Iran

 

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La trajectoire de Hossein-Ali Montazeri

Nazanín Amirian *

Les mobilisations contre le régime en place en Iran restent une constante. Les affrontements entre diverses factions au sein de la mollahcratie s’exacerbent; le type de répression en est une des expressions. Il nous paraît utile de porter à la connaissance de nos lectrices et lecteurs une analyse de la trajectoire politico-religieuse de Montazeri dont le décès a été un des événements d’une relance des manifestations. (Réd.)

Avec le décès [le 19 décembre 2009] de l’ayatollah Hossein Ali Montazeri disparaît la plus haute autorité religieuse de l’utopique «démocratie islamique». S’est éteinte la voix de celui qui a fondé, ensemble avec l’ayatollah Ruhola Khomeiny, la première théocratie islamique en Iran. De religieux conservateur, il avait évolué jusqu’à devenir la figure religieuse la plus progressiste du chiisme. Loin était l’homme qui dans les années 1960 avait dirigé avec Khomeiny une protestation contre le suffrage universel et la timide réforme agraire entreprise par le chah Reza Pahlevi.

Emprisonné dans les prisons du chah, de 1974 à 1977, il y rencontra des centaines d’opposants de gauche, tant religieux qu’athées. C’est là que se forgea un changement dans sa vision personnelle et politique et dans ses rapports à d’autres groupes: il surmonta l’interdiction religieuse de partager la table d’un athée – les marxistes – et fut impressionné par la résistance de ces prisonniers communistes, dont certains étaient les plus anciens prisonniers du monde, derrière les barreaux depuis 20 ans c’est là aussi qu’il a connu les propositions socialistes de redistribution de la richesse. Les communistes cessaient d’être «ceux qui partagent leur conjoint dans la communauté», comme les diffamaient les appareils de propagande tant religieux que du shah.

A la suite de la Révolution de 1979, le clergé chiite prit le pouvoir politique pour la première fois dans l’histoire de l’Iran, en profitant de l’ignorance populaire des préceptes islamiques et de la faiblesse des autres courants politiques du fait de la dure répression par le régime du shah. Ce fut une opportunité pour Montazeri qui malgré la révision de ses idées et malgré les protestations populaires, exigeait d’introduire dans la constitution le concept du velayat-e faqih (le gouvernement par le juriste islamique). Cela attribuait le pouvoir absolu à un homme dont le choix n’émanait pas du peuple, en instituant un Etat totalitaire inédit, qui par l’idéologie qui le justifiait, posait en principe l’inégalité des personnes devant la loi. Si plus tard Montazeri a confessé avoir honte de cela, ce ne sera pas pour le caractère antidémocratique d’une telle idée, sinon parce que « ceux qui occupèrent la charge, se sont éloignés de Dieu et du peuple. »,

Sur le chemin épineux dans lequel il s’engagea pour élaborer sa nouvelle théologie, l’ayatollah Montazeri resta éloigné des notions de république et de citoyens, pour jusqu’à sa mort raisonner en termes de califat et de sujets.

Le nouveau régime se nourrissait à son commencement d’idées qui changèrent de cap après la conquête du pouvoir. C’est ainsi que Khomeiny lui-même, au début de son mandat, en soutien aux paysans qui avaient occupé les terres, s’adressait à eux en ces termes: « Le seul titre valable pour s’approprier d’une terre, c’est les mains calleuses. » La gauche iranienne, égarée, lui prêta appui, croyant voir en lui une espèce de théologie de la libération islamique.

Après que les mollahs liés aux latifundistes eussent exercé une forte pression, Khomeiny se rétractait quelques mois plus tard pour proclamer que « la propriété est sacrée dans l’islam ». Des centaines de paysans furent emprisonnés et exécutés. Malgré cela, les déshérités maintenaient leur espérance dans ces hommes de Dieu. En 1989, Montazeri qualifia la République islamique de système pire que la monarchie et Khomeiny lui-même comme «plus despotique» que le shah. Il se détourna du pouvoir, comme aucun membre du clergé ne l’avait fait, quand il vit la signature de Khomeiny sur la lettre au Tribunal islamique qui sanctionnait le massacre de prisonniers politiques. Montazeri écrira: «Je ne voulus pas être complice de l’assassinat d’innocents. »

Dans ses Mémoires, Montazeri rappelait que 4700 prisonniers avaient déjà été exécutés en quelques jours et « ils prévoyaient d’en tuer encore 6000 autres. » Son intervention auprès des tribunaux fut décisive pour paralyser l’exécution de prisonnières politiques à partir de 1984. Il se montrera capable d’un autre geste sans précédent au sein du clergé shiite: défendre les droits de la minorité religieuse Baha’i, considérée comme des apostats de l’islam et dont les fidèles peuvent être condamnés à mort.

Ce n’était définitivement pas la République islamique dont Montazeri avait rêvé. Dans ses derniers mois de vie, il accorda son appui au Mouvement Vert citoyen et qualifia de frauduleux les résultats des élections présidentielles de juin 2009. Sa fatwa contre « le gouvernement policier et militaire » qui contrôle aujourd’hui l’Iran, est historique.

La «théologie islamique de la libération», dans sa version chiite, partage avec ses homologues chrétiens une pensée critique à l’égard de la hiérarchie religieuse conservatrice, une remise en question des dogmes de la foi, la désacralisation des messages religieux et la défense des dépossédés.

C’est une école récente, et si elle souligne les droits civiques, elle manque encore de visions alternatives au libéralisme qui ne soient pas simplement la charité et l’aumône. Ce qui est le plus intéressant dans cette théologie, c’est qu’elle n’occulte ni ne cache, ni ne justifie les points les plus polémiques de l’islam, comme la discrimination des minorités ethniques et religieuses, et des femmes, ou des questions comme le djihad et l’esclavage. Des préceptes conjoncturels, comme ils l’affirment, nés de circonstances concrètes et qui doivent aujourd’hui être relativisés. Le religieux Mohsen Kadivar [1], disciple de Montazeri, a y compris proposé la séparation de la religion et de l’Etat comme prémisse pour construire une société juste.

La «théologie islamique de la libération» est encore en gestation. Aujourd’hui, la société iranienne, de la part du Mouvement Vert, et après avoir expérimenté diverses formules de l’islam au pouvoir, revendique le retour de la religion à l’espace privé et la construction d’une République iranienne basée sur les traditions et les valeurs de sa civilisation millénaire originale. On ne peut nier la contribution, dans ce processus de démocratisation de l’Iran, de l’ayatollah Montazeri, qui incarne l’honnêteté incorruptible face aux tentations sataniques du pouvoir. (Traduction A l’Encontre)

* Nazanín Amirian est professeure de sciences politiques de l'Université nationale espagnole d'enseignement à distance (UNED). Ella a publié cet article dans le quotidien Público du 29 décembre 2009.

1. Kadivar à cause de ses critiques du régime a été condamné à 18 mois de prison en 1999, accusé «d’aider les ennemis de la révolution islamique», entre autres en critiquant la concentration du pouvoir dans les mains du clergé.

(31 décembre 2009)

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