Russie
L'usine d'Avtovaz
Série de grèves en Russie
Carine Clément *
Depuis la grève de février 2007 à l’usine Ford (région de St-Pétersbourg – voir sur ce site article en date du 11 février 2007), le mouvement syndical russe semble se réveiller. Des nouveaux syndicats naissent un peu partout, en premier lieu dans les secteurs rentables du pétrole, de la métallurgie, de l’automobile ou de l’aluminium, et dans les entreprises transnationales. Et, face au refus des dirigeants d’entreprise à négocier sur l’élévation du salaire ou l’amélioration des conditions de travail, certains vont même jusqu’à organiser ou soutenir des grèves, alors que celles-ci sont pratiquement devenues impossibles à mener légalement dans le cadre du nouveau code du travail. Grève à AVTOVAZ
La grève du 1er août des ouvriers de la chaîne de montage principale du géant automobile AVTOVAZ (voitures Lada, dans la région de Samara) a sonné comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Personne ne s’y attendait, cette usine étant dominée par le syndicat traditionnel fortement hostile à toute action d’opposition frontale à la direction. Et pourtant...
La colère montait depuis déjà longtemps, les ouvriers étant fort mécontents du niveau de salaire, qui depuis 1994 perd en pouvoir d’achat du fait de l’inflation. Aujourd’hui, un ouvrier de base gagne à peine autour de 7000 roubles par mois (200 Euros). En conséquence, les ouvriers quittent massivement l’usine. Parmi ceux qui ont décidé de rester, certains ont trouvé le courage d’entamer une lutte collective pour l’augmentation des salaires. Pour la mener, un comité de grève a été mis en place il y a un mois, qui a transmis la liste des revendications à la direction d’entreprise, au premier rang desquelles se trouve l’augmentation du salaire. La direction n’ayant pas réagi, ni aux revendications (signées collectivement par une grande partie des ouvriers), ni à la grève du zèle qui les accompagnait, décision a été prise de se mettre en grève. La date avait été déclarée une semaine auparavant: le 1er août.
Personne n’y croyait vraiment parmi les commentateurs, l’usine comptant plus de cent mille salariés, peu organisés et restant par inertie membres du syndicat traditionnel de la Fédération des syndicats indépendants de Russie (FNPR), connue pour sa loyauté à l’égard du patronat. Rajoutons que le nouveau Code du travail exige que la moitié au moins des salariés, réunis en assemblée plénière, décide à la majorité de se mettre en grève. Dans le cas contraire, la grève est déclarée illégale et les ouvriers risquent le licenciement. De plus, dans les journées qui ont précédé la grève, la direction a tout fait pour dissuader les ouvriers dissidents: menaces divulguées par les chefs d’ateliers et les contremaîtres, convocations des meneurs à des entretiens musclés, appel à la police sous prétexte de menace «extrémiste» dans l’usine. Ainsi, un des ouvriers militants, Anton Vetchkunin, a été arrêté sur son lieu de travail par les forces de l’ordre, à quelques jours de la grève annoncée. Motif invoqué: distribution de tracts à caractère extrémiste.
Malgré tout, la chaîne de montage a bien été arrêtée, le 1er août, comme prévu, de 10.45 à 16.00. Et un meeting a eu lieu devant l’entrée de l’usine, où les grévistes chantaient et dansaient, exultant d’avoir trouvé le courage d’un tel acte. Selon différentes appréciations, auraient participé à la grève entre 300 et 1000 ouvriers. Pour éviter les répressions, il a été décidé collectivement d’en faire une grève d’avertissement et de reprendre le travail au démarrage du second poste. Mais cette grève de quelques heures a fait beaucoup parler d’elle. Tous les médias en parlaient et des discussions publiques se sont déroulées sur le bien-fondé de la grève, qui ont fait apparaître un large soutien de l’opinion publique aux ouvriers grévistes.
Parmi les éléments ayant joué un rôle facilitateur, il faut évoquer l’aide active dispensée par le syndicat alternatif «Edinstvo», très minoritaire dans l’usine, mais très actif. Il faut également parler des actions de soutien organisées par les réseaux de militants politiques et syndicaux, y compris des piquets de protestation devant les représentations du groupe dans différentes villes de Russie (y compris à Moscou, où des militants ont été arrêtés et condamnés à plusieurs jours de prison pour «action non autorisée»). Enfin, il faut préciser que la grève a été l’initiative propre d’ouvriers travaillant essentiellement dans trois ateliers, tous afférant au montage et ayant une position clé dans le processus de production.
Cependant, si la réaction de l’opinion publique a été positive, celle de la direction l’a été beaucoup moins. Elle a décidé de nier les faits et transmis des communiqués officiels selon lesquels rien ne se serait passé. Malgré tout, des négociations ont débuté, avec pour représentant des ouvriers Petr Zolotarev, président du syndicat «Edinstvo». Si elles n’aboutissent pas, les ouvriers se réservent le droit de réitérer la grève. Quant à la direction du syndicat traditionnel, elle s’est complètement désolidariser de l’action, présentée publiquement par le dirigeant du syndicat comme une provocation d’extrémistes. Grève à Severstal
Une seconde grève vient de se terminer sur une victoire à l’usine «Karelski Okatich» (République de Carélie), appartenant au puissant groupe sidérurgique Severstal. Pour éviter de passer sous le coup de la loi, les ouvriers du service des transports feroviaires de l’usine ont fait grève sous forme d’acte de refus de travailler pour conditions de sécurité non garanties, invoquant l’état technique déplorable des locomotives. L’action s’est prolongée du 28 juin au 3 août et s’est soldée par l’acceptation des revendications par la direction. Il s’agit en priorité d’un redressement de salaire et d’une amélioration des conditions de travail.
Une des clés du succès de cette action est la bonne organisation des ouvriers, en majorité membres du syndicat alternatif SOTSPROF, dont les dirigeants ont su mener de front négociations et démonstration de force.
Malheureusement, les lendemains de victoire sont plus amers. Quelques jours après la fin de cette grève d’un genre particulier, les ouvriers ont reçu un avertissement pour refus de travailler sans cause légitime, ce qui ouvre la porte à de possibles licenciements. Le syndicat SOTSPROF s’est vu expulsé de son local syndical, et le procureur de la ville a ouvert une enquête sur les agissements «illégaux» des leaders syndicaux.
* Carine Clément est sociologue et dirige l’Institut de l’Action Collective (Moscou)
(18 août 2007)
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