Venezuela

Chavez durant son intervention aux Nations-Unies en septembre 2006

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Les «nationalisations» de Chave

Milton D'Leon *

Nous publions ci-dessous un article qui exprime des critiques, souvent précises, face au «processus bolivarien» et cela à partir d’une pratique militante au Venezuela. Toutefois, il nous paraît important de souligner  quelques points qui, selon nous, devraient être pris en compte. Nos remarques ne visent pas cet article, mais diverses prises de position qui se manifestent au sein de certains courants politiques de la «gauche radicale» en Amérique latine.

Tout d’abord, le processus en cours au Venezuela s’inscrit, de fait, dans la dynamique politique complexe de tout un continent; une dynamique qui ne peut être assimilée simplement à une «montée des masses populaires». Une telle appréciation unilatérale serait une erreur profonde.

L’offensive du Capital international et de ses représentants ainsi que celle l’impérialisme étatsunien se manifestent sous diverses formes: que ce soit en Colombie, au Mexique avec des gouvernements ouvertement réactionnaires et répressifs ou sous la forme de gouvernements «progressistes» – du moins tels qu’ils sont présentés en Europe – tels que ceux de Lula au Brésil, de Tabaré Vasquez en Uruguay ou de Cristina Fernandez de Kirchner en Argentine. A cela s’ajoute la «nouvelle politique» de l’administration Obama dans le cadre de l’OEA, instrument de la présence impérialiste dans l’Amérique, depuis la frontière avec le Mexique jusqu’à la Terre de Feu.

C’est précisément dans ce cadre qu’il faut situer le processus socio-économique et politique en cours au Venezuela: la «révolution bolivarienne». Sans cela, le risque est grand de se placer politiquement en dehors des affrontements réels d’ensemble en cours.

Le Venezuela de Chavez est un «obstacle» que l’impérialisme étatsunien voudrait bien voir renversé. C’est un fait d’évidence. Ne pas saisir ce point élémentaire donne à des critiques, souvent justifiées sur un point ou un autre, la tournure d’une approche politique qui s’extrait des conflits de classes et des affrontements politico-institutionnels dans le continent.

En outre, le gouvernement de Chavez et les masses populaires qui le soutiennent ont chamboulé complètement la scène politique dominée par les forces bourgeoises, représentées depuis 40 ans par l’Action démocratique («social-démocrate»), la COPEI («social-chrétien») et l’Union Républicaine. A la sortie de la dictature militaire de Marcos Pérez Jiménez, les représentants de ces forces, réunis dans la propriété (la quinta Punto Fijo) de Rafael Caldera, dirigeant de la COPEI, ont défini les règles d’un accord devant leur assurer, sur le long terme, le pouvoir et l’usage de la rente pétrolière (c’est le célèbre Pacte de Punto Fijo de 1958).

Or, un dur conflit se développe, depuis des années, sur le terrain politique. En effet, le «système de Punto Fijo» a été mis en pièces par «la révolution bolivarienne», ce qui affaiblit fortement la bourgeoisie. Cela qui ne signifie pas que cette dernière ne cherche pas, sans cesse, à se recomposer au plan politique, avec le soutien des Etats-Unis. On ne peut ignorer ou sous-estimer ce conflit politique et de classes, au nom de critiques légitimes face à la forme caudilliste de gestion politique de Chavez.

On ne peut que partager les réflexions critiques qui soulignent l’actualité de thèmes tels que: celui du rôle et du fonctionnement verticaliste du PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela), un parti très lié à l’appareil d’Etat et à la famille Chavez; celui de la position et surtout de l’indépendance du mouvement syndical (UNT- Union nationale des travailleurs); celui de la place «accordée» à l’intervention directe et effective des travailleurs et travailleuses dans les entreprises de production et de distribution; celui du contrôle populaire sur les décisions politiques marquées par un fort verticalisme encourageant la «délégation à l’Etat», qui, lui, tend à s’affirmer comme la «grande machine» qui va «résoudre tous les problèmes», sous la «surveillance» de Chavez; celui de cette délégation à l’Etat qui aboutit à accroître la combinaison de passivité populaire relative et de poids acquis par une micro-bureaucratie qui fleurit.

Certes de tels processus de «prise en mains» de leurs affaires par les couches populaires nécessitent du temps: une transition précisément. Toutefois, les difficultés à concrétiser un tel processus dans une formation sociale comme celle du Venezuela ne doivent pas servir à nier l’importance d’opter pour une telle direction, pour une telle voie à emprunter, pour un tel parcours à poursuivre.

Cet Etat devient aussi le lieu de la production d’une bourgeoisie qualifiée, correctement, de boli-bourgeoise, marquée par tous les traits de la corruption, en particulier ceux propres aux économies rentières (pétrole).

L’Etat peut servir, dans de tels processus «révolutionnaires», à la fois, de médiation utile à la mobilisation populaire, ouvrière et paysanne et d’instrument permettant la recomposition d’une néo-bourgeoisie qui, demain, pourrait effectuer – selon la conjoncture – des alliances, plus organiques, avec «l’ancienne bourgeoisie» et des secteurs de l’armée. Cette dualité contradictoire de la forme Etat n’est pas nouvelle dans un processus de changements dynamiques qui traversent une société.

La priorité doit donc être donnée – dans une transition qui, chaque fois, est spécifique, ce qu’indique toute l’histoire concrète des «processus révolutionnaires» – au rôle direct des «masses laborieuses». Un rôle qui, pour être amplifié, a besoin de divers soutiens d’ordre: matériel, sanitaire, éducatif, technique, y compris militaire.

Par exemple, les habitants des quartiers urbains pauvres envoyés dans la campagne pour occuper des terres, mais qui ne disposent pas de savoir-faire en  termes d’agriculture, doivent recevoir un appui technico-matériel et une formation, afin de pouvoir produire. Le statut de coopératives assistées par l’Etat, mais improductives, n’est pas exactement la traduction d’une réforme agraire effective devant assurer la «souveraineté alimentaire» et la diminution des importations de biens alimentaires qui sont énormes au Venezuela !

Le contrôle ouvrier des entreprises nationalisées est aussi décisif, ne serait-ce que pour établir les éléments possibles d’une négociation avec les propriétaires expropriés. Une négociation peut même impliquer, selon nous, une certaine indemnisation, si cette dernière permet de s’assurer la domination d’une technologie et l’assurance de transferts de biens intermédiaires, durant une période.

Mais ce «paiement» (sa forme et son volume, comme ses contreparties) – effectué pour assurer la production qui, parfois, devra être réorientée – doit être effectué sous le contrôle effectif des salariés. Ces derniers connaissent le processus de production et la situation de l’entreprise, son degré de dépendance technique, ses débouchés, etc. Leur intervention directe et indépendante doit être un élément indiscutable d’une négociation; de plus, cette dernière peut donner lieu à un vaste débat public, ce qui est un facteur éducatif de masse sur le contenu et le pourquoi du «contrôle ouvrier et populaire», avec les prolongements politiques qu’il implique.

Cela d’autant plus dans une période de crise économique mondialisée qui frappe l’ensemble des économies, certes à des degrés divers, et met la question des «nationalisations» (fictives, comme en Allemagne ou aux Etats-Unis) à l’ordre du jour. Il y a dans cette intervention des travailleurs une double dimension: une remise en question des rapports de production (expropriation vers la socialisation) et un renversement des rapports de domination lié à division sociale du travail comme au pouvoir lié à l’Etat bourgeois.

Un processus de l’importance de celui qui se déroule au Venezuela – et qui ne se limite pas aux discours et décisions de Chavez – impose soutien et réflexions critiques (au sens de volonté de comprendre au mieux), faites sans arrogance. (cau)

******

Le 21 mai 2009, sur la chaîne nationale, le président vénézuélien Hugo Chavez a ordonné que plusieurs entreprises du secteur de production de fer et de l’acier (à l’ouest du pays) – Matesi, Comsigua, Orinoco Iron, Venprecar, Tavsa (tubes d’acier pour le secteur pétrolier) soient nationalisées. Il a également ordonné depuis Ciudad Guayana (ville de l’Etat de Bolivar), la nationalisation de Ceramicas Carabobo, qui produit des briques réfractaires (des briquettes de minerai de fer ou des plaques de fer) pour les industries de base.

Comme on pouvait s'y attendre, le secteur patronal local ainsi que les Chambres patronales d'Argentine (diverses firmes dont des actionnaires argentins) ont protesté devant ces «attaques de Chavez contre la propriété privée», alors que des travailleurs de certaines des entreprises, engagés depuis des mois dans un processus de lutte, ont considéré ce développement comme une victoire.

Avec ces mesures, Chavez étend son contrôle à toute la chaîne de production ferro-sidérurgique du pays. En même temps il vise à endiguer la forte combativité ouvrière et la crise syndicale qui sévit depuis des mois dans cette région industrielle.

L'achat de «souveraineté nationale»

Certaines de ces entreprises, comme Sidor, sont de taille moyenne et ne concernent pas un nombre élevé de travailleurs. Mais d'autres, à l’échelle de l’industrie du Venezuela, comme l'entreprise Orinoco Iron avec plus de 700 travailleurs, Comsigua (Complejo Siderurgico Guayana - CVG) avec 250, Matesi (Materiales Siderurgicos) avec 130, Tavsa (Tubos de Acero de Venezuela) avec 364, Venprecar (Venezolana de Prerreducidos Caroni) avec 232 et Ceramicas Carabobo avec quelque 200, emploient ensemble presque 2000 travailleurs directs (donc sans compter les sous-traitants) qui entreront dans la sphère de l'Etat.

D'ailleurs, certaines de ces entreprises sont contrôlées par le capital étranger. Ainsi Matesi est contrôlée par Ternium (Groupe Techint, argentin) à hauteur de 50,2% du capital et par Sidor pour 49,2%; Tavsa est contrôlé à hauteur de 70% de son capital par Techint (70%) et de  30% par CVG); Consigua est en mains de la transnationale japonaise Kobe Steel pour environ 60%, et le reste est réparti entre Techint, Fmo et Maruben; Orinoco Iron et Venprecar, filiales de de Sivense (avec des actions du groupe austalien-britannique BHP Billiton et des capitaux locaux), alors que Ceramicas Carabobo appartient aux «capitalistes locaux» Boulton, Grupo Cisneros et Banco Mercantil.

Ces mesures annoncées s'ajoutent à celles prises, il y a quelques mois, comme l'acquisition d'une des usines d'aliments de Cargill (une des principales firmes mondiales du secteur agroalimentaire, ayant son siège se trouve à Minneapolis, présente dans 67 pays et avec 160'000 salarié·e·s). Il faut y ajouter, il  y a un mois, la prise de contrôle par PDVSA (Petroleos de Venezuela SA) de 76 entreprises moyennes du secteur des hydrocarbures (en majorité à capitaux locaux et opérant sur le lac de Maracaibo) ainsi que l'annonce récente de l'achat de Banco de Venezuela.

Très vite, Chavez a déclaré que toutes ces firmes seraient dûment indemnisées, comme il l'avait déjà fait pour les transnationales (associées à 40%) dans la Faja del Orinoco, pour l'achat au «prix du marché» de Cantv (télécommunications), Elencar (électricité) et pour les cimenteries des transnationales Holcim (Suisse - qui a reçu une indemnisation se situant entre 570 et 600 millions de dollars, ce qui est une bonne affaire pour une entreprise qui ne faisait pas 1% du chiffre d’affaires de la firme de Thomas Schmidheiny) et Lafargue (France), ainsi que le paiement récemment de 1970 millions de dollars pour l'achat de Sidor (le groupe argentin a reçu cette somme de 1,9 milliards de dollars, ce qui dans cette période de crise de la sidérurgie tombait bien).

Comme nous le voyons ce que fait Chavez n'est rien d'autre d'un achat direct de ce qu'il appelle «souveraineté nationale». Il se repositionne ainsi dans des secteurs clés de l'économie nationale en payant des milliers de millions de dollars aux pieuvres internationales (voir, ci-dessous, «Combien cela lui coûte-t-il?»), alors que ces entreprises devraient être expropriées sans indemnisation.

Lorsque commencent à arriver dans le pays les vents de la crise, le gouvernement coupe dans les budgets, augmente la TVA et le prix des produits de base, mais choisit de payer religieusement les transnationales. Or, ces paiements ne font qu'augmenter la saignée budgétaire, raison pour laquelle ces entreprises devraient être expropriées sans aucun paiement et passer sous le contrôle direct des travailleurs.

Il faudrait utiliser tout ce potentiel pour satisfaire les besoins urgents de la population, alors que cette dernière voit son niveau de vie baisser et le taux de chômage augmenter du fait même des «ajustements» du gouvernement.

Mettre la pression pour assouplir les cordons de la bourse

Comme on pouvait s'y attendre, toutes les associations patronales et l'opposition de droite ont protesté. Le groupe Techint d'Argentine a été l'un des principaux protestataires, à côté des  chambres patronales en Argentine, comme Union de Industriales (Union d'Industriels - UIA), Association Empresaria Argentina (Association Patronale Argentine - AEA), les Camaras de Exportadores y de Comercio (Chambres d'Exportateurs et de Commerce), en plus d'une série d'entités qui regroupent  les banques privées argentines et étrangères.

Toutes ces associations exigeaient de Cristina Fernandez Kirchner (présidente de l’Argentine) qu'elle intervienne pour défendre leurs intérêts. Cette levée de boucliers faisait contraste avec les patrons espagnols, qui sont sortis contents du marché conclu pour la Banque du Venezuela. Chavez a déclaré: «Aujourd'hui on a signé l'accord avec les meilleurs termes et sans aucun conflit. Je salue l'attitude du gouvernement espagnol, qui n'est pas tombé dans les provocations lancées par une certaine presse espagnole et par une certaine presse vénézuélienne.» (AFP 22.05.09). Ce que recherchent en réalité les grands patrons argentins, c'est une bonne compensation pour les entreprises en question, car les deux entreprises dont la majorité des actions est argentine, Tavsa et Matesi, étaient presque paralysées (voir ci-dessous).

Ainsi, dans le cadre de la Septième Rencontre Trimestrielle entre le Brésil et le Venezuela, Chavez a accordé tout son soutien à la présidente argentine dans la polémique déclenchée dans le pays par les annonces. Chavez a expliqué: «Les patrons argentins au Venezuela devraient être reconnaissants d'avoir Cristina comme présidente, car c'est grâce à sa médiation qu'on a pu aboutir à ces accords.» (Radio YQVE Mundial, 26.05.09). Cristina l'a remercié et a répondu: «C'est justement l'intervention de cette présidente qui leur a permis d'obtenir pour le 60% des actions expropriées la coquette somme de 1970 millions de dollars" (El Universal, 26.05.09). D'ailleurs, l'intervention de la présidente argentine a également permis que le gouvernement de Chavez reprenne à son compte le passif des entreprises envers les travailleurs, autrement dit la dette importante que la transnationale avait à l'égard des travailleurs.

Comme toujours, Chavez finit en déclarant que le sien est «un socialisme qui ne nie pas l'investissement privé, dans le cadre du développement harmonieux de la propriété privée avec la propriété publique, étatique et communale... Ainsi nous atteindrons l'égalité, l'équité et la liberté.» (Radio YKVE Mundial, 26.05.09)

Négoces à la Pyrrhus

Dans un récent article, nous disions qu'après le triomphe du référendum du 15 février 2009 et après la défaite du référendum du 2 décembre 2007, Chavez avait réussis à opérer une certaine recomposition, démontrant une capacité à, partiellement, se recomposer. Il a profité de cette situation de deux manières. D'une part, en accentuant son contrôle sur les organisations de masse et sur le mouvement ouvrier, et, d'autre part, en appliquant une politique visant à faire passer dans l'orbite de l'Etat un autre ensemble d'entreprises fonctionnelles aux industries stratégiques. Comme le montrent les enquêtes, mais pas seulement, Chavez a réussi à récupérer presque 60% de soutien, mais a aussi à faire perdre à l'opposition de droite une part de sa capacité d'offensive – au moins momentanément – obtenue après le référendum du 2 décembre 2007.

Nous voyons donc qu'après février 2009, le gouvernement a impulsé ses «nationalisations» d'entreprises dans les domaines du pétrole, de la banque et des industries de base (sidérurgie, ciment…).

Mais ce qui attire l'attention est qu'il reprend son plan pour le contrôle de secteurs stratégiques dans un contexte de contraction de l'économie, d'inflation accrue et de revenus pétroliers réduits.

Beaucoup d'analystes estiment que la récupération de ces secteurs exige un investissement public d’importance (ils ont été sous-financés durant la dernière période), mais actuellement le muscle financier du gouvernement est affaibli: il a moins de ressources et davantage d’engagements, alors même que l’affaissement relatif (même si une hausse relative du prix est possible, les volumes exportés se contractent) du prix du pétrole fait fondre les revenus des devises. Le prix moyen du brut vénézuélien a enregistré jusqu'à maintenant une baisse de 51% par rapport à 2008, et le revenu des exportations indique une chute de 55% au cours du premier trimestre 2009.

D'après les données de la Banque Centrale l'activité pétrolière a enregistré une chute équivalant à 4,8% du PIB au cours du premier trimestre, due notamment à des volumes de production moindres, et les revenus liés aux exportations ont été de 9,8 milliards de dollars (donc inférieurs aux 20,4 milliards par rapport à la même période en 2008). Cette chute a lieu lorsque le PIB a obtenu une croissance à la Pyrrhus de 0,3% au cours du premier trimestre 2009.

Le gouvernement a de vrais problèmes ded capacités financières, aussi bien dans le secteur pétrolier que dans d'autres secteurs. Et des dettes aussi bien à l'égard de ceux à qui des commandes ont été pasé qu'à l'égard de ses fournisseurs, ce qui génère aussi une tendance aux conflits de travailleurs dans ces entreprises. En effet, ces dernières invoquent les créances non payées par l'Etat pour éviter de remplir leurs obligations envers les travailleurs.

Ainsi, certains analystes expliquent qu'au-delà du contrôle des secteurs stratégiques, «le gouvernement accélère les nationalisations parce qu'il a des dettes à l'égard de fournisseurs et, avant d'effectuer les paiements en cours ou de verser des subsides pour qu'ils puissent se maintenir dans le temps, il choisit de les reprendre pour les contrôler». (Luis Vicente Leon, Datanalisis, 25.05.09). Voyons ce qu'il en est pour Tavsa, une entreprise appartenant à Sidor. PDVSA, qui achète 95% de sa production, est «presque son unique client». L'entreprise pétrolière étatique doit à Tavsa 50 millions de dollars  et, à son tour, Tavsa doit à Sidor quelque 12 millions de dollars. Comme moyen de pression, Tavsa a opté pour ne pas respecter ses obligations envers les travailleurs, poussant ainsi ces derniers à la lutte; ce qui a fini par paralyser les activités de l'entreprise.

On peut spéculer quant aux réelles intentions du gouvernement Chavez lorsqu'il vise ces entreprises, surtout dans un contexte d'une diminution des revenus de l’Etat en dollars suite à la chute des prix du pétrole. La réalité est que Chavez «prend en charge» (avec indemnisation) des entreprises en pleine crise. Il faudra d'importants investissements pour les réactiver, alors qu'en pleine crise mondiale les transnationales profitent de se vendre à des prix les plus élevés possible. Comme Pyrrhus dans la guerre, Chavez chante victoire, mais au prix d'une grande saignée et d'incertitudes face à l'horizon économique, alors qu’il aurait pu exproprier ces entreprises assoiffées de gains durant des années.

Les luttes ouvrières et les nationalisations

Nous écrivions en février sur l'émergence d'un nouveau mouvement ouvrier, sa recomposition objective et les combats qu'il était en train de livrer. Nous décrivions comment Chavez était en train de chercher à discipliner les luttes ouvrières les plus radicalisées et menaçait y compris les travailleurs d'entreprises contrôlées par l'Etat face à la vague croissante de grèves.

A la persuasion et aux menaces, il ajoute maintenant un autre moyen pour tenter de démonter le processus de luttes, surtout là où se concentrent la plupart des entreprises minières et ferro-sidérurgiques du pays. Trois de ces luttes étaient en passe de se transformer en bombe à retardement, et toutes sont passées récemment dans l'orbite de l'Etat: Matesi, Ceramicas Carabobo et Tavsa.

Lorsque Chavez a annoncé les dernières mesures, les travailleurs de Matesi étaient en lutte depuis 6 mois, et durant tout ce temps ils n'avaient pas reçu leurs salaires à cause de la position très dure adoptée par le groupe argentin Techint. Ce dernier avait décidé d'éliminer deux de ses trois équipes et cherchait donc à licencier un grand nombre de travailleurs. Face à cela, les travailleurs ont résisté et se sont mis en grève. L'entreprise justifiait la situation en invoquant la crise mondiale, mais les travailleurs savaient qu'elle avait d'autres intérêts et ils ne se trompaient pas: Techint allait forcer l'intervention de l'Etat pour rendre faisable la «nationalisation». Elle escomptait pouvoir en tirer profit, au vu notamment du déroulement des négociations de Sidor. Les travailleurs exigeaient déjà au gouvernement qu'il étudie l'expropriation de la transnationale qui bafouait leurs droits. «Nous ne pouvons pas être sacrifiés à cause de la faillite du capitalisme, ils n'ont qu'à réduire d'abord les salaires des cadres», affirmaient les ouvriers.

La situation de Tavsa n'était pas très différente, même si cette entreprise avait cessé de produire plus de six mois auparavant, en utilisant une sorte de lock-out. L'entreprise invoquait le fait d’interrompre la production à cause de la dette de 50 millions de dollars qui n’était pas payée par l'Etat. Elle abandonnait ainsi totalement les travailleurs, qui étaient sous le coup de licenciements (comme les 120 ouvriers engagés, licenciés le... 1er mai!). Néanmoins les travailleurs sont restés mobilisés et ont exigé que la fabrique soit nationalisée comme l'avait été Sidor.

En ce qui concerne les Ceramicas Carabobo, cette entreprise était occupée depuis six mois par ses travailleurs. En octobre 2008, les patrons ont ordonné que soit exécuté le protocole d'extinction des fours de cuisson des briques réfractaires. Ils ont informé les travailleurs de la fermeture technique de la fabrique en invoquant des raisons financières. Les travailleurs ont refusé la fermeture et ont riposté en mettant les machines en maintenance (minimum), marquant ainsi, de fait, le début du conflit. Les patrons tentaient de relancer l'entreprise sous un nouveau nom (identité juridique) pour ne pas avoir à respecter leurs obligations envers les ouvriers et pour réduire le personnel. Les travailleurs se sont rendus compte de la manœuvre et ont immédiatement occupé l'entreprise, exigeant sa nationalisation.

A Orinoco Irons et Venprecar, peu avant l'annonce de Chavez, les travailleurs avaient annoncé un plan de lutte d'ensemble pour les droits et les revendications sociales, économiques et syndicales des deux entreprises, et menaçaient de se mettre en grève si l'entreprise ne reconnaissait pas leurs revendications.

Le gouvernement cherche à décomprimer les luttes en cours en payant de grosses indemnisations aux grands entrepreneurs nationaux et étrangers. Mais même lorsque ces entreprises passent aux mains de l'Etat, des problèmes comme la précarisation et la tertiarisation de la main-d'œuvre subsistent, comme nous le voyons actuellement à Sidor ou dans les compagnies pétrolières.

Alors que des problèmes pressants comme le logement, l'augmentation du coût de la vie, l’assurance de la livraison des biens alimentaire, l’appui technique et financier aux personnes ayant occupé des terres (pour lancer enfin la production), la chute des salaires réels restent sans solution, Chavez indemnise les grandes transnationales avec sa politique de «souveraineté nationale».

Combien coûte la «souveraineté nationale» de Chavez ?

Le bilan peut être fait: 4143 millions (4,1 milliards) de dollars pour les «nationalisations» de Sidor, des cimenteries Holcim et Lafargue et de la Banque de Venezuela (dont les partons emportent également 304 millions de profits pour des périodes antérieures). Cette somme équivaut au 42% du revenu des exportations du premier trimestre de 2009.

Il faut ajouter à cela le paiement qu'il devra faire à court terme pour le rachat de Ceramicas Carabobo, les 76 entreprises de services pétrolières, la fabrique alimentaire appartenant à Cargill et les 6 entreprises à Guayana.

Il a déjà payé 1'300 millions de dollars pour le 86% des actions de CANTV (la plus grande entreprise de télécommunications qui avait reçu des subventions) et 740 millions de dollars pour le 82% des actions de Electricidad de Caracas.

Il y a donc un sens à la revendication de: nationalisation sans indemnisation. (Traduction A l’encontre)

* Cet article a été publié par la Ligue des travailleurs socialiste (LTS) du Venezuela.

(2 juin 2009)

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