Bolivie
Nouvelle journée de mobilisation
Le 16 octobre, au moins un quart de million de travailleurs et d'habitants de presque tous les quartiers populaires de El Alto (situé en surplomb de La Paz) et de La Paz ont entouré le Palais du gouvernement et ont donné une dernière chance au millionnaire Gonzalo Sanchez de Lozado pour qu'il renonce à la présidence du pays et quitter la Bolivie.
La gigantesque mobilisation de masse a occupé le centre de La Paz durant plus de 8 heures, elle a été plus nombreuse, mieux organisée et plus radicale que l'imposante manifestation de la veille 15 octobre (voire sur le site l'information de cette date).
A la Plaza San Francisco de La Paz, la foule est réunie à la mi-journée en assemblée ouverte ; elle a décidé d'approfondir encore davantage la mobilisation sociale dans tout le pays. Elle a demandé aux hommes et aux jeunes de se préparer au combat de rues contre les blindés et les mitraillages des soldats.
«Il faut creuser des tranchées dans chaque quartier, il faut créer des groupes d'autodéfense», a déclaré le mineur Jaime Solares, leader de la Centrale ouvrière bolivienne (COB). Il a également ordonné le maintien du siège du Palais du Gouvernement, gardé par des blindés, des barrières précaires et des soldats extrêmement tendus.
Patience à bout
«C'est une bataille de longue haleine», a répondu Solares, de la COB, aux cris des jeunes et d’universitaires qui voulaient lancer immédiatement l'assaut contre le Palais gouvernemental, situé à quatre blocs d'immeubles de Plaza San Francisco.
Depuis l'approfondissement de la crise, le président Sanchez de Lozada s'est retranché dans la résidence présidentielle située dans la zone résidentielle de San Jorge, au sud de la ville et à quelques kilomètres du centre. Des groupes de manifestants voulaient aussi se rendre à cet endroit, pour en finir une fois pour toutes avec cet «tueur de gens», ce «maudit gringo», comme on appelle le président dans les quartiers ensanglantés de El Alto et de La Paz.
A la différence d’hier (15 octobre), les slogans repris par la foule sont plus radicaux. «Maintenant oui, la guerre civile, maintenant oui, la guerre civile», crient des milliers d'hommes, de femmes, de personnes âgées comme d'enfants, agitant les bâtons qui servent pour leur défense.
Les discours aussi sont radicaux et tous disent la même chose: que le gringo s'en aille ! Tous disent la même chose, mais ils ne disent pas comment, ni quand. Les gens, désespérés, veulent davantage. Ils veulent en finir maintenant avec le président. Les dirigeants cherchent à calmer la base, tulmultueuse. Les directives sont de maintenir le siège, d'occuper les rues et de renforcer la pression sur le Palais gouvernemental.
Les discours terminés, des manifestations ont lieu dans les rues centrales ; un grand nombre de manifestants rejoignent leurs postes, contrôlant presque chaque coin du centre de la ville. D'autres rentrent dans leurs quartiers.
Au centre, on retrouve des mineurs, des cocaleros (cultivateurs de coca), des paysans du sud, des universitaires, des ouvriers, des enseignants, des retraités, des commerçants et des jeunes, beaucoup de jeunes. Dans certaines rues, il y a des affrontements, des gaz lacrymogènes, de précaires barricades et des pneus brûlés. Dans d'autres rues, les cocaleros de Yungas et les habitants de Villa Fatima partagent pain et boissons avec des policiers. C'est un soulèvement populaire, multiple, contradictoire, une fourmilière humaine qui se fatigue d'attendre que le gringo s'en aille: «Il faut le sortir, il faut l'expulser».
«Il faut attendre encore un peu», répondent des dirigeants intermédiaires de la COB, qui annoncent l'arrivée d'autres contingents de paysans, de commerçants, de cocaleros, en provenance de Cochabamba, d'Oruro et de Potosi. Dans ces districts également, la protestation prend de l'ampleur, il y des grèves, des manifestations et des rébellions.
Un front commun
Les secteurs des classes moyennes supérieures, intellectuels, défenseurs des droits de la personne humaine, salariés très qualifiés, attendent eux aussi. Ils ont mis en place une trentaine de piquets de grèves de la faim dans les temples et églises de presque toutes les villes du pays. Les quartiers résidentiels veulent aussi le départ du président: des veilles dans les églises sont organisées ; ils manifestent également, escortés par la police, demandant que Sanchez de Lozada s'en aille. Se forme ainsi dans la rue un front commun entre les secteurs populaires et les classes plus aisées pour que cesse le massacre.
Issue incertaine
«On ne peut pas tolérer que l'on continue à tuer ainsi des gens ; nous voulons travailler et la seule issue est que le président s'en aille», déclare un des leaders improvisés de la protestation des secteurs de classe moyenne. Ils ont aussi peur que le soulèvement ne se transforme en révolution sociale. C'est pour cette raison qu'ils réclament que «l'issue doit être la succession constitutionnelle» (qui prévoit que le vice-président prenne la place du président), comme le demandent les défenseurs des droits de la personne humaine et comme le disent ceux qui appuient le vice-président de la république, Carlos Mesa, qui s'est distancié plus nettement de Sanchez Lozada.
Parmi ceux d'en haut de l'échelle sociale, il y a aussi de la solidarité avec les paysans qui se sont rassemblés Plaza San Francisco. Cette solidarité devient fraternité dans les quartiers populaires. Les habitants ouvrent leurs maisons aux cocaleros et aux paysans ; ils partagent avec eux pain et coca, avant la bataille.
«Tous les mineurs doivent se rendre immédiatement à La Paz», exige le dirigeant de la COB, en prévision du fait que Sanchez Lozada et surtout, l'ambassade américaine, donnent l'ordre aux troupes de reprendre leurs massacres.
En début de soirée, depuis la résidence présidentielle, le ministre de la défense Carlos Sanchez Berzain a fait savoir par l'intermédiaire de la radio catholique Fides que le président ne se retirera pas et que ceux qui exigent sa démission «n'ont aucune chance de gagner».
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