Bolivie


Pour une grève générale illimitée

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Trois mois après la chute de Sanchez de Lozada convergent à nouveau, dans l'action, trois composantes décisives du soulèvement populaire de septembre et octobre 2003. Le Conseil élargi de la COB et son porte-parole, Jaime Solares, ont lancé un appel à la grève générale (voir article ci-dessous). Le dirigeant paysan des hauts plateaux, Felipe Quispe, affirme son accord avec l'objectif de "fermer le Parlement", mais insiste sur la nécessité d'un mouvement cohérent qui n'introduise pas de césure entre les objectifs proclamés et la pratique. Roberto de la Cruz, de la Centrale ouvrière de El Alto, rejoint cette orientation. Et indique clairement que le Parlement est dominé aux deux tiers par les partis néolibéraux et de droite, qui ont cogouverné avec Sanchez de Lozada.

Dans la tradition du début des années 1970, la COB propose la création d'une assemblée populaire, composée de représentants des travailleurs, des paysans, des classes moyennes paupérisées, des intellectuels liés aux opprimé.e.s et exploité.e.s, et des partis de gauche et socialistes-révolutionnaires. L'assemblée populaire est conçue comme un bras de levier pour faire face au pouvoir en place, comme un élément centralisateur des luttes, comme l'instauration d'une situation de double pouvoir.

Le plan revendicatif est clair: si 75% des revendications ne sont pas acceptées, le mouvement démarrera avec force.

Malheureusement, tout indique que le dirigeant Evo Morales (du Mouvement vers le Socialisme - MAS) oscille et fait, dans une tradition aussi de l'histoire bolivienne, une politique qui dénonce la mobilisation au nom du danger d'un coup d'Etat; alors que Mesa n'hésiterait pas, comme il l'a fait lorsqu'il était vice-président, à réprimer brutalement un peuple déjà exsangue. L'orientation de Morales s'inscrit dans une perspective électorale, de gouvernabilité, qui a été répandue en Amérique latine au cours des années 1990 par le Forum de Sao Paulo, qui a réuni tous l'éventail des forces de gauche. Le plan du MAS et d'Evo Morales apparaît clair: donner la priorité aux élections municipales de fin 2004 et aux élections présidentielles de 2007, au cours desquelles il pourrait se profiler un candidat crédible à la présidence, pense-t-il. Toute la droite et le centre sont réunis pour défendre le Parlement comme institution censée être l'institution démocratique par excellence, face à la mobilisation populaire.

Les semaines à venir en Bolivie rajoutent un élément supplémentaire à la tendance qui laboure la vie sociale et politique du continent, une crise sociale, politique, institutionnelle, qui voit les peuples refuser l'ajustement aux impératifs de l'impérialisme conquérant et de leurs partenaires juniors, les bourgeoisies nationales ou celles qui prétendent l'être. cau

La trêve arrive à sa fin. Un Conseil élargi de la Centrale ouvrière bolivienne (COB) a fait passer hier à tous les syndicats et organisations ouvrières du pays la consigne de commencer une grève générale illimitée, dans un délai de vingt jours, si le gouvernement néolibéral de Carlos Mesa ne répond pas aux revendications sociales et à celles portant sur le travail-l'emploi mais prend au contraire des mesures économiques défavorables au peuple.

Après neuf heures de délibérations, plus de 60 organisations syndicales présentes à la réunion de Cochabamba ont déclaré la guerre au modèle économique de libre marché, qui génère plus d'injustice sociale, de misère et de crise.

La principale conclusion du Conseil élargi de la COB est formulée de la sorte: "Déclarer l’état d’urgence général dans tout le pays, établir et préparer l’arrêt du travail pour une durée indéfinie avec des mobilisations (à mettre en oeuvre dans un délai de vingt jours), planifier les bases pour définir les instruments pour exercer une pression sur le gouvernement et constituer un front politique de lutte contre le gouvernement."

Jaime Solares, le mineur qui est le principal dirigeant de la COB, a déclaré: "Le gouvernement de Carlos Mesa n’est rien d’autre que la continuation du président qui a démissionné en octobre passé (Gonzalo Sanchez de Lozada). Il poursuit via la Banque mondiale et le FMI le même modèle économique. Le nouveau gouvernement devrait éviter de faire souffrir les Boliviens."

Un blocage national des routes figure également parmi les mesures de lutte annoncées. Il sera mis en oeuvre en coordination avec les dirigeants paysans, comme le " mallku " Felipe Quispe [dirigeant paysan qui est aussi à la tête du mouvement indigéniste: Movimiento Indigena Pachakuti].

Le Conseil élargi a décidé également d’exiger la refondation sous contrôle ouvrier de la Corporation minière de Bolivie (COMIBOL) et des YPFB (Yacimentos Petroliferos Fiscales Bolivianos), l’entreprise d’Etat du gaz et du pétrole. Le secteur minier [en crise profonde depuis plus de vingt ans] et le secteur pétrolier [en plein développement, mais géographiquement "hors d'atteinte" des organisations populaires de l'essentiel de la Bolivie] étaient historiquement représentés par ces deux entités publiques: la COMIBOL et l'YPFB.

Critiques contre Mesa

Tout au long de la réunion, des critiques très dures furent adressées au président Mesa, qui avait assumé la présidence du pays le 17 octobre passé, suite au renversement de Sanchez de Lozada par l’insurrection populaire. Il avait alors pris l’engagement de satisfaire une série de revendications populaires.

" Les décisions du Conseil élargi sont la réponse au non-respect par le gouvernement de ses promesses et à son refus de donner satisfaction au cahier de revendications des travailleurs, présenté l’année passée ", déclara Jaime Solares, tout en refusant l’offre gouvernementale d’une hausse de salaires de 3%.

" Il y a des faux-bourdons qui gagnent trente mille, cinquante mille bolivianos, rien que pour être assis au Parlement, quand nous et nos camarades, qui gagnons notre pain de chaque jour par notre travail, sommes payés à peine mille bolivianos et parfois moins ", ajouta-t-il en exigeant que le salaire minimum passe de 440 bolivianos (55 dollars) à 3000 bolivianos (380 dollars) [il faut avoir à l'esprit qu'à l'échelle internationale s'opère une tendance à une égalisation des prix des biens de consommation durables et non durables, alors que le différenciel salarial est gigantesque entre les salaires des pays du centre et ceux de la périphérie; dès lors, le prix d'un simple bien de consommation représente un pourcentage du revenu mensuel qui, souvent, représente un multiple de 5 entre le centre et la périphérie].

Le Conseil élargi a condamné également le projet du gouvernement de faire retomber de nouvelles fardeaux économiques sur le peuple. " Ils veulent nous frapper d’une taxe sur le pétrole, d’un impôt sur le salaire, dans le but de maintenir les privilèges des gouvernants corrompus ", déclara un des représentants des fabriques.

Le Parlement dans la ligne de mire

En plus d’exiger la mise en jugement du président de la Banque centrale de Bolivie, Juan Antonio Morales, pour avoir permis à ceux qui ont perpétré le massacre d’octobre 2003 de retirer leurs avoirs bancaires, la COB dirige ses tirs vers le Parlement.

" Les nouveaux mouvements sociaux vont chercher à fermer le Parlement national, parce qu'il n'opère pas un travail effectif en faveur des Boliviens [...] Le peuple est fatigué de l’intransigeance des députés et sénateurs qui ne veulent rien savoir en matière de réduction de leurs indemnités ", déclara Jaime Solares. Il dénonce le fait que les parlementaires aient augmenté, en janvier 2004, leurs salaires d'élu de presque mille dollars!

" La population bolivienne demande la fermeture du Parlement. A la COB, il ne reste pas d’autre possibilité de réagir qu’en faisant appliquer cette volonté ", ajouta Jaime Solares.

Un défi à Evo Morales

Toutefois, la fermeture du Parlement fut refusée par le Mouvement vers le socialisme (MAS) du cocalero Evo Morales. Le sénateur du MAS, Filemon Escobar [un vieux dirigeant mineur, qui fit ses classe dans le Parti ouvrier révolutionnaire de Guillermo Lora, auteur de très nombreux ouvrages sur l'histoire de la Bolivie et l'histoire du mouvement ouvrier bolivien], déclara à la réunion qu’il fallait préserver le Congrès, la voie électorale et le gouvernement de Mesa pour ne pas provoquer un possible coup d’Etat militaire, qui " ne favoriserait que la Maison-Blanche et Sanchez de Lozada ". La contribution du sénateur Escobar fut reçue par des sifflets.

De nombreuses voix s’élevèrent pour critiquer l’attitude du MAS. L'exécutif de la COB, lui-même, appela Evo Morales à définir une fois pour toutes " s’il est avec le peuple ou avec le gouvernement de Mesa ".

Evo Morales avait été invité à participer au Conseil élargi de la COB, comme d’ailleurs le dirigeant paysan Felipe Quispe. Mais Morales n’est pas venu. Lors de cette réunion de Cochabamba, il fut établi que l’unité des secteurs sociaux et ouvriers est fondamentale pour atteindre des résultats positifs dans la lutte sociale. C’est pourquoi, il fut décidé de " constituer un front politique qui trouve sa base dans la COB et dans la pensée révolutionnaire des travailleurs ". (Cochabamba, 23 janvier 2004)

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