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Le salaire minimum et la «gauche du PT»
Depuis plusieurs semaines, un débat social était au centre des préoccupations d’une grande partie de la population brésilienne: la fixation du salaire minimum. Le gouvernement du Parti des travailleurs (PT), présidé par Lula, proposait, avec ses alliés bourgeois, de fixer le salaire minimum à 260 reals par mois, soit quelque 83 dollars. Une partie de l’opposition, qu’on ne peut pas qualifier de gauche, proposait de fixer le salaire minimum à 275 reals, ce qui reste un revenu largement insuffisant pour survivre au Brésil. En effet, la dernière étude faite sur les inégalités sociales au Brésil indique que plus de 26 millions de personnes occupées, considérées comme pauvres, touchent en moyenne 0,83% du salaire minimum. Par contre, les 10% de salarié-e-s les plus riches touchent 15,25 fois le salaire minimum. Le salaire minimum est donc largement insuffisant pour vivre, mais il n’est même pas, pour des millions de travailleurs et travailleuses, respecté comme norme. Cela se retrouve dans la dernière enquête sur les revenus au Brésil où, en 2001, 50% de la population occupée ne concentrait en ses mains que 14,8% des revenus. Et ces chiffres ne révèlent pas les profondes inégalités entre Blancs d’un côté, mulâtres et Noirs de l’autre, ni les différences entre hommes et femmes, ni celles, criantes, entre régions de ce pays-continent.
Le gouvernement exerça de multiples pressions pour s’assurer qu’à la Chambre des députés sa base parlementaire directe et indirecte (députés du PT et alliés du PMdB) vote contre l’augmentation du salaire minimum à hauteur de 275 reals. Durant le débat, comme l’indique le quotidien Folha de Sao Polo, du 3 juin 2004, des opposants de partis bourgeois s’amusaient à montrer une photo où des ministres de l’actuel gouvernement - José Dirceu (responsable du gouvernement pour la présidence, de fait une sorte de Premier ministre), Antonio Palocci (ministre de l’Economie) et Ricardo Berzoini (actuel ministre du Travail, qui appliqua la réforme de la sécurité sociale) - s’opposaient à l’augmentation du salaire minimum, jugée insuffisante à l’époque du gouvernement précédent de Fernando Henrique Cardoso (1995-2002). La fixation du salaire minimum à 260 reals ne représente en réalité qu’une augmentation de 1,2%, en termes réels, c’est-à-dire si l’on tient compte de l’inflation.
Le plus étonnant est de constater l’alignement de ladite gauche du PT sur les exigences du PT gouvernemental. Certes, les trois députés radicaux, membres aujourd’hui du Mouvement pour le nouveau parti de gauche socialiste et démocratique, ont refusé la proposition gouvernementale. Il s’agit de Baba, de l’Etat du Para, de Joao Fontes, de l’Etat de Sergipe, et de Luciana Genro de l’Etat de Rio Grande do Sûl. La sénatrice Heloisa Helena, Etat d’Alagoas, a déjà fait connaître son opposition lorsque la proposition gouvernementale sera débattue au Sénat. Au cours des dernières semaines, quelque 21 membres de ladite gauche du PT avaient annoncé qu’ils voteraient contre le gouvernement. Les pressions du gouvernement et leurs plans de carrière ont refréné la plupart d’entre eux. Ainsi, seuls 5 membres de la gauche du PT ont voté contre la proposition scandaleuse du gouvernement. Il s’agit de Chico Alencar, de l’Etat de Rio de Janeiro, de Joao Alfredo, de l’Etat de Ceara, d’Ivan Valente, de l'Etat de São Paolo, de Walter Pinherio, de l’Etat de Bahia, et de la doctoresse Clair, de l’Etat du Parana. Ce vote, socialement important et fort symbolique, montre combien les multiples spéculations sur l’importance actuelle que jouerait une gauche du PT - comme le suggèrent des chroniqueurs naïfs de la presse, y compris de la gauche radicale européenne (Rouge) - servent à établir un rideau de fumée afin de cacher la capitulation de la gauche historique du PT face au gouvernement du PT gouvernemental. Malheureusement, un élément supplémentaire tend à conforter ce jugement. Une des principales forces de la gauche historique du PT, Démocratie Socialiste (DS), a décidé lors de la réunion de sa coordination nationale, le 29 mai 2004, de condamner la prise de position d’une partie tout à fait minoritaire de ses membres - toutefois emmenée par deux figures historiques de la DS: Heloisa Helena et Joao Machado - de former une fraction publique sous le nom de «Liberté Rouge» (voir l’article à ce sujet sur notre site)
La coordination nationale de DS - dont un des membres est ministre du gouvernement, Miguel Rossetto, et dont d’autres membres disposent de postes étatiques et para-étatiques significatifs - a clairement indiqué que la participation d’Héloisa Helena et de Joao Machado à la construction du nouveau parti de gauche socialiste et démocratique marquait une rupture avec la stratégie et les décisions de la DS. On peut dès lors se poser la question de savoir si le vote de nombreux membres de la DS en faveur du salaire minimum proposé par le gouvernement Lula s’inscrit dans le cadre de la stratégie de la DS, telle que définie lors de sa dernière réunion nationale, en automne 2003. Il y a des questions qui ne nécessitent même pas de réponses. - C.-A. Udry
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