Bolivie


président Carlos Mesa

Le nouveau président, Carlos Mesa, continue la vieille politique

Les masses insurgées s'étaient à peine repliées et la tourmente sociale était encore en voie d'apaisement lorsque, dès sa première semaine au poste de président, Carlos Mesa Gisbert, a clairement signifié que le néolibéralisme continuerait à être pleinement appliqué en Bolivie, dans la continuité des mesures politiques prises par le président déchu, Gonzalo Sanchez de Lozada.

C'est là un sérieux revers pour les organisations sociales et politiques qui lui faisaient confiance. La désillusion et le malaise se font ainsi sentir dans le MAS (Mouvement vers le Socialisme) dirigé par Evo Morales,

Depuis son entrée en fonction, le vendredi 17 octobre, Mesa a multiplié les gestes de conciliation avec les secteurs sociaux opposés au modèle du libre marché. Néanmoins, dans les faits, il a développé une politique qui n'est pas substantiellement différente de celle de son prédécesseur, qui était considéré comme l'un des promoteurs du néolibéralisme en Bolivie.

Ainsi, après avoir choisi un cabinet de «technocrates néo-libéraux», le gouvernement de Mesa s'est publiquement engagé à respecter les accords  avec le Fonds Monétaire International (FMI), à signer avant la fin de l'année à un traité de libre commerce avec le Chili, à impulser l'exportation de gaz aux Etats-Unis, à réviser la Loi sur les Hydrocarbures en accord avec les transnationales qui opèrent dans le pays et à ne pas interrompre la politique d'éradication forcée de la coca dans le Chapare.

La désillusion du MAS

Ces mesures politiques de libre marché ne ressemblent en rien au «début de la fin du néolibéralisme», qu'avait espéré le Mouvement vers le Socialisme (MAS) de Evo Morales, qui s'était dit confiant que Mesa romprait avec le néolibéralisme et modifierait les lois qui en constituent la colonne vertébrale.

«Si on commence à changer ces normes, l'un [Mesa] depuis le Palais du gouvernement, et l'autre [le MAS] depuis le Congrès, ce modèle économique devra peu à peu changer, et se réorienter de manière à ce que nos entreprises et les ressources naturelles reviennent aux Boliviens» affirmait Evo Morales, peu après que Mesa ait été nommé à la présidence par le Congrès.

À cette occasion, les promesses de Mesa concernant l'organisation d'un référendum, l'exportation du gaz aux Etats-Unis et la convocation d'une Assemblée constituante avaient été considérées par Morales comme étant à 80% compatibles avec les messages du MAS.

Mais maintenant le discours a bien changé. «Le président Mesa ne peut pas reprendre à son compte la politique de Sanchez de Lozada», a déclaré le dirigeant du MAS, le parti qui a eu la plus grande influence auprès des syndicats au moment d'ouvrir la voie à la succession présidentielle en faveur de Mesa.

Le "mallku", Felipe Quispe, dirigeant de la Confédération Unique des travailleurs Paysans de Bolivie (CSUTCB), s'était montré beaucoup plus critique, et il avait prévenu qu'après les trois mois de trêve, ils s'en prendraient au nouveau président.

«Nous savons que Mesa est l'alternative des Etats Unis, mais nous lui donnons une chance de répondre aux revendications de nos gens, sans transiger comme l'a déjà fait le traître Evo Morales»,a-t-il dit, en se référant au fait que le chef du MAS a peu participé au soulèvement populaire, mais a par contre fait peser son influence en faveur de la présidence de Mesa.

Le poids du FMI

L'orientation néo-libérale du régime a été officiellement  dévoilée lorsque le Ministre des finances, Javier Cuevas, a assuré que les programmes souscrits avec le FMI seraient strictement respectés, malgré le fait que ceux-ci ont été sévèrement mis en cause par les organisations sociales et syndicales. Ces dernières les considèrent comme étant responsables de l'aggravation de la crise économique, de l'augmentation du chômage et de la pauvreté. Et ce sont justement ces facteurs qui ont impulsé la récente rébellion populaire en Bolivie.

En outre, Cueva, qui a été durant de nombreuses années le conseiller économique de la Confédération des Entrepreneurs Privés de Bolivie, a défendu les programmes du FMI comme si c'étaient les siens. «Ces programmes sont ceux du gouvernement de la Bolivie, ils ne nous ont pas été imposés. Par contre si on demande de l'argent, il faut accepter certaines conditions» a-t-il prévenu, lorsqu'il a annoncé qu'il continuerait à appliquer la nouvelle orientation budgétaire et fiscaleainsi que l'adoption de mesures restreignant les dépenses publiques.

Cette politique a également été soutenue par l'ambassadeur des Etats-Unis, David Greenlee, qui a fait don de huit millions de dollars pour contribuer à fermer la brèche fiscale.

L'éradication des cultures coca

Un autre aspect fondamental de la politique gouvernementale est la poursuite sans trêve ni pause de l'éradication forcée de la coca dans le Chapare, malgré les illusions d'Evo Morales concernant le nouveau régime.

Cette politique, qui est fermement soutenue par l'Ambassade des Etats-Unis, a provoqué ce jeudi la mort d'un soldat des Forces d'intervention conjointes pour l'éradication, et six autres personnes ont été blessées lorsqu'un "cazabobos" (littéralement attrappe-nigauds, explosif artisanal) a explosé tout près du Parc National Isiboro Sécure.

Le travail d'éradication des cultures de coca est permanent, comme le sont également les conflits entre les producteurs de la feuille et les forces anti-drogues.

Accords avec les transnationales

Le troisième point qui montre l'orientation de l'administration actuelle concerne la révision de la Loi sur les Hydrocarbures en accord avec les entreprises transnationales qui sont actuellement les propriétaires du gaz et du pétrole que l'on extrait en Bolivie.

Initialement, le président Mesa avait annoncé qu'il chercherait à obtenir que l'exploitation de ces ressources naturelles bénéficie à parts égales aux compagnies pétrolières et à l'Etat, de manière à renverser l'actuelle distribution inégale (82% pour les compagnies pétrolières et 18% pour l'Etat).

Néanmoins, à peine quelques jours plus tard, le Ministre des Hydrocarbures, Alvaro Rios, a annoncé officiellement qu'aucun paramètre de répartition des bénéfices n'avait été défini. En outre, il a averti les éventuelles modifications de cette Loi ne devraient pas faire fuir les investissements étrangers.  Et là encore, l'Ambassade des Etats-Unis et celle d'Espagne [car le pétrolier Repsol est l'un des principaux acteurs de la prise de contrôle du gaz et pétrole de Bolivie] ont demandé qu'on ne porte pas atteinte aux intérêts des entreprises de ces deux pays implantées en Bolivie.

L'exportation de gaz

Ce qui a cependant le plus contrarié les dirigeants des organisations syndicales et populaires, qui avaient accordé une trêve à Mesa, a été l'annonce officielle que le nouveau gouvernement poursuivait l'idée d'exporter le gaz aux Etats-Unis, via un port du Pacifique, alors que c'est justement ce projet qui a déchaîné le soulèvement civil de septembre et octobre.

En droite ligne de la politique du président démissionnaire Sanchez de Lozada, le ministre des Hydrocarbures de Mesa a déclaré que ce projet était vital pour la Bolivie, et que le référendum, dont la date n'a pas encore été fixée, ne porterait que sur les modalités du projet d'exportation. Tout cela est bien loin des promesses initiales de Mesa, qui s'était engagé à soumettre à une consultation populaire la réalisation ou non de ce projet.

Ce pas en arrière a beaucoup contrarié des dirigeants qui, comme Evo Morales et Jaime Solares, de la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB), avaient jusqu'à maintenant donné des signes d'entente avec le nouveau régime.

«La position du ministre Rios semble conforme aux intérêts des transnationales. Les organisations civiques et sociales confirment leur détermination à ne pas vendre cette ressource énergétique, dont la commercialisation doit se faire au bénéfice des Boliviens»,a annoncé Solares.

Oscar Olivera, membre de la Coordination de Défense du Gaz, a pour sa part averti: «Le président est en train de donner un mauvais signal en n'écoutant pas la volonté du peuple de ne pas vendre le gaz aux conditions que voulaient imposer Gonzalo Sanchez de Lozada et les transnationales».

D'autres, plus méfiants, montraient que les mesures annoncées par Mesa étaient déjà en voie d'être réalisées, et que le nouveau président n'accepterait pas les revendications économiques et politiques des secteurs sociaux et populaires mobilisés jusqu'au 17 octobre.

«Nous savons que l'actuel président, Carlos Mesa, ne va satisfaire nos demandes, nous savons qu'il est entouré d'une loge chiliphile (pro-chilienne), nous savons qu'il est pris dans les intérêts de l'oligarchie, des transnationales et des Etats-Unis» a déclaré Roberto de la Cruz, le principal dirigeant de la Centrale Ouvrière régionale (COR) de El Alto.

Libre commerce avec le Chili

Les paysans également ont laissé entendre des grondements de protestation lorsque le Chancelier de la République, Juan Ignacio Siles, a annoncé officiellement qu'avant la fin de l'année la Bolivie signerait un traité de libre commerce avec le Chili. En effet, selon les dirigeants paysans, un tel traité serait létal pour l'agriculture des paysans de la partie occidentale du pays, tout en bénéficiant les exportateurs de produits agricoles.

Selon les paysans, ce Traité approfondirait la crise productive de l'agriculture bolivienne et aurait un impact négatif pour les petits producteurs qui perdraient ainsi leur part de marché et leurs revenus dès son entrée en vigueur ces cinq prochaines années. La suppression des tarifs douaniers prévue par le traité favorisera l'importation de masse de produits chiliens meilleur marché comme les oignons, le blé, les pommes de terre, les tomates, les fruits, les produits laitiers, la viande, les légumes et ainsi de suite, obligeant ainsi les paysans boliviens à abandonner leur propre production.

«Nous savons que Mesa n'est pas ce qu'il y a de mieux pour la Bolivie. Nous restons vigilants dans nos communautés. Nous n'avons pas baissé la garde, la lutte continue» a déclaré le "Mallku" (Felipe Quispe), député et chef du Mouvement Indigène Pachakuti (MIP), dans lequel se manifestent, toutefois, également des fissures et des désaccords.

«Ce n'est pas le moment de brandir des menaces ni de fixer des délais au président Carlos Mesa, car le pays a besoin de reprendre le souffle, il a besoin de temps (...) Laissons-le travailler. Je dirais que tous les parlementaires, tous les dirigeants, nous devrions le soutenir, lui donner un coup de main», a répondu Juan Gabriel Bautista, député du MIP. 25 octobre 2003

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