candidats, un discours radical, clairement antilibéral et même anticapitaliste, plus en accord avec ses intérêts et ses aspirations. Cela indique du même coup qu'un espace politique s'est désormais ouvert à la gauche de la gauche gouvernementale, permettant d'envisager à terme la formation d'un pôle politique qui défende des positions de gauche radicales.

Il est temps de retrousser nos manches, camarade !

L'analyse précédente indique clairement quelles doivent être nos tâches politiques dans les prochains mois et les prochaines années.D'une part, il faut réactiver et redynamiser les différents réseaux et structures antifascistes, qui ont eu tendance à tomber en léthargie depuis 1999, se croyant débarrassé à bon compte de l'ennemi qui avait été jusqu'alors leur raison d'être. Même s'il est plus que probable que Le Pen n'a aucune chance de l'emporter au second tour, le succès qu'il vient de remporter, éventuellement doublé d'un bon score au second tour, va redonner une nouvelle jeunesse à l'extrême droite française. Il est probable que cela se traduira sinon par une réunification entre le FN et le MNR, du moins par le retour au bercail d'une bonne partie des membres de celui-ci, abandonnant sa direction à sa faillite. Surtout cela va rendre militants et dirigeants du FN plus arrogants, provocateurs et dangereux que jamais. En particulier, en redonnant au FN toute sa capacité de nuisance, à commencer par sa capacité à faire pression sur la droite pour la contraindre à passer alliance, officiellement ou non, avec elle. De ce point de vue, les élections législatives qui vont suivre seront un bon test de ce nouveau rapport de force qui va s'instaurer entre droite et extrême droite. Toutes ces évolutions sont autant de motifs à réactiver un combat antifasciste qui a eu le grand tort de croire en avoir fini avec l'avatar contemporain de «la bête immonde».

D'autre part et surtout, tout ce qui précède démontre que la meilleure façon de combattre l'extrême droite est de s'attaquer à ses causes profondes, les différentes crises que j'ai rapidement évoquées au début de cet article. Ce qui passe par la lente et patiente reconstruction d'un mouvement social d'orientation anticapitaliste, capable d'élaborer et de rendre crédible, d'abord par les luttes sociales auxquelles il participerait ou qu'il serait capable d'animer, des solutions à ces différentes crises qui soient alternatives à celles aujourd'hui imposées par les forces d'orientation néo-libérale, qu'elles soient de droite ou de «gauche», comme à celles proposées par l'extrême droite. Dans l'immédiat, il est de la responsabilité de tous les mouvements et organisations, qui ne se reconnaissent pas ou plus dans la fausse gauche néo-libérale qui vient d'être défaite et qui défendent des propositions anticapitalistes, de commencer ou recommencer à travailler ensemble, de manière à inscrire à terme la réalisation d'un pareil mouvement dans le champ du possible.

1. J'avoue avoir moi-même, en partie au moins, partagé cette illusion. En fait état l'article publié sous le titre, «Nous avons gagné une bataille, mais nous n'avons pas encore gagné la guerre !» dans A Contre-Courant, n°105, juillet 1999 ; ainsi que dans Ras l'Front, n°76, juillet / août 2000. Une version remaniée et mise à jour de cet article, intitulée «La scission du Front national» a servi de postface à l'ouvrage de Pierre Tevanian, Le racisme républicain, L'esprit frappeur, 2001.Dans sa dernière partie, j'y mettais cependant en garde contre un excès d'optimisme, en écrivant notamment: «Pour autant, nous ne sommes pas encore débarrassés de l'extrême droite. Non seulement parce que, d'une manière générale, les crises foncières que traverse la société française, dont elle s'est nourrie jusqu'à ce jour, ne sont pas résolues pour autant, loin de là même: elles sont, par conséquent, toujours susceptibles d'alimenter des dynamiques politiques régressives et réactionnaires, comme les exemples étrangers (en Italie, en Autriche, en Belgique) nous le rappellent. Mais encore parce que différentes raisons laissent à penser que, malheureusement, l'extrême droite n'a pas fini de faire sentir sa présence y compris au sein de la vie politique française, qu'elle conserve malgré son affaiblissement une capacité de nuisance qui lui permet d'en dégrader les mœurs et les valeurs de référence.»

2. Dans les lignes suivantes, je condense l'essentiel d'une analyse largement développée et argumentée dans Le Spectre de l'extrême droite. La France dans le miroir du Front nationalL'actualité d'un archaïsme. La pensée d'extrême droite et la crise de la modernité

3. On peut évidemment en dire autant des divisions de la droite qui expliquent le piteux score de Chirac, de loin le plus faible qu'ait réalisé un président sortant. Elles ne doivent d'avoir placé Le Pen en tête qu'au fait d'avoir été moins aiguës que celles de la gauche.

4. Il faudrait y ajouter les 2,5 % d'inscrits qui ont voté blanc ou nul. Sans compter tous ceux qui ne prennent même plus la peine de s'inscrire sur les listes électorales.

5. Sondage Louis Harris - AOL, Libération

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