Irak

 

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A Fallouja, six jours sous le déluge
Un correspondant de l'Agence France-Presse témoigne des combats entre GI et rebelles

Par Fares DLIMI et Sami KETZ *


Le correspondant irakien de l'Agence France-Presse à Fallouja, Fares Dlimi, a passé six jours au coeur de la bataille opposant les forces américaines aux insurgés retranchés dans la ville rebelle. Il a fait ce récit au jour le jour, recueilli à Bagdad par Sami Ketz de l'AFP.

Lundi 8 novembre

Vers 19 heures, un déluge de feu s'abat sur le quartier nord de Moualimine. Les tanks et l'artillerie tirent sur toutes les habitations et «il faut sauter d'une maison à l'autre». Le crépitement des mitrailleuses est intense. «Les combattants nous demandent de nous retirer vers l'arrière et je passe donc la nuit dans une maison abandonnée.»

Mardi 9 novembre

Dans le quartier Moualimine, «il n'y a pas une maison qui ait été épargnée. Toutes les chaussées sont criblées d'ornières par les bombes». Les tanks américains avancent par les deux rues principales qui mènent du nord vers le sud, mais, des ruines, surgissent des combattants qui attaquent les blindés et les combats font rage. Dans la matinée, Fares Dlimi rencontre un chef rebelle qui lui déclare: «Nous avons laissé entrer les chars pour que les bombardements cessent et que nous puissions les combattre face à face.» «Les explosions sont si puissantes que je suis littéralement soulevé de terre. Je cours dans les ruelles. La poussière, des briques, des morceaux de métal me tombent dessus. Je perds connaissance et, en rouvrant les yeux, je me retrouve dans une maison. On a certainement dû me ramasser et me mettre à l'abri», dit-il. Quand il reprend ses esprits, il fait déjà sombre ; il décide malgré tout de poursuivre son chemin vers le sud. Pour cela, il doit couper la rue 40, une artère qui traverse le quartier d'est en ouest, sous le feu des tireurs d'élite américains. «Je cours comme un fou. Des cadavres jonchent la chaussée et d'autres, blessés, gémissent et implorent en vain des secours, mais personne ne peut les aider», explique-t-il. Pour dormir, le journaliste irakien trouve une maison et un réservoir d'eau. «J'avais la gorge totalement desséchée et cette eau était pour moi comme une délivrance.»

Mercredi 10 novembre

Des combats très violents ont lieu à l'intersection de la rue 40 et d'une artère venant du nord. «Je vois des chars en feu et les combattants se jettent dans la bataille au mépris de leur vie. Ils s'emparent de deux chars abandonnés et commencent à les manoeuvrer quand deux avions tirent des missiles et détruisent les tanks.» Dlimi passe devant la maison en feu du correspondant d'Al-Jezira, Abou Bakr Doulaimi. Les voisins lui apprennent qu'il a été grièvement blessé dans les bombardements. Il poursuit son chemin vers le sud et parvient dans la soirée au dispensaire public, qui a été bombardé quelques heures plus tôt. «Je vois des chiens et des chats qui dévorent des cadavres dans la rue», explique-t-il. Durant la nuit, il traverse la rue principale et rejoint au sud le quartier Andalous, peuplé de nombreuses familles ayant fui les bombardements au nord.

Jeudi 11 novembre

Il se rend chez lui à Nazal (centre-sud), pour prendre sa voiture. Un voisin l'a prise, le véhicule a été touché et a pris feu avec son passager dans la rue principale. Dlimi retourne vers l'ouest et se dirige vers l'Euphrate. Il décide de gagner l'autre rive à la nage, descend à travers les roseaux quand des hélicoptères font feu. Il rebrousse alors chemin vers le quartier Andalous. «Toute la nuit, j'entendais les pleurs et les gémissements des femmes. J'avais le sentiment que c'était le jour du jugement dernier.» Il dort dans une maison occupée par plusieurs familles.

Vendredi 12 novembre

Les forces américaines contrôlent les grands axes. Des haut-parleurs demandent à ceux qui veulent se rendre de gagner la mosquée Fardous, dans une rue au sud. Ses compagnons de la nuit décident d'y aller. Lui a peur, car il craint qu'il s'agisse d'un piège. Il passe de maison en maison et, dans l'une d'elles, découvre les corps de quatre hommes tués d'une balle dans la tête. Il s'enfuit. «Pendant ma course, j'ai entendu des cris dans une maison. Je suis rentré et j'ai vu une femme avec une fille de 12 ans, un garçon de 10 ans blessé à la jambe et trois hommes gisant sur le sol.» Elle lui affirme que les Américains sont entrés et les ont abattus. «La femme était terrorisée. Je lui ai dit de prendre la chemise blanche de son défunt mari et de m'accompagner jusqu'à la mosquée. J'ai pris l'enfant blessé dans mes bras et nous nous y sommes rendus. Il y avait une foule à l'intérieur.» L'armée irakienne est présente dans la mosquée. Peu après, lui, la mère et ses deux enfants sont conduits par l'armée irakienne à la station de train, à la lisière nord de la ville. Il y a là environ 1 500 personnes. Un homme masqué désigne du doigt ceux qui étaient des combattants. 25 jeunes sont arrêtés. Puis des soldats pulvérisent sur chaque homme présent un produit pour déterminer la présence de poudre et prouver ainsi qu'il a combattu. Il sympathise avec un médecin militaire irakien et lui confie qu'il est journaliste. Le praticien lui promet de l'aider.

Samedi 13 novembre

Le matin, le médecin le fait sortir de la station et lui indique le chemin pour Saqlawiyah, à dix kilomètres à l'ouest de Fallouja. Après avoir marché trois kilomètres, il réussit à convaincre des militaires de le conduire en camion avec la femme et le deux enfants jusqu'à la localité, où il laisse la famille au dispensaire à l'entrée de la ville puis se dirige vers Zaharid, au nord-ouest. Dans la nuit, il traverse avec un ami à quatre pattes un barrage sur l'Euphrate et réussit à gagner une ferme, où il est accueilli par un paysan. «J'étais épuisé. J'avais des vertiges, le ventre gonflé. J'ai mangé et j'ai dormi toute la journée de dimanche.»

Lundi 15 novembre

Il regagne Bagdad.

* Fares Dlimi, correspondant irakien de l'AFP à Fallouja; Sami Ketz, l'AFP Bagdad,
paru dans Liberation, jeudi 18 novembre 2004

 

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