Irak

 

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100000 morts... en surnombre:
une étude publiée dans The Lancet

 

A l'heure où les troupes américaines d'occupation en Irak bombardent Falloujah, il n'est pas inutile de rappeler l'étude publiée par la prestigieuse revue de médecine britannique The Lancet, le 29 octobre 2004. Ce n'est pas la première fois que The Lancet s'occupe des conditions sanitaires de la population irakienne. En 2000, elle avait publié un dossier dans lequel elle rendait explicite «l'impact dévastateur de l'embargo sur la qualité de la santé du pays». Ce dossier soulignait, de plus, les difficultés que rencontraient les médecins irakiens pour suivre les progrès de la médecine dans divers domaines. Au même titre que l'Organisation mondiale de la santé (l'OMS), The Lancet avait mis en relief, dans une autre étude, les effets de l'embargo sur la mortalité des enfants en bas âge.

Cette fois, The Lancet publie une étude de Les Roberts (John Hopkins Blumberg School of Public Health, Baltimore, Etats-Unis) et de ses collègues. L'étude porte sur une comparaison de la mortalité au cours des 14,6 mois précédant l'invasion de 2003 par rapport aux 17,8 mois qui la suivent. Les chercheurs américains ont interrogé 988 ménages irakiens répartis dans 33 régions de l'Irak. Ils ont recueilli toutes les données concernant le décès de personnes depuis janvier 2002. La date, la cause et les circonstances de ces décès, y compris ceux survenus dans un contexte de violence, ont été notées et étudiées.

Le résultat d'ensemble de cette enquête scientifique peut être résumé de la sorte: après l'invasion, le risque de mort était 2,5 fois plus grand qu'avant mars 2003. Certes, si la comparaison exclut la région de Falloujah – où est intervenu le plus grand nombre de morts violentes – le taux de mortalité ne serait que de 1,5 fois plus élevé. En prenant comme référence le taux de 1,5, les chercheurs aboutissent au nombre suivant: 98000 personnes sont décédées en Irak suite aux effets du conflit, de l'occupation. Ce chiffre serait beaucoup plus élevé si la région de Falloujah était prise en compte dans le relevé statistique. Certes, le taux de mortalité prendrait une pente ascendante si on intégrait la campagne militaire actuelle (dès le 7 novembre) de "reprise de contrôle" de Falloujah. Contrairement à ce que beaucoup de médias laissent comprendre, une attaque des forces d'occupation contre une ville comme Falloujah ne provoque pas seulement des morts et des blessés par simple effet de bombardement, mais aussi suite à l'obligation de la population de fuir vite et massivement une ville. Ce sont quelque 250000 personnes qui ont été contraintes de s'enfuir de Falloujah au cours des dernières semaines. Ce terrorisme d'Etat est peu évoqué et ses effets sur la population ne ressortent pas dans les clips télévisés.

Après l'invasion, les décès liés à des attaques des forces d'occupation, essentiellement des attaques aériennes, étaient devenus la cause principale dans 15 des 33 régions où l'enquête se fit. La majorité des personnes tuées étaient des femmes et des enfants. Le risque de mort violente au cours de la période ayant suivi l'invasion est 58 plus élevé que précédemment. Avant l'invasion, les principales causes de mort étaient: les maladies cardiaques, les infarctus et les maladies chroniques. Le Dr Roberts affirme: «A partir d'un jugement sobre, nous pensons que depuis l'invasion de l'Irak en 2003 "l'excès", le surnombre de décès avoisine les 100000. La violence est à l'origine de l'essentiel de ce surnombre et les attaques par des forces aériennes de la coalition ont provoqué la plus grande partie des décès sous l'effet de la violence.» Le directeur du Lancet, Richard Horton, ajoute dans un commentaire que l'étude du Dr Roberts a été soumise au comité éditorial du Lancet au début octobre et que leur papier a été examiné par de nombreux spécialistes et étroitement passé en revue étant donné l'importance du sujet. Il souligne aussi que: «En planifiant cette guerre, les forces de la coalition – spécialement celles des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne – ont dû prendre en considération les possibles effets de leurs actions sur la population civile... L'invasion de l'Irak, le renversement d'un dictateur cruel et la tentative d'imposer une démocratie libérale par la force ont, par eux-mêmes, été insuffisants pour amener la paix et la sécurité à la population civile. L'impérialisme démocratique a conduit à plus de morts et non pas à moins de morts. Cette politique et l'impéritie militaire continuent à provoquer nombre de blessés parmi les non-combattants. Cette impéritie mérite d'être le sujet de sérieuses recherches. Mais ce rapport est beaucoup plus qu'un élément d'une recherche académique.»

L'actualité – l'offensive contre Falloujah – rappelle certains aspects de la guerre du Vietnam. Il fallait détruire des villes pour les sauver du contrôle des résistants, à l'époque les «Vietcongs», terme ayant une forte connotation raciste et anticommuniste, aujourd'hui les «disciples de Zarkawi».

La tentative de présenter la détermination militaire et le déploiement d'un armement sophistiqué et massif comme un moyen tout à fait acceptable d'imposer une politique se retrouve aujourd'hui. Les morts civils sont déplorés. Mais ils ne comptent pas vraiment. Les civils prennent en quelque sorte le risque d'être tués s'ils ne prennent pas l'exil, avec tout ce que cela signifie d'insécurité, de danger, de dénutrition, sans parler même des moyens matériels dont il faut disposer pour s'enfuir d'une ville qui va subir un assaut.

A Falloujah, un des premiers objectifs des forces d'occupation a été l'hôpital. La BBC World a montré quelques images. En détruisant et neutralisant un hôpital, il est clair que les forces d'occupation s'épargnent aussi des clichés qui se répandent vite dans les médias et montrent des civils, hommes, femmes et enfants, déchiquetés par les bombardements et soignés avec des moyens plus qu'élémentaires.

Il faut avoir à la mémoire la célèbre formule du général Tommy Franks qui dirigeait initialement les opérations d'occupation: «Nous ne sommes pas là pour compter les morts.»

La «bataille de Falloujah» n'est que l'expression la plus visible et brutale d'une opération coloniale d'occupation. Mais, aujourd'hui, elle est présentée comme le dernier effort pour assurer des «élections démocratiques en Irak», élections qui seront encore plus démocratiques grâce à l'imposition par le premier ministre irakien, à la solde des forces d'occupation, Iyad Allaoui, de l'état d'urgence. Faudra-t-il attendre 40 ans ou 50 ans pour que les raisons et les modalités de l'occupation coloniale de l'Irak soient mises au jour? – Réd., 9 novembre 2004

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