Venezuela

 

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Une analyse sociale et géographique du référendum constitutionnel

Edgard A. Hernandez *

Nous avons déjà publié sur ce site trois articles ayant trait au référendum constitutionnel du 2 décembre 2007 au Venezuela. D’autres suivront. Ce d’autant plus qu’entre propagande dans le style de la guerre froide faite par les médias dominants et angélisme – pour ne pas faire référence à la stricte méconnaissance de la société vénézuélienne – «pro-Chavez», le besoin d’une réflexion effective est nécessaire. Ne serait-ce que pour raisonner la solidarité nécessaire avec la majorité de la population déshéritée du Venezuela qui veut que ses besoins essentiels deviennent des droits. C’est, entre autres, contre cette prétention que les gouvernements impérialistes, en particulier celui des Etats-Unis, cherchent à mettre en échec ladite révolution bolivarienne qui est un point de référence pour les masses populaires dans les pays d’Amérique latine.

Nous avions souligné l’importance de l’abstention à l’occasion de la votation du 2 décembre. Elle traduit, à coup sûr, un mécontentement face à la perpétuation de la corruption et du clientélisme, qui s’enracinent non seulement dans l’histoire du pays, mais dans le type de contrôle et d’accaparement d’une partie de la rente pétrolière, qui s’est réorganisé et se perpétue sous le régime de Chavez. A cela s’ajoute un «verticalisme» institutionnel et politique qui, plus d’une fois, fait obstacle à la consolidation d’une organisation large et démocratique du mouvement social sous ses diverses facettes. Cette remarque n’implique pas de passer sous silence les difficultés propres à l’extension d’organismes populaires dans une formation sociale comme celle du Venezuela, où la pauvreté, la marginalisation socio-spatiale, le racisme laissent des traces profondes.

En outre, le résultat du référendum comme les développements visibles depuis la fin du premier semestre 2007 démontrent que le rôle des forces armées est loin d’être celui souvent présenté par des militant·e·s solidaires – à juste titre – avec la «révolution bolivarienne». La capacité de pression et de chantage de couches dirigeantes des forces armées est forte. Ce n’est pas leur participation significative à la redistribution de la rente pétrolière qui va en faire un «instrument de pointe» d’un changement à la racine du système économique et politique au Venezuela.

Enfin, au moment où Chavez représente en Amérique latine la position anti-impérialiste la plus radicale, la défaite subie à l’occasion de ce référendum va servir les intérêts de gouvernements bourgeois, se donnant des allures de progressisme, tels ceux aux commandes en Argentine, au Chili, au Brésil et en Uruguay. Et le «réalisme» de forces politiques se revendiquant de la gauche peut en sortir renforcé. (CAU)

En comparant les résultats du vote récent de la réforme de la Constitution et les résultats de l’élection présidentielle de décembre 2006, on peut observer divers éléments qui expliquent quelque peu ce qui s’est produit ce dernier 2 décembre 2007. Les données présentées dans cet article sont extraites de la page Internet du Conseil national électoral (CNE).

Tout d’abord, on va comparer les votes émis dans chaque Etat – le Venezuela est un Etat fédéral – à l’occasion du récent référendum. Cela dans les Etats où le «oui» a trouvé la plus petite expression, mais qui sont les Etats les plus peuplés. Ces résultats se situent tous en dessous de la moyenne nationale du «oui» qui est à hauteur 49,3%.

CarteVenezuela

Etats

NON

%

OUI

%

Total des votes

Anzoátegui [1]

246’657

54,39%

206’826

45,60%

453’483

Carabobo [2]

411’622

52,82%

367’532

47,17%

779’154

Distrito Capital [3]

432’251

52,41%

392’489

47,58%

824’740

Lara [4]

296’603

51,02%

284’726

48,97%

581’333

Mérida [5]

160’657

54,71%

132’979

45,28%

293’636

Miranda [6]

542’799

56,21%

422’811

43,78%

965’610

Nueva Esparta [7]

88’799

56,09%

69’495

43,90%

158’294

Táchira [8]

227’156

57,31%

169’171

42,68%

396’327

Zulia [9]

624’790

56,94%

472’462

43,05%

1’097’252

Total national

4’504’354

50,70%

4’379’392

49,29%

8’883’746

1. Anzoategui: Etat au nord-est du Venezuela dont la capitale est Barcelona, 1,3  million d’habitants; de nombreuses ressources économiques entre autres pétrolières. (réd)
2. Carabobo: Etat du centre-nord, quelque 2 millions d’habitants; la capitale est Valencia, ville qui concentre une grande partie de la population et est une zone industrielle. (réd)
3. Distrito Capital (anciennement District fédéral): à la différence des autres Etats, cet Etat n’a pas un gouverneur; le maire de Caracas joue un rôle important. La population est estimée à quelque 4 millions d’habitants. Les activités économiques renvoient, entre autres, au rôle de capitale jouée par Caracas qui est le siège du gouvernement. S’y concentrent: le secteur bancaire, administratif, les télécommunications comme les chaînes de télévision; à cela s’ajoute la production d’aliments, de meubles, de chaussures, etc. (réd)
4. Lara: Etat situé à l’ouest du pays, quelque 1,6 million d’habitants; activités commerciales et d’agricoles; capitale Barquisimeto. (réd)
5. Mérida: Etat à l’ouest du pays; capitale: Ciudad de Merida; après Caracas, c’est la ville qui concentre le plus d’étudiants. La population de la capitale et de la conurbation urbaine s’élève à quelque 350'000 habitants; l’agriculture et le tourisme représentent les principales ressources. (réd.)
6. Miranda: Etat situé au centre-nord du Venezuela; il compte quelque 2,7 millions d’habitants; les ressources économiques: agriculture (du coton au café, en passant par le maïs), élevage, pêche et dans la capitale un certain nombre d’industries: chimie, alimentation, souliers, textile et tourisme.
7. Nueva Esparta: zone insulaire du pays, quelque 400'000 habitants; activités de pêche, tourisme… (réd)
8 . Tachira: zone andine du pays; capitale San Cristobal, environ 1 million d’habitants; l’agriculture a une grande importance et le fait d’être une zone frontalière avec la Colombie stimule les activités commerciales. (réd)
9. Zulia: Etat au nord-est qui jouxte de lac de Maracaibo; s’y concentrent des réserves très importantes de pétrole et de gaz. Capitale: Maracaibo. La population s’élève à quelque 3,2 millions et la capitale en concentre plus de 1,2 million, alors qeu l’agglomération en compte quelque 2,6 millions.

____________

D’autres conclusions intéressantes peuvent être tirées à partir de la comparaison entre le référendum du 2 décembre 2007 et les élections de décembre 2006. On peut les résumer de la sorte:

1° Il est quasi certain de pouvoir conclure, en comparant les chiffres, que les votes de l’opposition [au gouvernement Chavez] pour le «non» se sont maintenus à un niveau égal à ceux exprimés lors des élections de 2006, et cela quasiment dans tous les Etats et les communes du pays. Des votants chavistes de 2006 n’ont pas participé au vote du 2 décembre 2007.

2° Les Etats industriels – là où se trouve la plus grande concentration de travailleurs: Aragua, Sucre, Carabobo et Lara – furent avec le Distrito Capital ceux où ont été enregistrés le plus grand nombre de transferts de la part de ceux et celles qui avaient, antérieurement, voté pour Chavez et qui – cette fois – ont voté pour le «non»; Aragua se trouve à la tête de ce transfert avec 38,5% des votants pour Chavez qui ont passé au «non». Ce transfert de votes, dans ces Etats, a été déterminant pour réunir les votes permettant à l’échelle nationale que le «non» s’impose; il y a là un transfert de 200'000 voix au total. On peut conclure de cette observation que la réforme constitutionnelle a perdu à cause de ces résultats directs.

D’autre part, une partie importante de ceux qui avaient voté pour Chavez antérieurement ne se sont pas présentés au bureau de vote. Ce processus s’est concrétisé avant tout dans les Etats industriels, pétroliers et dans le Distrito Capital; on le voit à Sucre, Lara et Anzotegui qui prennent la tête de ce groupe. On peut estimer respectivement l’abstention du vote chaviste à hauteur de 53,3%, de 44,8 et de 44,8.

Les Etats où se concentre la plus grande partie des populations indigènes – Amazonas, Delta Amacuro et l’Etat minier de Bolivar – avaient en 2006 enregistré les plus hauts pourcentages de personnes votant pour Chavez. Cette fois, ils se sont abstenus, avec un taux d’abstention de 5% supérieur à la moyenne nationale. Ainsi, l’abstention s’élève à 47% dans l’Etat d’Amazonas, à 46% dans l’Etat de Delta Amacuro, et à 45,5% dans l’Etat de Bolivar.

Les Etats qui ont enregistré le plus de votes en faveur de la réforme constitutionnelle sont ceux des Andes. C’est-à-dire les Etats de Mérida, Tachira et Trujillo. Toutefois, ce furent aussi les Etats où l’on a vu une réduction du nombre de votes pour le «non» en comparaison des votes émis en faveur de Manuel Rosales [candidat de l’opposition unie lors de l’élection présidentielle de 2006; Rosales a été maire de la ville de Maracaibo entre 1996 et 2000, puis gouverneur de l’Etat de Zulia; il a fait sa carrière politique dans Action démocratique, une organisation membre de la IIe Internationale social-démocrate et dont le dirigeant le plus connu à l’échelle internationale était Carlos Andres Peres, emblème de la corruption].

Dans ces Etats, le taux d’abstention du «vote chaviste» s’est manifesté le plus bas, se situant entre 33 et 34%, soit 6 à 7 poins en dessous de la moyenne nationale.

Bien que le «non» se soit imposé dans l’Etat de Zulia, ce vote a fortement reculé par rapport au vote en faveur de Rosales. Le déclin se situe à hauteur de quelque 58'000 voix, ce qui représente la chute la plus importante du «non» (en comparaison avec l’élection présidentielle) parmi l’ensemble des Etats. De la même façon on a assisté à l’abstention la plus limitée dans l’Etat de Zulia. Cela reflète le rejet par la population de cet Etat non seulement de la réforme, mais aussi cela devrait envoyer un signal préoccupant pour le gouverneur Rosales qui a pu voir le degré de rejet de sa gestion gouvernementale par le peuple. (Traduction à l’encontre)

* Cet article a été publié sur le site Aporrea le 8 décembre 2007.

(15 décembre 2007)

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