Afghanistan:

Ne faites aucune mention de la guerre en Afghanistan
L'effondrement tout prochain de la paix dans ce pays brutal est
une histoire complètement effacée de l'esprit des Américains

Robert Fisk

On peut lancer un pari certain sur la résolution qui va être soumise aujourd'hui au Conseil de Sécurité des Nations Unies par le Secrétaire d'Etat Américain Colin Powell - ou par le Général Colin Powell comme l'a mystérieusement rebaptisé la presse américaine: il ne parlera pas de l'Afghanistan.

Puisque la guerre afghane joue le rôle de modèle à suivre pour l'aventure impériale à venir de l'Amérique à travers le Moyen-Orient, l'effondrement tout proche de la paix dans ce pays brutal ainsi que l'érosion constante des forces américaines en Afghanistan ne peuvent être mentionnés. On assiste actuellement dans ce pays à des attaques nocturnes contre les troupes américaines et internationales, à une anarchie totale dans les villes autres que Kaboul, à la seigneurie de guerre (les seigneurs de guerre sont là), au trafic de drogue et à un nombre croissant de meurtres. Tout cela ne peut être mentionné et est une histoire constamment effacée de la conscience des Américains qui sont en train d'envoyer leurs jeunes hommes et femmes par dizaines de milliers pour mettre en scène une nouvelle histoire " à succès ".

Cet article est écrit dans l'Etat du Texas qui est celui du Président George Bush. C'est l'Etat où flotte actuellement le drapeau en hommage aux victimes du crash de la fusée Columbia. C'est, également, l'Etat où l'envoi vers le Moyen-Orient de troupes supplémentaires de Brigades de défense aérienne - au même titre que le déploiement imminent depuis une base de l'Etat voisin du Nouveau Mexique d'un nombre non révélé de bombardiers furtifs Nighthawk - n'a pas fait l'objet d'un article de plus de 78 mots au bas de la page des rubriques locales du journal du coin  Austin.

Ce n'est qu'à New York et à Washington que des individus pontifiants suggèrent de façon obscène que la mort de l'équipage de la navette Columbia pourrait augmenter la détermination des Américains ainsi que leur unité dans le soutien à l'aventure de Bush en Irak. Il y a quelques mois encore, on nous aurait demandé de croire que le "succès" post-guerre en Afghanistan augurait du succès de l'après-guerre irakien.

Regardons donc un instant derrière le rideau et scrutons les malheurs du pays que le Président Bush comme le Premier Ministre Blair ont promis de ne pas oublier. Qu'ils lèvent la main ceux qui savent qu'al-Qaida possède une station radio opérant à l'intérieur de l'Afghanistan et qui appelle à une guerre sainte contre l'Amérique! Et cela est vrai.

Qu'ils lèvent la main encore une fois ceux qui peuvent deviner quel est parmi les caches d'armes découvertes quotidiennement par les troupes américaines le pourcentage de celles qui ont été constituées depuis la fin de la guerre «victorieuse» des Américains ? Réponse: 25 pour cent.

Est-ce que des troupes américaines se sont retirées d'une seule de leurs positions le long de la frontière pakistano-afghane? Vous répondrez sans doute que non et vous aurez tort.

Des cinq positions abandonnées, selon des sources pakistanaises de l'autre côté de la frontière, les Américains n'en ont reconnu qu'une seule. Le 11 décembre 2002, les troupes américaines ont abandonné leur avant-poste militaire de Lwara, après des attaques nocturnes à la roquette qui ont détruit plusieurs de leurs véhicules militaires. Leurs alliés afghans ne sont partis eux que plusieurs jours plus tard et les combattants d'al-Qaida ont alors pris d'assaut l'enceinte américaine qu'ils ont brûlée.

Encore un signal qui montre combien l'effondrement de la mission américaine en Afghanistan est sérieux: le super-conservateur Wall Street Journal, qui constitue normalement un supporter fidèle de la politique israélienne et impériale menée au Moyen-Orient comme en Asie du Sud-Est, a consacré un étrange et long article à la retraite américaine, que le journal ne nomme bien sûr pas de cette manière.«Les soldats doivent encore se confronter à un ennemi invisible» est le titre de l'enquête de Marc Kaufman, un titre presque identique à celui qui a été donné à une histoire écrite par moi-même une année environ après l'invasion de l'Afghanistan par les Russes, en 1979 ou 1980.

Dans mon article, les soldats étaient bien sûr des Russes. En effet, en même temps que je me remémore l'officier soviétique qui nous avait dit, alors, sur la base aérienne de Bagram (près de Kaboul), que les «restes du terrorisme moujahedin» étaient tout ce qu'avait laissé la conspiration occidentale contre les Afghans amoureux de la paix (et Communistes), j'observe les commentateurs américains qui disent, aujourd'hui, sur la même base militaire de Bagram, que tout ce qui reste d'al-Qaida a été laissé par les légions de Ben Laden.

Des camps d'entraînement ont été réinstallés en Afghanistan, pas comme les Américains le pensent par les forces récalcitrantes des Afghans antiaméricains de Gulbuddin Hekmatyar [un chef fondamentaliste afghan du Hezb-e-Islami, allié aux Etats-Unis dans les années 1980], mais par des Arabes. La récente bataille entre des forces américaines et des «restes» d'ennemis près de Spin Boldak dans la province de Kandahar, impliquait surtout des combattants arabes, comme l'a rapporté mon collègue Phil Reeves. Les forces du Hezb-i-Islami de Hekmatyar ont  «établi des liens» avec al-Qaida et les Talibans; exactement ce qu'ont fait entre eux les «restes terroristes» moujahedin au cours de l'année 1980, une année après l'invasion soviétique.

Un Américain tué par une mine antipersonnel placée récemment à Khose; 16 civils partis en poussière sur une autre mine placée depuis peu aux alentours de Kandahar; des grenades lancées contre des Américains ou des troupes internationales à Kaboul; des récits de viols et de classes de filles brûlées dans le nord de l'Afghanistan. Tous ces événements ont le goût âcre de la guerre d'hier.

Soyez donc sûr que Colin Powell ne parlera pas aujourd'hui [date de sa prestation théâtrale du 5 février] devant le Conseil de Sécurité du succès de la guerre des services secrets américains en Afghanistan.

C'est une chose que de proclamer que des images satellites montrent que des produits chimiques se baladent à travers l'Irak ou que des appels téléphoniques interceptés prouvent que des scientifiques irakiens sont toujours en train de faire leur sale boulot; mais c'en est une autre que d'expliquer comment toutes les interceptions de communications  que les Américains ont soi-disant effectuées en Afghanistan ne prouvent rien. Pour tout ce qui concerne l'Afghanistan, vous pouvez toujours citer Basil Fawlty [personnage troupier comique inventé par John Cleese] qui dit que«Quoi que vous fassiez, ne mentionnez jamais la guerre.» (5 février 2003)

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