Russie

La publicité de Don Stroi ŕ Moscou

Version imprimable



GREVE DURE A DON STROI (Moscou)

Nous publions ci-dessous un article paru dans la publication «Le Messager syndical», publication animée entre autres par David Mandel (Canada), Carine Clément (Moscou), Denis Paillard (France). Pour tout contact, les lecteurs et lectrices peuvent s’adresser à: Messager Syndical c/o D.Paillard 2, rue Emile Deutsch de la Meurthe 75014 PARIS.

«Le Messager syndical» est la seule publication en langue française qui rend compte des luttes sociales et en particulier syndicales dans la Russie de Poutine et dans l’ensemble de la zone géographique couverte précédemment par l’URSS. Une lecture indispensable pour échapper aux schémas diffusés largement par des médias qui concentrent leur attention sur les «aventures» des oligarques et la politique plus qu’autoritaire, il est vrai, de Poutine. Mais sur ce plan, les médias ne sont pas trop rudes dans la manière de traiter le nouveau maître du Kremlin. – Réd.

Moscou est aujourd’hui un des hauts lieux de la spéculation immobilière, avec la multiplication des chantiers de construction d’immeubles de luxe pour les «nouveaux Russes». La firme "DON-Stroï" (40 000 salariés) qui a un quasi-monopole sur la construction des habitations de haut standing de la capitale, est dirigée par une équipe proche du maire de Moscou. DON-Stroï recrute ses ouvriers dans des pays de la CEI ou dans des régions de Russie où la situation économique est catastrophique, en leur faisant miroiter un salaire élevé par comparaison avec les perspectives locales, et en leur promettant un statut juridique et un logement. Mais une fois arrivés sur place, les ouvriers déchantent fortement. Le salaire, payé de la main à la main, est versé en retard ou seulement en partie. Les salaires, quand ils sont versés, ne dépassent pas 3000 roubles (100 euros). Or les logements construits sont ensuite vendus aux prix les plus élevés de la capitale, laissant d'énormes bénéfices, dont le montant est évidemment gardé secret, empochés par la direction et, sans doute, par des "protecteurs" bien placés au sein du pouvoir municipal et de la police locale. Formellement, la direction doit déclarer ses salariés et obtenir pour eux un enregistrement (propiska) et une autorisation de travail. Mais la plupart du temps, elle passe outre ses formalités, sans jamais être inquiétée. En revanche, les ouvriers irréguliers sont confrontés aux contrôles policiers (à l'extérieur du chantier évidemment !), et contraints régulièrement de verser le bakchich indispensable pour ne pas être arrêté pour absence de propiska. Ils ne peuvent pas non plus se présenter de leur propre initiative aux organes chargés de l'enregistrement (OVIR), faute de l'accord du propriétaire de leur lieu d'hébergement (qui n'est autre que la direction de DON-Stroï qui les loge dans des foyers de fortune). Ils sont ainsi privés de toute possibilité de recours juridique, leur situation étant illégale de tous les poins de vue. Ils se trouvent obligés de se soumettre aux conditions de travail et de vie inhumaines imposées arbitrairement par la direction: 12 h de travail par jour en moyenne, sans jours de repos, non respect des règles élémentaires de sécurité, logement dans des "cages" de foyers insalubres, surpeuplés et au régime intérieur quasi militaire. Presque chaque semaine se produit un accident, entraînant souvent mort d'homme *. N'étant même pas officiellement embauchés par DON-Stroï. les ouvriers sont largement impuissants devant ce quasi-esclavage, Ainsi que le raconte Katia, embauchée comme peintre sur le chantier et l'une des rares militantes ouvrières, "les ouvriers veulent avant tout toucher leur salaire. Ils attendent donc le paiement des salaires en se tenant à carreau, éventuellement pour démissionner après. Car ils ont peur de tout perdre, salaire déjà gagné et emploi à la fois, s'ils manifestent le moindre mécontentement. Il faudrait faire appel à l'inspection du travail ou aux services de police, pour qu'ils contrôlent la direction de l'entreprise. Mais au niveau fédéral, pas municipal – ils font tous partie du clan Loujkov".

Aussi la grève qui a éclaté fin février marque un véritable tournant. Elle est en grande partie le résultat du patient travail mené depuis deux ans par un petit nombre de militants qui se sont fait embauchés à DON Stroï. Le 28 février plusieurs centaines de travailleurs du secteur «Mécanisation» - il s’agit essentiellement des chauffeurs qui assurent le transport des matériaux et des travailleurs sur les différents chantiers, se mettent en grève illimitée. Leurs revendications:
• paiement des salaires qui ne sont pas versés depuis 6 mois ;
• contrat de travail pour tous les travailleurs de DON Stroï ;
• couverture médicale pour tous ;
• régularisation auprès de la milice de tous les travailleurs en situation irrégulière.

Malgré les mesures d’intimidation et de chantage de la Direction qui fait intervenir la milice et les OMON (forces spéciales de sécurité de sinistre réputation), les grévistes tiennent bon, soutenus par les représentants de deux organisations syndicales: la Confédération panrusse du travail (VKT) et Zachtchita Truda («Défense du travail») et des militants de la gauche radicale. Au bout de deux jours, la direction de DON Stroï accepte d’ouvrir des négociations avec le comité de grève, en présence de deux députés de gauche de la Douma (V. Tioulkine et O. Shein). Les grévistes obtiennent satisfaction sur toutes leurs renvendications: paiement du retard des salaires avant le 14 mars, établissement de contrats de travail individuels, couverture médicale et engagement à ce que les gréviste ne fassent l’objet d’aucune sanction.

Mais très vite la direction de DON Stroï se ressaisit et manifeste clairement son intention de ne respecter aucun de ses engagements. Le département «Mécanisation» dont les travailleurs ont été au cœur de la grève, est détaché de l’entreprise mère et devient une entreprise indépendante: les travailleurs concernés devront faire une demande pour être repris dans la nouvelle structure (et la direction pourra en profiter pour se débarrasser des «meneurs» ; de plus la nouvelle structure n’hérite pas de la dette salariale. Quant à l’arriéré de salaires il ne sera payé que si le travailleur s’engage à démissionner. Quant aux engagements concernant les contrats de travail et la couverture médicale, ils restent lettre morte. Bien plus, DON Stroï procède à de nouvelles embauches avec l’espoir que les nouveaux venus se montreront plus dociles. Enfin, avec la complicité très active du syndicat FNPR (qui continue à pratiquer le principe de «verticalité» en vigueur du temps de l’URSS qui permet aux représentants de l’administration d’en être membres, et même responsables !) une violente campagne est menée contre la section syndicale affiliée à Zachtchita truda. Le 22 mars une réunion du syndicat Zachtchita truda s’est tenue afin d’organiser la riposte collective des travailleurs face à cette nouvelle offensive de la direction de DON Stroï.

A DON Stroï le combat continue.

* Sur les travailleurs «illégaux» en Russie, cf. le dossier du Messager Syndical n° 24. Pour obtenir ce numéro, vous pouvez vous adresser à l’adresse susmentionnée.

Haut de page
Retour


case postale 120, 1000 Lausanne 20
Pour commander des exemplaires d'archive:

Soutien: ccp 10-25669-5

Si vous avez des commentaires, des réactions,
des sujets ou des articles à proposer: